Témoignage de Léon DARRAIDOU

 

                                                                                        Le choix la décision.

 

A déjà 83 ans, il y a un certain nombre de fois où j'ai eu des choix à faire. J'en ai choisi 3 qui ont été des orientations de vie.

La première se passe en Algérie. Comme tous ceux de mon âge, j'ai accompli 28 mois de service militaire et fêté le père cent à 3 reprises ne sachant pas quand nous serions libérés. J'étais séminariste avant de partir, et au bout de 2 années de service, je n'avais pas le moral, je broyais du noir. Il faut dire que le service militaire avait été pour moi la 1ère rencontre avec l'incroyance ou tout au moins l'indifférence. Je venais d'un milieu ultra protégé où Dieu était naturellement présent toute la journée depuis l'angélus du matin jusqu'à la prière du soir.

Quand je prenais le temps de réfléchir, ma conclusion était que je me trompais de chemin et que je ne voulais pas me l'avouer. Mon engagement dans l'église était-il à remettre en cause ?

Je savais qu'un aumônier militaire, le père De l'Épinay, avait ouvert à La Bouzarea sur les hauteurs d'Alger une maison de repos et de réflexion pour les séminaristes (nous étions, à l'époque plusieurs centaines en Algérie, et le séminaire de Bayonne y a perdu 3 séminaristes) ou des chrétiens qui avaient envie de faire une halte.

J'y suis allé et en arrivant j'ai dit au père de L'Épinay, je veux une chambre pour 2 jours et qu'on me fiche la paix. J'ai besoin de faire le point. Je vous reverrai avant de partir. " Voilà la clef mon gars et à après-demain.

Deux jours, seul avec l'évangile et quelques autres bonnes lectures.

Et la lumière s'est faite, et au terme je suis allé dire au père de l'Épinay : "Finalement, mon problème c'est de savoir si je me prépare à une vie pour moi seul, une réussite personnelle, bien installée avec un fauteuil et des pantoufles, ou si je veux une vie engagée au service des autres. Je ne serai heureux que dans une vie engagée au service de tous. Et puisque j'ai commencé, pourquoi pas dans l'Église". " Ben mon gars j'ai rien à ajouter mais on va arroser ça".

Et ma paix retrouvée, je suis allé finir mon service et je suis entré au séminaire.

La deuxième se passe chez l'évêque de Bayonne. Théologiquement, la vocation n'est pas une petite voix qui vous susurre à l'oreille : je veux que tu sois prêtre, mais c'est l'appel de l’Évêque au service de l'église. Mgr Gouyon aimait vivre cela en grand, et invitait chacun des séminaristes avant l'ordination du diaconat, à aller lui servir la messe un matin puis à prendre le petit déjeuner avec lui, pour un dernier entretien avant l'appel.

Ça se passe très bien et il me dit solennellement: " je vous appelle au service de l'Église". Réponse de Léon :" Ah non ! Je veux bien être dans l'église au service de mes frères les hommes mais au service de la boutique église certainement pas".

S'en suit un silence de plusieurs minutes. Et dans ce cas-là, les minutes paraissent des siècles. J'étais interloqué de mon audace et me demandais ce qui allait se passer. Au bout de 3 ou 4 minutes l'évêque me dit : dites m'en un peu plus. Je lui explique alors ma découverte en Algérie où pour la première fois, venant d'un milieu protégé et très chrétien, j'étais en contact avec des jeunes venant de partout, n'ayant pas ma culture et affronté à l'incroyance ou tout au moins l'indifférence. Alors je me voulais bien dans une église servante et pauvre, au service de mes frères les hommes, mais certainement pas au chaud au service des déjà croyants et avec le seul souci de la vie de la boutique église ; Et j'ajoutai que des lectures de Teilhard de Chardin m'avait persuadé que le Christ fait homme et son corps mystique, une église forcément minoritaire dans le monde étaient cette partie de l'humanité par les quels tout l'humain collait au divin. S'en suivit tout un échange riche avec comme conclusion : Je vous appelle quand même. Ce « quand même» m'a résonné aux oreilles longtemps.

La troisième, se passe à Paris. Il faut que je vous dise, qu'après 3 ans comme vicaire à la paroisse de Saint Jean de Luz, je me suis retrouvé aumônier des marins pêcheurs, succédant à un prêtre qui était devenu un vrai personnage sur le port, puisqu’il était à l'origine de l'école de pêche, de la coopérative maritime de toute l'organisation du métier et du monde maritime. À l'époque les armateurs maritimes étaient des gens de terre, et les marins naviguaient pour eux. Par son action et avec le crédit maritime les marins mieux formés sont devenus propriétaires de leurs bateaux.

Je ne me voyais pas armé pour succéder à un tel personnage, et j'ai demandé à la Mission de la Mer de nous aider à réfléchir sur cette succession. La Mission de la mer a envoyé Jean Volot. C'est à Jean Volot que je dois de m'être retrouvé embarqué comme simple matelot, pour une immersion totale dans le milieu. Et une image d'église plus enracinée dans le monde. Cela a duré 2 ans, et c'est en mon absence que les copains de la Mission de la Mer, réunis en assemblée générale ont décidé de me nommer responsable de la Mission de la mer, pour cinq ans.

Mon prédécesseur Michel Heurtel avait embauché Odette Gencey pour transformer «  À dieu vat » une revue bien-pensante en un outil d'animation du monde maritime. « Les Hommes et la Mer » Comme aumônier national je devenais responsable de la revue et donc le patron d'Odette ; Il faut dire que notre collaboration a commencé par des houles assez fortes. Odette rentrait d'une tournée portuaire avec des interviews de marins qui faisaient 3 ou 4 pages. Il fallait réduire à une page et demie pour la revue. Dans ces cas-là, qu'est-ce qu'on coupe ? Les Longueurs ? Ce qui ne nous plait pas ? Ce qui ne va pas dans le sens de l'a priori éducatif qui nous habite ? Ou bien la déontologie du journalisme nous appelle-t-il à respecter la totalité de la pensée du marin ? Vaste débat qui met à nu nos choix et notre pensée profonde. Et peut-être, en la matière, était ce moi qui voulais faire dire au marin ce que j'avais envie d'entendre ; On a un projet éducatif ou pas !!!

La revue paraissait tous les deux mois et pour ce faire nous nous retrouvions toute l'équipe à Paris.     La collaboration a duré 5 ans. Avec beaucoup d'attachement à notre mission et à nos engagements. Et c'est au cœur de cet engagement d'église qu'est né d'abord notre intérêt l'un pour l'autre, puis notre amitié et enfin la découverte de notre amour réciproque, que nous avons accueilli comme venant de Dieu lui-même, puisqu'il était né au cœur de nos engagements.

Qu'est ce qui m'a aidé à remettre en cause mon engagement au célibat ?

Nous sommes en 1974. Le Concile est passé par là et Mai 68. Beaucoup de questions sont posées sur la façon dont l'autorité et le pouvoir sont vécus dans l'Église. Pour ma part je supporte de plus en plus mal d'être d'une caste cléricale dont la tradition a fait un monde à part. Je n'ai eu de cesse que les autres aumôniers nationaux du monde maritime soient déclarés comme animateurs de mouvements et donc inscrits à la sécurité sociale. Il n'y a que pour moi que je n'ai pas trouvé de solution. Et puis dans nos rencontres d'aumôniers nationaux à Paris, nous étions un certain nombre à penser que les situations de service de la société, tant dans les syndicats que dans les partis politiques que dans l'église ne devaient durer que 1, 2 ou 3 mandats 6, 12, ou18 ans et retours à la base !!! Pour éviter que la survie de l'institution devienne première par rapport au service des gens.

Et puis cette année-là, un aumônier national que j'admirais beaucoup pour son intelligence et son engagement dans l'église et au service du monde ouvrier, s'est découvert un cancer avancé, et sur son lit d'hôpital a voulu régulariser sa situation. Et l'on a découvert là qu'il avait femme et enfants et qu'il souhaitait se marier dans sa chambre d'hôpital avant de mourir. Découvrir qu'il menait deux vie parallèles et qu’il avait fait vivre cette clandestinité à sa femme et à ses enfants, ça, ça ne ressemble pas à Léon, et d'emblée j'annoncerai la couleur.

ça a eu lieu en septembre 1974 à la fin de mon mandat de 5 ans. Nous avons annoncé notre amour et notre désir de nous marier. Cela a fait du bruit dans le landernau local, et les copains ont poussé jusqu' à demander à nos responsables, la commission épiscopale maritime, si dans le monde maritime si loin de l'église établie il n'était pas possible d'intégrer un prêtre marié et sa femme dans l'effort collectif de présence au monde maritime. La réponse de la hiérarchie a été négative.

Pour me marier avec Odette, y compris religieusement, il a fallu que je demande à Rome mon retour à l'état laïc. On disait avant le concile « réduction à l'état laïc » ce qui n'était pas très gentil pour les laïcs, mais qui démontre bien l'état de la question dans l'église, et son cléricalisme que le pape François ne cesse de dénoncer. Nous avons eu la chance de partir sous Paul VI qui a accepté 3200 départs de son temps, principalement en Europe. Jean Paul II, aucun à ma connaissance, et il a dû en partir autant qui ne sont pas en situation régulière aux yeux de l'église. D'où un nombre de souffrances cachées dans les familles, ce qui m'empêche aujourd'hui encore de prier Jean Paul II. Durant ma responsabilité nationale j'ai aidé plusieurs de mes copains prêtres à partir dans de bonnes conditions dont certains sont restés marins, sans imaginer que la question se poserait pour moi également.

En conclusion je me considère aujourd'hui comme un laïc qui a été prêtre 12 ans, un époux comblé et un père de famille et un grand père heureux.

 

" Le choix la décision " Questions/Réponses

Au sujet de la Communion !

Léon est retourné à l'état laïc et peut donc communier.

Par contre un divorcé remarié ne le peut pas.

Tu nous en as parlé en groupe, mais cela peut intéresser tout le monde….

 

Ça s'est passé dans la famille, pour l'enterrement de ma mère. J'ai un frère qui est divorcé – remarié. Un prêtre, natif du village qui célébrait les obsèques a dit à mon frère : "Surtout tu ne te présentes pas à la Communion, je ne voudrais pas te faire l'affront de te refuser la Communion en public"

Et moi, j'ai pu communier. C'est dommage que je ne l'aie pas su avant la messe. - C'est mon frère André qui me l'a raconté, - parce que je pense, que je n'aurais pas réfléchi, mon hostie, je l'aurais divisée en deux et j'aurais donné la communion à mon frère.

Donc c'est vrai, que ça fait deux poids deux mesures. Moi je m'étais engagé au célibat, je retourne à l'état laïc, je peux me marier et je peux communier. Et mon frère qui avait loupé son premier mariage mais qui avait réussi son second ne peut pas communier au moins dans son village natal.

Déjà quand j'étais à Saint Jean de Luz, je me rappelle mon curé de l'époque qui avait été mon prof de morale au grand séminaire, conseillait à des gens divorcés et remariés, mais dont le couple était exemplaire. Il leur disait : "Écoutez, vous pouvez communier, mais surtout pas à Saint Jean de Luz où vous êtes connus. Donc allez communier dans la paroisse d'à côté. Respectez le scandale possible des faibles.

Nous sommes donc très respectueux des faibles mais pas forcément des gens mariés et remariés.

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