Grenoble,réunion du lundi 12 mars 2018

 

« Comment on a vécu mai 68 et ce qui nous en reste »

13 participants + lettre

 

 

A_ (mèl lu) : J’ai soutenu ma thèse de doctorat le 17 juin 68. Impossible de retarder car je devais partir au service militaire. Je ne vous dis pas les difficultés pour réunir le jury, un appariteur et une salle à la fac. Tous les jours de longues marches dans Paris pour aller de chez mes parents à l’annexe de la fac située entre Luxembourg et Panthéon, en plein dans les barricades de la nuit dans une atmosphère pleine de gaz lacrymogène (bonjour les yeux). D’autre part nous habitions dans le quartier des ministères et à 100 m de l’Hôtel Matignon (premier ministre). Là le retour le soir, rebelote avec les CRS, les gaz lacrymogènes et à chaque coin de rue contrôle des papiers d’identité. Certains jours il fallait faire un véritable gymkhana pour rentrer à la maison (les CRS n’aimaient pas les jeunes). J’ai un copain qui passait et ne manifestait pas, qui s’est fait tabasser par les CRS,  jeté à terre : matraque et coups de pied, il en garde encore des séquelles.

 

Quand je suis rentré du service militaire au début des années 1970, après toute cette chienlit c’était le marasme. Plus personne n’embauchait, et il fallait bien trouver du travail. Plus question de rester chez papa/maman. On m’avait bien fait comprendre qu'ayant fini mes études et mon service militaire il fallait quitter le nid (je suis l’aîné d’une fratrie de sept). J’ai mangé de la vache enragée pendant plusieurs mois !!!

Un de mes frères né en 1950 et qui a passé son bac en 1968 ne raconterait pas du tout les mêmes choses que moi.

Conclusion : je ne peux pas dire que j’ai gardé un bon souvenir de mai 68.

 

B_ : J’étais assistant à la fac de Grenoble. Je devais réunir un jury de thèse et préparer mon départ au Chili. J’allais quelques fois à Paris et voyais les manifs. Je suis aussi allé à la Sorbonne : c’était du cinéma ! La police s’est bien débrouillée.

À l‘université, grand changement de mentalité, la hiérarchie s’est cassée.

En 68 au Chili il ne se passait pas grand-chose dans mon université catholique.

 

C_ : J’étais en première dans un lycée de la région parisienne. L’école a fermé dès les premiers jours et je suis restée à la maison. Par la suite, ayant manqué deux mois complets, on a eu cours les samedi matins pour rattraper.

 

D_ : Je travaillais en entreprise et elle s’est arrêtée. Peu politisé, je voyais les choses de l’extérieur. Nous avons acheté un appartement en mai 68. Je suis aussi allé au ski.

Je suis allé, en voiture, à un salon professionnel à Paris. Les postes à essence étaient vides, les restaurants vides….

À Lyon une voiture fonce sur la foule : 1 mort.

Changement : réorganisation de la façon de travailler au boulot.

 

E_ : En 1968 c’est la guerre urbaine entre les communistes et le Sud Vietnam. Les catholiques ont bien suivi Vatican II. Ainsi au cours d’une formation des jeunes on décide : « aujourd’hui on ne lave pas la vaisselle, ce sont les prêtres qui la feront ».

Politiquement on n’est pas informés, chacun est conditionné par son camp.

 

F_ : En classe de BTS au lycée Diderot de Paris. On rouspétait d’être considérés comme de simples élèves de lycée, alors qu’on était étudiants. Discussions avec les profs et des étudiants.

Les trains ne circulant presque plus, il était difficile d’aller sur Paris. J’ai quand même participé à deux manifs, dont celle du 13 mai ; il y avait grève générale sur toute la France. Je n’ai pas vu les violences.

C’est le début de ma sensibilité politique et je prends ma carte à l’UNEF. La solidarité se vit surtout par la radio.

Dans ce mouvement de contestation la France est en retard par rapport aux USA et à l’Allemagne.

Changement : la mixité apparait.

 

G_ : Je travaillais à Sogrehah depuis 8 ans, entreprise rattachée à Neyrpic. Engagé à la CFDT on vit la grève avec pas mal de réflexions, la direction ayant disparue.

Jean Lacouture est venu nous rencontrer sur le thème de la « formation continue ».

Certains angoissent : « où cela nous mène t’il » ?

On profite aussi de notre chalet.

 

H_: Mère de famille à Lyon, à la maison, avec 3 enfants. Mari à la montagne.

Les enfants sont à l’école libre. L’un des professeurs de CM 2 a des idées dans l’air du temps et je le soutiens. La plupart des parents de l’école me tournent alors le dos.

On avait quand même peur pour la suite. Notre information se faisait par Europe 1.

Avec le mouvement MCC on avait une réflexion.

 

I_ : étudiante en licence à Grenoble. C’est pour moi une bouffée d’oxygène d’être à la fac. Assez peu politisée, le mouvement me parait généreux. Cependant je vis mal les engueulades dans les amphis. J’écoute le discours de De Gaulle au pied de mon immeuble, dehors. C’est la presse qui fait l’évènement, parfois avant qu’il arrive. Ainsi j’ai un accident de voiture sur le campus, les policiers arrivent. Les médias nationaux écrivent de suite « la police envahit le campus de Grenoble ».

 

J_ : En fac 1° année à Metz. Je n’ai pas de bons souvenirs, on parlotte en A.G. et c’est à celui qui crie le plus fort. Ma famille, gaulliste, est inquiète.

Si mai 68 ne m’a pas perturbée, ma famille l’a été. Ainsi ce slogan : « il est interdit d’interdire ».

 

K_ : Mariée avec deux enfants, je n’ai aucun souvenir de cette période. Professeure au lycée des Eaux Claires, les élèves ont eu congés pour les Jeux Olympiques, maintenant congés pour mai 68. Comment finir le programme ?

Le changement c’est que le lycée qui n’accueillait que des filles reçoit maintenant des garçons. Ils sont d’ailleurs émancipés.

 

L_ : étudiant en première année d’école d’ingénieur Supélec, je réside à la cité U. Toutes les activités se sont arrêtées progressivement. À la cité U il y a beaucoup de discussions. Je vais à la Sorbonne et à l’Odéon. Dans ce dernier lieu Il y a beaucoup de monde sur la scène et tous parlent en même temps. Certains crient « « laissez les parler » ! On parlait des ouvriers O.S sans savoir ce que c’était. Les communistes, trotskistes, faisaient un peu peur.

Une fois nous prévoyons, avec quelques copains, d’aller en 2 CV, faire de l’escalade à Fontainebleau le lendemain. À 8 heures du matin on frappe à ma porte. C’est mon père, militaire, qui m’embarque pour la campagne afin de quitter la « chienlit ».

 

M_ : En DEA à Grenoble. En A.G. on nous fait peur de la police. Au labo il y a beaucoup de discussions mais je suis peu politisée. Je passerai mes examens écrits et oraux en septembre.

Je suis en Autriche au moment du printemps de Prague où je passe un week-end, donc très choquée à mon retour d’apprendre l’invasion de la Tchécoslovaquie.

Mon père militaire de carrière, a dû prendre sa retraite en 1966 à 56 ans, nous sommes encore 7 enfants le plus jeune a 7 ans. Il trouve du travail dans l’aménagement du territoire et en parallèle s'est inscrit à l’Institut d’Études Politiques de Grenoble et préparera un mémoire de 2ème cycle. Impliqué à divers titres avec des jeunes, il cherche à les comprendre. Il ira dans les manifestations, il n’est pas gaulliste, ni communiste ni anarchiste bien sûr. Il a eu de sévères remarques de la hiérarchie.

Changement : moins de mandarins à la Fac 

  

N_: Prêtre en paroisse nous ne vivons pas directement les évènements. Pourtant notre esprit ayant été éveillé par le concile Vatican II et fortement interpellé par notre service militaire en Algérie nous nous sentons très à l’aise dans ce mouvement de libération de la parole. Dès juin 68 les jeunes prêtres du sud est se réunissent à Chamrousse et décident de rejoindre la vie des citoyens. Le mouvement « Échanges et Dialogue » formule 3 revendications : travail salarié, engagements dans la vie sociale, liberté du mariage.

En janvier 69 je suis embauché comme manœuvre dans une usine métallurgique. Durant l’été 70 je quitte la paroisse et m’installe en ville avec deux confrères vivant la même évolution. L’évêque Matagrin me reçoit presque une fois par mois. Il est d’accord avec nous qui quittons les paroisses correspondant à la France rurale et tâtonne pour ébaucher de nouvelles formes de ministère. Il pense à quelque chose du type aumônier d’action catholique. Mais nous tenons à l’insertion par le travail. Les premiers mariages vont susciter une coupure radicale dans l’église catholique. Impression d’une occasion manquée de renouer avec la société tout en annonçant la nouveauté de l’évangile dans les périphéries.

Il ne nous reste plus qu’à être de bons citoyens, trouver un emploi, être de bons pères de famille, de bons grands-pères. La plupart d’entre nous éduquerons leurs enfants dans la foi chrétienne.

Comme l’a dit le pasteur Muller : « mai 68 reste pour moi un moment rare et éphémère pendant lequel le peuple a eu la parole, avant que les hiérarchies ne se reforment ».