Témoignage d’Odette DARRAIDOU
Le choix la décision.
Je vais remonter dans le temps, quand je me projetais dans un devenir, avec mes capacités, mes aspirations, aux alentours de mes 18 -2O ans, dans ma ville natale,...Dieppe ses falaises, sa plage, son port de pêche et de commerce. J'avais échoué au concours d'entrée dans une école d'Arts appliqués à Paris, mais je ne renonçais pas à pouvoir vivre un jour du dessin, de la création artistique et je réussissais même à placer quelques dessins aux Éditions Fleurus....
C'est alors que la sœur ainée de ma mère, qui était aussi ma marraine, m'a demandé de venir aider son mari qui était en train de perdre la vue. Il s'agissait de le seconder dans la lecture de documents, de courrier, donc du secrétariat et de la petite comptabilité dans son entreprise… C'était en attendant qu'il retrouve un peu de vision, après l'opération subie "Aux quinze-vingt" à Paris...
Je n'aimais pas beaucoup cet oncle, mais sa situation était dramatique et suscitait ma compassion, j'acceptais, pensant à l'aspect provisoire de cette aide et consciente d’alléger aussi l'anxiété de ma marraine. Je n'imaginais pas que ce « Oui » allait orienter toute ma vie.
Car ce provisoire a duré sept ans ! L'oncle a perdu définitivement la vue, son nerf optique ayant continué à s'atrophier. L'Entreprise était à l'entrée du port, elle comportait des ateliers de mécanique, chaudronnerie, forge et fonderie pour les réparations sur les bateaux de pêche et des matériels et engins de pêche en mer. Il y avait huit à dix employés, ouvriers professionnels que l'oncle dénommait ses compagnons. J’ai découvert le monde du travail, le monde de la pêche, le milieu humain et dur de la pêche artisanale, et de la pêche industrielle, la part importante du travail des femmes dans les petits armements de pêche artisanale, leur influence.
Je ne pouvais plus faire ce que j'aimais, et je me mis à aimer ce que je faisais, pourtant c'était dur j'ai été parfois sur le point de craquer, j’étais sur l' enclume tant c’était dur et lourd car mon oncle s'est mis à refuser de comprendre les impératifs de gestion tels que payer l' URSAF, » autrefois il n'y avait pas tout ça », « On va devoir payer des indemnités de retard en plus de la dette principale » et cela est allé de mal en pis, Jusqu' à la liquidation de l' affaire rachetée par un groupe de gros armateurs Pour ma part j'ai eu très vite une proposition d’aider à la mise sur pied d’une coopérative de la pêche artisanale. Au cours des six années de ce travail, secrétariat et comptabilité, j’ai été soutenue par la présence et l’engagement des franciscains en Mission auprès des marins dont deux naviguaient l'un, le Père Hubert à la grande pêche sur les morutiers à Fécamp, et l'autre le Père Gonzalve, sur un chalutier à Dieppe.
Ce furent mes premiers contacts avec la Mission de la Mer, et avec le CEASM, centre d'étude et action sociale maritime, rue St Benoît à Paris. Ils organisaient des courtes sessions de formation et j'ai pu profiter de cette manne ! En 1967 je décidais de faire une formation pour l’Animation Sociale à l'issue de laquelle l'Aumônier National de la M.d.l.M., Michel Heurtel conseillé par le CEASM me proposa de réactiver une petite revue de la Mission auprès des marins intitulée : À DIEU VAT
Cette revue était éditée à Bordeaux.... et rédigée le plus souvent jusqu'à mon arrivée, par des personnes liées au journalisme maritime, ou par des commandants retraités de la marine marchande qui s'exprimaient sur la mer, sur les marins et le dur métier de la pêche... À Dieu Vat, devint « Les Hommes et la Mer » et à partir de septembre 1969 se sont les marins eux-mêmes qui diront ce qu'ils vivent, ce qu'ils espèrent. Armée d'un petit magnétophone j'assistais à des rencontres sur la côte depuis Boulogne sur Mer jusqu'à Sète en passant par les ports de Bretagne et de Vendée sans omettre St Jean de Luz !
Le propre d'un marin c'est d'être en mer ! Aussi, très souvent dans les ports je rencontrais aussi les femmes des marins. Toutes avaient des choses à dire mais à la pêche elles se mirent en Mouvement, créèrent des Associations liées à la profession pour que leurs maris soient entendus, elles devinrent des Relais. À Paris Siège national de la M d L M, l'équipe nationale se réunissait une semaine par mois. Michel Heurtel avait un successeur choisi par les Prêtres de la MdlM c’était Léon Darraidou, l'Aumônier naviguant de St Jean de Luz qui tenait à participer à la rédaction des numéros dont la parution avait lieu tous les deux mois... Nous n'avions que quelques heures sur cette semaine-là, il fallait travailler à extraire l'essentiel des témoignages.... Il y eu parfois des discussions animées sur le choix des phrases, je ne lâchais pas facilement mon idée ….
Je travaillais aussi à mi-temps au sein de l'AGISM 'Association de Gestion des Institutions Sociales Maritimes, dont le siège était au Ministère du Travail à Paris... Il me fallait organiser mon temps à Paris entre mes deux emplois... car ce deuxième travail visait à améliorer l'accueil dans les Foyers des Gens de Mer, lors des escales dans les ports de Rouen, Le Havre, Lorient, Donge-Nantes, La Rochelle, Bordeaux, Lavera-Marseille…. Je pouvais ainsi facilement coupler ces deux fonctions, rencontrer les marins en escales des navires de commerce, participer aux rencontres organisées par les Aumôniers de la Mission de la Mer... dans les ports que je viens de citer, pour l'un ou pour l'autre travail.
Pour en revenir à la rédaction des articles à écrire à partir des témoignages, la lecture qu'en faisait Léon passait par son expérience d'avoir navigué à la pêche, mais de mon côté cela faisait plus de treize ans que je vivais près de ces gens-là... Il était prêtre et mon supérieur hiérarchique, je le respectais mais je le voyais comme un grand frère comme un partenaire d'atelier, mon oncle aurait dit un « Compagnon » ! Nous étions l'un et l'autre embarqués dans un devenir incertain, mais le présent nous absorbait tellement dans une tache d'apostolat très concrète, par cet humble travail d'écoute et de récolte de « faits de vie » … Il fallait les rédiger ensemble, en accord avec nous-même, et au plus près du souffle des gens qui nous avaient livré un morceau de leur vie !
Et nourris de l'Amour du Père pour le communiquer ….
C'est vrai que nous étions dans un état de communion, d'aimantation de notre intelligence spirituellement exigeante de vérité … Cette Luminescence qui nous était donnée en partage devenait un cadeau inouï !
Un Pôle de rencontre indestructible qu'on ne pouvait plus nier, ni enfouir dans un trou, ou sceller dans un coffre... Elle se nourrissait de nos rencontres, du travail réalisé en commun, et sans cesse à renouveler, mais qui nous révélait profondément l'un à l'autre !
Il allait falloir la montrer en pleine lumière la déclarer alentour …. au risque de provoquer un séisme ? Pour rester Vrais !
C'est ce que nous avons fait … C'était en MAI 1974
PS : Il me fallut donner mon préavis de deux mois pour mon départ de l'A.G.I.S.M. Idem pour confier « À DIEU VAT- Les Hommes et la Mer, » à une nouvelle équipe dans la Mission de la Mer » Léon commençait un périple douloureux, mais serein...