MES EXPÉRIENCES DE SOLITUDE

Aix-en-Provence, 10 mars 2014

 

13 présents


Il n’y a que les célibataires qui peuvent savoir ce qu’est la solitude. C’est ce que je vis depuis des années. La solitude romantique, c’est vrai quand on est jeune, mais pas quand on est âgé et seul. Le départ de mon ami a été pour moi un méfait et m’a fait descendre au fond de moi-même alors que je veux être dans le divertissement. Je vis ma solitude comme un échec. Une fois, j’avais tout préparé pour un concert de musique auquel je me faisais une joie d’assister. J’ai oublié d’y aller, et je pense que ça ne serait pas arrivé si j’avais été accompagné. Autrefois, la solitude était plus supportable, parce qu’à la campagne il y avait la famille et l’héritage. Aujourd’hui nous sommes disséminés et on finit seul. La solitude est une calamité.

 

« La solitude est une arme à double tranchant : elle renforce les forts et affaiblit les faibles » (Rousseau)

Seule, je suis épanouie grâce à Jésus. J’aurais pu être en couple, mais j’ai fait le choix d’être seule. Je suis bien, capable d’observer longtemps une coccinelle sur mon balcon. La solitude m’aide à mieux profiter de ces moments. Quand on est vieux, on peut être soi parce qu’il n’y a plus d’ambiguïté.

On peut ressentir la solitude sans être âgé. Je n’ai jamais vécu plus de 15 jours à deux : j’aime partager des bouts de vie, l’absence d’autre me manque, mais j’ai besoin de me retrouver seul pour être moi-même et libre. Mon père était très invasif ; pouvoir être seul m’a donné le goût de la liberté. Si j’étais en communauté, j’aurais besoin d’un espace privé pour être exempt de tout jugement. Le téléphone sonne toujours quand je n’ai pas envie de décrocher. Les bouchons d’oreille m’aident parfois à ne pas entendre le bruit du monde.

 

J’ai eu deux expériences de solitudes, difficiles dans les deux cas.

- Une exclusion volontaire du cercle d’amis avant mon départ dans les îles australes, pour économiser de l’argent ; je me suis retrouvé plus près des chiens que des hommes.

- En mai 1968, isolé sur un atoll, sans ordres ni informations sur la famille.

 

Aux Kerguelen, durant les missions en petit nombre, j’ai ressenti le risque lié à la mission, mais pas vraiment la solitude. J’aime la fausse solitude par exemple lors de promenades dans la nature, car la famille n’est pas loin. Je garde quand même le regret de ne pas avoir fait le chemin de Compostelle seul, mon épouse était incapable de marcher seule.

 

Je distingue la solitude choisie – le besoin de m’évader parfois à la fac – et la solitude subie qui est plus difficile à vivre. Être sans mon conjoint à la messe me dit que je ne dois pas être un bon prophète. J’ai été la seule de ma fratrie à savoir que ma mère trompait mon père. C’était dur de porter seule ce fardeau.

Je suis extravertie, mais en même temps je suis dans une solitude profonde qui correspond à mon tempérament. C’est l’effet de la vie en pension pendant des années. Je pense avoir cherché à me construire sans aide extérieure. Aujourd’hui, je n’aime pas être envahie dans ma sphère, mais peut-être que je ne supporterais pas la solitude sur le long terme.

 

J’ai vécu très longtemps sans savoir ce qu’était la solitude. Je l’ai compris quand mon conjoint était au service militaire. Les absences de mon « zorro » pendant 48 h c’était parfait, j’avais mon autonomie, mes choix d’alimentation, mes musiques, mais les absences de deux mois étaient un peu longues. Peut-être dans les années à venir aurai-je à affronter la vraie solitude ; ce n’est pas la forme de solitude que je voudrais.

 

Je vois plusieurs formes :

- La solitude physique: je l’ai peu vécue, et les moyens de communication – téléphone, Internet – en atténuent les effets.

- La solitude « intellectuelle » : J’aime travailler seul, et même quand j’étais en travail d’équipe, la composante du travail personnel comptait beaucoup pour moi ; j’aime aborder des problématiques une approche très personnelle qui déroute les autres… ou ne les intéresse pas.

- La solitude morale : c’est celle que je redoute pour le futur : les enfants qui prendront peut être une distance plus grande avec moi, des accrocs dans les amitiés, me sentir déphasé par rapport aux discussions des autres ou me sentir non écouté quand je m’exprime.

 

Je ne connais pas la solitude. J’ai eu des expériences d’excès de manque de solitude : études, service militaire. J’ai vécu 3 jours de solitude à l’occasion d’une intervention chirurgicale : moment d’inconfort mais peu significatif. Je ressens la solitude quand j’ai des difficultés à faire partager mes idées. Je considère avoir eu beaucoup de chance en étant toujours bien entouré. J’ai découvert a posteriori que mon déficit de relation avec mon père ne s’apparentait pas à de la solitude, d’autant qu’il était compensé par la présence de ma mère.

 

Je me considère comme plutôt solitaire. J’aime bien être tout seul, car ça me permet de penser et de bâtir des projets. Avant de connaître celle qui deviendra mon épouse, j’ai perçu que je construisais dans le vide. Depuis, sa présence remplit ma vie. Quand elle s’absente longtemps, je profite au début de la liberté de me retrouver à mon rythme, mais la deuxième semaine commence l’attente du retour.

 

Je me suis interrogée sur solitaire versus solitude. La solitude est un isolement, voulu ou subi. Dans mon enfance je n’ai jamais connu la solitude. Voulant être moi-même je ne voulais pas me marier, puis j’ai trouvé l’homme de ma vie. Étant expatriée, je me suis retrouvée à la maison avec 3 enfants, sollicitée en permanence. Aujourd’hui je les appelle tout le temps. Mais les 30 heures de vol pour retourner dans mon pays natal sont un moment de solitude heureuse. Une fois là-bas, j’appelle mon époux tous les jours. J’ai la surprise d’être bien accueillie alors que j’ai l’impression de le harceler. Je m’emploie à atténuer la solitude que peuvent éprouver mes parents.

Il est parfois nécessaire de revenir sur soi-même et prendre de la distance par rapport à un contexte social contraignant.

Une expérience de solitude est toujours une prise de conscience. Il suffit de se sentir étranger dans un groupe pour éprouver le sentiment de solitude. La souffrance est aussi cause de solitude, car les autres ne savent pas se mettre à votre place. Je considère qu’il n’y a pas de solitude heureuse et qu’une solitude vécue comme heureuse n’est pas une vraie solitude. La solitude vient d’un manque fondamental dans sa personnalité.