À l’Abbaye de la Pierre Qui Vire, 30 Juin 2019

Père Bruno Régent

" Discerner aujourd'hui "

Questions - Réponses

Questions du groupe n°1 :

1/ Pourriez-vous nous expliquer une de vos phrases : discerner sur le comportement, plutôt que sur le "comment" ou sur le "quoi" ? "Quoi faire" ?

2/ Peut-on discerner tout seul ? Peut-on être juge et partie ?

Également, le discernement sur nous-mêmes et le discernement sur les autres ?

3/ quelles sont vos distractions ? Qu’appelez-vous une distraction ?

 

Questions du groupe n° 2 :

1/ dans le contexte de la société et de l’église, quel espace de suprême liberté avons-nous ? Pour tout seul ça marche… mais dès qu’on se retrouve avec les autres… c’est différent.

2/ une autre question sur la première urgence dont vous avez parlé, se convertir, est-ce que cela veut dire : "découvrir son être véritable" ?

 

Réponses du Père Bruno Régent :

Bien, je commencerai par les deux dernières questions et je remonterai ensuite.

Se convertir, je ne suis pas du tout contre une telle formulation.

Pour donner un exemple, Pierre et Jean montent au Temple après la Résurrection, c’est un récit dans les Actes des Apôtres : il y a un boiteux qui mendie à l’entrée du Temple. On est dans une situation moderne où on a tout le temps des mendiants à nos portes. Et donc la question c’est : comment je le regarde ? Quel regard je porte sur lui ? Il mendie : j’en pense quoi ? Je le vois comment ? Et derrière, ça déclencheun « que faire ? » Je lui donne la pièce ? Je lui fais un clin d’œil ? Je fais quoi ?

L’expérience de Pierre, c’est d’avoir désiré suivre son Seigneur et de l’avoir renié, et au moment de la fin du reniement, quand il est dans le trou, sans le savoir, il croise le regard de Jésus qui le regarde, alors que Jésus est en même temps au tribunal avec Caïphe, et ce regard de Jésus fait qu’il s’effondre et qu’il en pleure toutes les larmes de son corps. Il se convertit. Il y a quelque chose de sa superbe, de son côté disciple, bon élève, "je vais donner ma vie pour toi, je vais tout bien faire, j’ai une vie, etc…" Il y a quelque chose enfin de son orgueil qui tombe et il découvre que ça n’est pas de tout bien faire qui importe, il n’entendait pas ce que Jésus lui disait et n’arrêtait pas de lui dire, il fallait que Jésus passe par la Passion et la Résurrection. C’était une nécessité. Et c’est un ordre qui est inaudible au monde.

Ce passage, par le point zéro de son humanité où il a perdu la face. Il n’a plus aucun mérite. L’évangile de Jean dira « il est nu ». Il se retrouve devant Jésus qui ose lui dire : « Pierre, m’aimes-tu ? ». Et à cet endroit-là : « Paix mes agneaux ! Paix mes brebis ! ».

Du coup quand Pierre voit ce boiteux, il voit un frère en humanité, qui est un pauvre, et Pierre lui-même est de cette même pauvreté qui a été guérie par Jésus. Du coup, il ne cherche pas la pièce de monnaie dans sa poche, donnant de son superflu, il essaie de lui donner quelque chose qui est le meilleur de lui-même c’est-à-dire : "tu es mon frère, en humanité". Et donc, il dit à ce boiteux : « De l’or et de l’argent, je n’en ai pas, mais au nom deJésus-Christ, lève-toi et marche ! » Au nom de ce Jésus-Christ qui m’a relevé de mon reniement, qui m’a mis debout, et bien moi, à mon tour, je peux te dire avec la même force parce que c’est celle qui m’habite et celle dont je vis : « lève-toi et marche ! » et il entre dans le Temple, j’allais dire main dans la main avec Pierre et Jean louant le Seigneur !

Se convertir c’est j’allais dire redéployer la manière de se voir dansle rapport à Dieu, de voir le rapport aux autres et à un niveau de profondeur qui fait que je ne suis plus le bon élève qui cherche à tout faire, je ne suis plus dans un rapport de générosité aux autres, je suis dans un rapport de fraternité humble qui fait que la seule chose que j’ai à offrir c’est ma pauvreté qui est marichesse.

Je peux te dire, "moi, je ne suis pas un surhomme, mais je suis aimé à l’endroit de ma pauvreté et ça je te le donne. Et donc toi qui est pauvre, qui est boiteux, dont les limites sont évidentes, tu es mon frère, allons ensemble, rendent grâce à Dieu au Temple", « lève-toi et marche ! »

La conversion, elle est à ce niveau-là : « que faire ? » Et, j’allais dire, pour ressouligner dans le même épisode, juste après les grands prêtres sont très embêtés et se posent la question « que faire ? » La question est dans le texte des Actes, en disant, "Pierre et Jean ont redressé le boiteux de la Belle Porte et ils nous enquiquinent parce que du coup les gens vont se mettre à croire en ce Jésus, etc"… Ils troublent l’ordre établi « que faire ? » Et on voit bien que cette question du « que faire ? » elle est enracinée dans la manière de voir de ces grands prêtres qui sont modelés par "il faut défendre l’ordre établi, un pouvoir, le bon ordre", et ils vont essayer d’intimider les apôtres dans cette logique. Donc la question du « que faire ? » elle prend sa racine dans "qui je suis, comment je vois le monde, comment je me vois, comment je vois le rapport aux autres"...

Et donc la conversion, elle est indispensable pour que les jugements, les paroles,les gestes, que je vais dire s’enracinent dans l’évangile et non pas dans une générosité mal placée, un orgueil ou un statut, qui continue à se chercher, mais c’est mon ego qui se cherche à travers les images évangéliques idéales, et ce n'est pas juste.

Donc, voyez la question de la conversion… j’aime bien la pyramide de François de Sales. Il dit, dans toutes décisions, vous avez un niveau qui est la base où vous réfléchissez aux raisons pour et aux raisons contre, aux choses évidentes, ça veut dire aux lois civiles, vous évaluez « ça va coûtez combien ». Vous êtes assis et vous réfléchissez aux critères tout simples. Après ça, il y a un deuxième niveau, vous êtes "bon chrétien" quand même, donc vous avez quand même quelques critères éthiques, et pas seulement des choses élémentaires de base et si vraiment, vous êtes "bon chrétien", vous allez prendre ces critères : quelles sont les lois de l’Église ? Qu’est-ce que l’Évangile me dit ? Quand je prie, comment je suis inspiré ?

Qu’est-ce qui serait bien de faire ? Pour finir, à la fine pointe de l’âme, il y a une décision qui se prend qui est au-delà de toutes les logiques précédentes. Toutes les étapes précédentes de réflexion sont utiles mais ne sont jamais décisives. Ce qui fait que nous décidons, nous choisissons, j’allais dire c’est un endroit secret qui échappe à notre analyse et à nos raisons, qui est au-delà et qui vient du fondement du cœur.

Pour donner un exemple que je trouve célèbre, c’est Dietrich Bonhoeffer, pasteur protestant, il fuit l’Allemagne en 1932-1933, aux États-Unis, quand il voit la montée du nazisme, en disant "moi cette culture, je ne supporte pas, je ne vais pas pouvoir vivre, je m’en vais". En 1938, il voit tout ce qui est en train de se passer qui est effectivement le passage à l’acte de ce qu’il craignait, et il se dit « je dois rentrer ». Et dans son journal il écrit « je ne sais pas dire les raisons qui font que je dois rentrer, mais c’est une intimation, c’est comme un ordre qui est à la fine pointe de l’âme sur lequel on ne peut pas dire, "mais il n’y a rien à faire"… Je ne peux pas ne pas être solidaire de mon peuple, et il faut que je le rejoigne dans les combats de la vie et de la mort qui le mène.

Et il mourra en camp de concentration.

Nos choix touchent à cette fine pointe de l’âme et François de Sales a l’audace de dire contrairement à ce que beaucoup pensent et que j’ai pensé : nos décisionsnesontjamaisprisesàcausederaisons,ellessontprisesàcausedenotre volonté et d’un désir caché qui épouse un certain nombre de raisons derrière lesquelles nous nous masquons, qui aident à asseoir notre volonté, mais c’est un désir profond qui toujours nous fait regarder le monde, qui nous fait voir les choses, et notre désir profond, d’un côté va nous faire succomber à de la convoitise, et à prendre, ou de l’autre parce que mon désir est profond, il estd’une vraie liberté intérieure ;

Je vais regarder à qui ça peut profiter et je peux le donner.

Se convertir, toucher à son désir profond à sa manière de voir est essentiel pour le choix de l’agir et il n’est pas second, et si le choix de l’agir est premier, alors nous sommes à la télévision en train de nous dire quel est le bon critère, la bonne image, au niveau de l’échelle de valeurs, le fait de mettre l’agir en premier, ça risque fort de donner des critères de visibilité.

Or Matthieu 25, désolé, mais il nous dit et nous redit, "vous ne saurez pas quand vous ne m’avez pas visité, vous ne saurez pas quand vous m’aurez visité, vous ne le savez pas". Les justes comme les autres en Matthieu 25 découvriront "ah tu étais là », « ah, là je t’ai visité », et donc on ne le sait pas, on peut s’inventer tout ce qu’on veut comme imaginaire, c’est non, on ne le sait pas. Voilà, se convertir c’est toucher à nos attachements internes, du coup à la question de la liberté.

La liberté ce n’est pas le libre arbitre. Être libre, c’est obéir. Être libre, c’est obéir. Et non pas faire ses quatre volontés à sa fantaisie. Obéir c’est consentir à l’intimation que j’ai au cœur. Pour obéir, il faut écouter : s’il n’y a pas d’écoute, on ne peut pas obéir.

Etre libre, c’est être libre de sa volonté propre, c’est être libre de ses fantasmes, c’est être libre de ses esclavages, c’est pouvoir dire oui à ce qui est au plus

profond de nous, l’appel à la vie. Et donc, je suis libre par rapport à ce que je possède, je suis libre par rapport à mon histoire et à la manière de la relire, jesuis libre par rapport aux blessures que j’ai vécues et je peux redéployer quelque chose, etc… etc… Être libre c’est dire oui à la vie qui est en moi au plus profond et que j’entends à travers d’autres.

Pour reprendre un élément qui est : « est-ce que je peux discerner seul », c’est évidemment impossible. Et on ne peut pas être dans l’illusion d’avoir un discernement vertical où " Dieu me parle, Dieu m’a dit, donc j’ai la réponse et je fais ". Le discernement, il a toujours une dimension relationnelle avant, pendant, pour recueillir des avis, pour découvrir la loi de l’Église, pour entendre ce que dit la société ; il a besoin d’entendre et de manière paradoxale, pour ajouter sur la question de la liberté, même un religieux n’obéit pas à ses supérieurs. L’obéissance, quand je dis être libre c’est obéir, on n’obéit qu’à Dieu.

Et nos exercices, tous à l’endroit où nous sommes, religieux inclus, pape inclus, c’est d’écouter dans la société, dans le monde, dans l’Église, dans mes proches, dans mon conjoint, d’affiner son oreille pour entendre la parole de Dieu qui se dit à travers tout cela. Donc on n’obéit pas aux névroses d’un conjoint ou d’un chef, on n’obéit pas à ces ordres idiots, on n’obéit pas au sens fondamental du terme, à des raisons. Je me laisse convaincre. Ou bien on se trompe sur le mot obéissance.

Quand je dis obéir, ça n’est pas de l’ordre de l’exécution. Je respecte le code de la route, ce n'est pas de l’obéissance. L’obéissance, c’est quelque chose qui touche à mon existence, à un enjeu à qui je dis oui et la liberté, elle n’est pas de respecter le code de la route ou pas le code de la route, c’est au niveau des choix de vie, de la manière de vivre, d’être en relation, est-ce que je suis enfermé sur moi-même ou est-ce que je suis un vivant et ça rayonne !

Donc, obéir, obéir à Dieu, nous avons à entendre la Parole de Dieu, comment Dieu parle à travers ce que les autres me disent.

Entendre, on entend la Parole de Dieu à travers l’évangile, en priant, etc… mais autant, en particulier dans la vie religieuse, tout religieux doit faire l’exercice particulier d’entendre de manière privilégiée dans la parole de son supérieur la Parole de Dieu. Et s’il obéit à la matérialité de la parole de son supérieur, disons, intérieurement, il doit le vivre comme une obéissance à Dieu et non pas à la névrose du supérieur. Et c’est pareil dans la vie militaire, dans la vie civile, dans tous univers, nous n’avons pas à obéir, on peut s’exécuter, on peut etc… mais l’obéissance noble du terme, c’est-à-dire l’exercice de notre liberté, c’est devant Dieu. Voilà, et pas devant la télévision, et pas devant la caméra, pas devant le miroir pour regarder si je suis beau. Non.

Alors, du coup l’espace de liberté dans l’Église, seul, cela marche, ou bien, je suis désolé, je ne suis vraiment pas d’accord et de même on ne discerne pas tout seul. Pour dire les choses autrement et par un autre biais, sur les grandes dimensions anthropologiques, la bible dès Genèse 2 dit : « il n’est pas bon que l’homme soit seul ». Alors, bien sûr on peut le prendre pour les hommes au sens masculin du terme, mais c’est tout être masculin ou féminin, « il n’est pas bon que l’homme soit seul ». Et pour prolonger ce que dit le texte de la Genèse, Dieu voit bien que cet homme seul, il ne trouve pas parmi les animaux une aide qui lui convient, et donc il y a ce sommeil mystérieux, dont la bible dit dans l’une ou l’autre traduction que Dieu prend une côte d’Adam pour en faire la femme, Ève.

C’est un peu dommage que le terme hébreu pour dire la côte d’Adam c’est aussi bien un côté, ce qui veut dire que l’homme à deux côtés : un côté masculin, un côté féminin, et que l’unité de l’homme elle est tout de suite deux. Et quel’individu, l’individu moderne, mais l’individu de tout temps et la Bible n’arrête pas d’en parler, montre que c’est une erreur de se penser en solitude, en individualité. L’homme est créé structurellement, l’être humain il est tout de suite deux et deux pour devenir trois, à l’image de la Trinité.

Donc quand nous nous imaginons ou que nous nous pensons seul, c’est une erreur. Et si l’Église a des défauts, si l’Église a un visage etc… C’est justement pour cela, j’allais dire, que nous sommes créés.

L’église comme tout le reste de l’humanité, on voit bien que "si tout le monde il était beau, tout le monde il était gentil", il n’y aurait pas besoin de l’Incarnation. Et le Christ ne serait jamais venu.

S'il n'y avait pas de boulots difficiles à faire dans le monde, Dieu n’aurait pas besoin de nous et ne nous appellerait pas. Et c’est bien parce qu’il y a des boulots compliqués que nous sommes invités à y participer.

Voilà, ce que traverse l’Église aujourd’hui touche évidemment notre espérance et notre foi et notre manière de regarder l’Église, mais il y a une manière de regarder les difficultés d’aujourd’hui qui est de dire, "eh bien oui, le Seigneur a bien besoin de nous, et les tâches sont bien compliquées, et la question du respect, du respect de l’autre, de tout autre, quel que soit son âge, c’est pas une question pour les autres, c’est une question pour mon existence, et j’ai aussi à balayer devant ma porte sur ma manière dont effectivement je vis le respect, et c’est pas simple. Et nous sommes tous appelés à essayer de construire une Église dont les membres sont respectueux de la différence des autres, etc…

Alors encore un point sur la question du discernement qui venait dans les premières questions, discerner sur soi, discerner sur les autres : c’est vrai que ce que je peux entendre d’autre sur moi, ça m’aide au sens où ça me révèle des choses, ça m’éclaire, sur des points que peut-être je ne veux pas voir ou que je ne pensais pas. De même, je peux aider d’autres en disant des points que j’observe quand je suis supérieur, ce qui est le cas aujourd’hui dans une communauté, ma parole a un poids et je me dois de l’exercer. Une chose, c’est d’être dans une parole de discernement, l’autre chose, c’est de penser que j’ai la vérité. Et ça c’est très différent. Une chose est de discerner, mais ce n'est pas parce que j’ai discerné que j’ai la vérité.

Il y a une lettre très célèbre, dans les milieux Jésuites qui indique quelque chose de ce point, celle de François de Borgia, duc de Gandhi. Étant très secrètement entré dans la Compagnie de Jésus, il a perdu sa femme, la vie de ses enfants est réglée, et puis ça devient publique qu’il est jésuite, il devient prêtre, etc… et comme c’est quelqu’un issu de la noblesse et tout ça, le Pape veut le nommer Cardinal. Ignace de Loyola, prévenu que le Pape veut le nommer Cardinal, envoie à François de Borgia une très belle lettre lui disant : « J’entends qu'il y a des pressions pour que tu deviennes Cardinal, alors ici à Rome, on a réfléchi, on a prié, on a discerné, et donc le résultat du discernement c’est que tu dois tout faire pour refuser le chapeau de Cardinal.

Maintenant, les voies de Dieu sont impénétrables et il est possible que les agissements du Pape et d’un certain nombre aboutissent à ce que tu deviennes Cardinal. Eh bien, tu l’accepteras. » Cela veut dire, " Nous, l’Esprit-Saint nous demande de te dire, "tu dois refuser", et puis il se peut que pour finir le discernement d’autres aboutissent à ce que tu vas le devenir. Eh bien, vis cela paisiblement ".

Voilà, … il nous est demandé à nous à partir de ce que nous recevons et voyons, de dire des choses. Mais nous n’avons pas la vérité. Nous devons le dire, et une fois que c’est dit : c’est laissé à d’autres, c’est laissé libre, et la manière dont les autres le reçoivent et le pensent et interagissent avec d’autres, ça va devenir « on ne sait pas ». Une graine est semée et ça pousse tout seul, de jour, de nuit, etc… C’est pas en notre pouvoir et il n’y a pas à se désoler de ne pas maîtriser cette croissance. Donc, discerner oui, discerner en relations avec les uns et les autres, oui, mais dans une dimension intérieure où nous ne possédons pas la vérité. Il nous est demandé de tenir des positions, mais pour autant c’est dans une interaction avec d’autres qui ont d’autres avis multiformes ; l’Esprit, il sait ce qu’il fait, donc nous avons à vivre dans la confiance et dans la foi.

Alors, les distractions, là il y a deux mots, il y a deux expressions à "distraction". Il y a d’un côté distraction, ce qui me distrait de moi-même, c’est-à-dire qui fait que je suis en dehors d’une présence à moi-même, que je suis hors de moi, pour des tas de raisons, alors ça ce n'est pas bon et quand je sens qu’il y a des situations ou des images qui me distraient dans le sens de ce que dit Pascal, dans ce sens-là, j’ai à y renoncer.

Par contre, je suis comme tout le monde, nous sommes des êtres humains, nous avons besoin de rythmes, il y a donc des moments où nous sommes concentrés, nous travaillons, … et il y a des moments où il y a à relâcher cette concentration, ily a à se détendre : j’aime beaucoup nager, je fais du vélo, il m’arrive de faire des réussites en jouant aux cartes, par exemple, il y a des moments de relâchement, Mais en même temps, ce ne sont pas des moments où l’imaginaire galope dans tous les sens, ça non.

Questions du groupe 3 :

Quelle est la part de l’intuition dans vos choix ?

Comment les Exercices Spirituels sont pour vous un moyen de discernement ? Pourriez-vous nous parlez de choix faits dont vous auriez le regret ?

Questions du groupe 4 :

Comment après avoir fait un choix être sûr que c’est le bon choix ? Qu’est-ce qui vous permet d’être compétent pour accompagner les gens ?

Choix faits dont j’ai le regret ? Pour nous tous, c’est une question… et la réponse, c’est que je n’en ai pas, ou je voudrais ne pas en avoir au sens où il nous est demandé de ne jamais rien regretter. Spirituellement, ça n’est pas une bonne posture de regretter. Et pourtant, je peux dire des méchancetés, et pourtant je peux blesser, et pourtant… etc... Le risque du regret, c’est soit s’enfermer dans la culpabilité, soit de se retourner sur le passé… douloureux … Or l’évangile nous appelle sans cesse au présent et à faire quelque chose avec le passé, ça veut dire, " J’ai écrasé un de mes élèves, eh bien, j’allais dire, premièrement je peux le regretter mais la question c’est : "qu’est-ce que je fais désormais avec lui, avec ses parents, avec sa famille, quelle relation je vais établir, comment intérieurement je le vis. J’ai dit une méchanceté, j’ai blessé quelqu’un : c’est fait. La question c’est « so what ? », c’est-à-dire qu’est-ce que je faisde cela ? Qu'est-ce que j'en dis ?

Comment je traverse ? Comment je tends une perche ? Comment je … voilà"  

Le reniement de Pierre : Pierre ne peut pas regretter son reniement parce que c’est une déclaration formidable. Il découvre que de fait c’est cruel, c’est vraiment cruel ce qu’il a fait parce que quand on aime quelqu’un et qu’on le trahit, c’est… Mais en même temps, ça le fait accéder à une libération de son orgueil et ça le fait accéder à découvrir la profondeur de l’amour de Dieu pour lui et que c’est un cadeau qui est encore plus incommensurable.

Donc, j’allais dire de blesser quelqu’un, c’est effectivement pas bien du tout, mais si pour finir à travers cela s’approfondit une relation et qu'on réussit à se dire, ah voilà, et témoigner qu’on a traversé ça, c’est une relation formidable derrière.

Enfin voilà… Donc, dans la vie, vraiment même si c’est un peu brutal à dire, mais je crois que nous sommes appelés à ne rien regretter, rien, mais à toujours nous dire, oui d’accord, mais… après… ça change quoi, disons par rapport à d’autres postures.

Je pense à d’autres situations, mais le fait de visiter des personnes par exemple en soins palliatifs, si intérieurement on pense que mourir c’est un mal, on esttrès gêné, alors que mourir c’est normal, mais que la question c’est comment est-il possible d’aider quelqu’un à vivre sa mort c’est-à-dire de faire en sorte que ce moment, ces moments, ces jours, ces quelques semaines, soient des moments vivants. Même si sur le fond, on ne va pas être un guérisseur, la fin estinéluctable, etc…

Donc voilà, ça rejoint la question de la liberté, ça rejoint d’autres choses mais, oui, on est dans un monde dur, très dur. Je crois que nous laisser mordre par le regret ne nous libère pas des forces intérieures pour aider à être présent. J’allais dire comme le Christ qui descend aux enfers. Ça veut dire d’accepter d’entendre la misère du monde. Et les gens au sens large du terme, sans doute nous tous,nous avons des fardeaux lourds, donc osons nous approcher et permettre aux uns et aux autres de déposer leur fardeaux. Et pour ça, il y a à vivre dans une conversion intérieure qui est de croire, de croire que le réel tel qu’il est avec ses rides, ses misères et tout ça, le Seigneur est là et on peut en vivre et en faire quelque chose sans regret.

Alors les Exercices Spirituels, je ne vous étonnerai pas, je suis jésuite, mais là- dessus je suis un accro des Exercices Spirituels. C’est-à-dire tel que je les comprends aujourd’hui c’est dans leur structure, dans leur itinéraire il y a une compréhension théologique qui met en place le rapport à Dieu, le rapport aux autres, le rapport à moi, … Mais c’est un parcours dont nous sommes très longs à comprendre la profondeur et la pertinence.

Mais je peux dire ma vision du monde aujourd’hui, ce à partir de quoi je parle, ce qui m’anime, ce qui structure mon intelligence spirituelle, ce sont les Exercices Spirituels de Saint Ignace, c’est ça ma matrice fondamentale. Et pas grand-chose d’autre à côté. Mais c’est très très long à entrer, à comprendre, à mesure que la Grâce nous donne de sentir … Les Exercices Spirituels aident à discerner, je dirai plutôt les Exercices Spirituels aident à se convertir et du coup, ça aide à mettre dans de bonnes dispositions pour discerner.

Pas mal de gens vont faire des retraites selon les Exercices pour discerner. Alors en gros la retraite, elle est assez authentique quand j’arrive avec une question et que je sors avec quelque chose de décalé, qui n’est pas la réponse à la question ; mais s’il y a une trop grande adéquation entre l’attente que j’ai et la réponse…oui, bon, peut-être…. mais enfin, je ne suis pas complétement sûr. Alors, rentrer dans une retraite pour dire est-ce que je vais vendre ma maison, est-ce qu’on va déménager, est-ce que … tout ça ce sont de bonnes questions et normalement si le mouvement est un peu authentique, je vais sortir de la retraite en me disant "Je crois qu’il faut que j’apprenne à prier, que j’apprenne à suivre le Christ".

Ça veut dire, avant de trouver une solution à une décision concrète, j’ai à convertir ma manière d’être intérieure, mon regard et que me sera donné naturellement la réponse à la question que je me pose. Donc, les Exercices ne sont pas un truc pour régler des questions j’allais dire un peu concrètes, même j’allais dire jusqu’à "Est-ce que je vais rentrer chez les Xavières ou chez le Sacré-Cœur", ou etc… C’est pas sûr que les Exercices ça fonctionne. Par contre les Exercices vont venir chatouiller dans ce désir de vie religieuse et essayer de bien mettre en place, "c’est le Christ que je veux suivre et que je veux connaître". Et ensuite, sorti de laretraite, rencontrant des congrégations religieuses, je vais reconnaître que mon désir va s’incarner dans telle famille religieuse et je vais y aller.

Pratiquer les Exercices pour se convertir, n’hésitez pas, il y a des chances. Si c’est pour avoir des réponses à vos questions, ne soyez pas déçus que votre question soit déplacée.

Savoir est-ce que c’est le bon choix ? Donc le mot savoir. Je n'aime pas bien le mot savoir, parce que le mot savoir : d’un côté j’ai un savoir donc je peux intellectuellement construire des choses, ou bien je le sais et ça me donne une certitude telle que je n’écoute plus, etc… Donc « savoir », ce n'est pas un mot terrible…

Par contre, je peux intérieurement sentir une force, un courage, qui fait que : "Ah oui j’ai du goût à avancer sur ce que j’ai décidé et j’y vais et je le tiens. Ah ça oui" ! Et puis c’est à la merci de ce qui va arriver et de ce qui va se poursuivre.

Alors, évidemment, je vais prendre un cas extrême mais donc de savoir si c’est le bon. Il y a un cas de figure que j’ai entendu, un jour quelque part : un homme avait cru comprendre à travers des réunions peut-être comme ici ou des mouvements qui sont spécialistes dans le discernement des esprits à discerner et donc le voilà marié, très bien, il se promène dans la rue, et il croise une femme, AHHHHHHHH !, il fait demi-tour, il sent que l’esprit lui dit « Ah qu’elle est belle, l’esprit m’appelle à changer de femme ». Il divorce et il part avec celle-là. Six mois après, il s’arrête devant un magasin et il regarde une vitrine, une femme s’arrête et regarde la même vitrine, AHHHHHHH ! Il est parti avec elle ! (un dragueur !) Et ce n'est pas croyable, mais c’est vrai ! Mais c’est vrai ! Et la personne six mois après vient voir son accompagnateur spirituel « je n’arrête pas de suivre l’esprit, et je suis malheureux, pouvez-vous m’expliquer ? »

Donc, ça veut dire, disons, la question de savoir ce qui est bon ou la question des critères de discernement, la question de la profondeur, ça veut dire qu'il peut y avoir effectivement des moments où il y a des crises dans des fidélités qui ont été nouées, et que le discernement et les critères, c’est pas simplement l’air du temps et « ah qu’elle est belle », mais c’est un travail intérieur… Qu’est-ce que c’est que donner sa vie ?

Oui… donc savoir si c’est bon … et puis l’intuition… alors oui c’est clair que … la part de l’intuition elle est importante au sens de la fine pointe de l’homme quoi ! Mais l’intuition ne se saisit pas, çaveutdire. J’ai découvert un peu à la fois que bien qu’étant matheux de formation, de base et ce qui m’a beaucoup plu, que l’homme n’est pas d’abord un être logique qui mène sa vie à partir d’une bonne logique cartésienne. Mais qu'onest traversé par, dans les vieux termes une volonté, on a des intuitions, il nous est donné un cœur, une intelligence, une manière de voir et que nous avons à oser, à oser vivre avec ça.

Mais encore si vous voulez un témoignage personnel, il m’est arrivé de me retrouver dans une situation où c’était évident pour moi que j’étais complètement incompétent devant une grande assemblée durable de mesfrères

jésuites et que ce qu’on me demandait vraiment c’était pas à moi du tout qu’il fallait le demander, puis en même temps c’était demandé d’une manière telle que je ne pouvais pas échapper, on me demandait de prendre la tête d’une commission, moi qui parle mal l’anglais, il fallait que je l’anime en anglais et sur des points de théologie, des points compliqués sur lequel je n’ai pas fait les études qu'il faut, or moi je suis un matheux mais pas un théologien, et donc en même temps la demande, je ne pouvais pas y échapper, c’est une drôle d’expérience.

Il m’a fallu une demi-heure pour dire "bon j’accepte" et au sens de dire," puisqu’on me le demande vraiment, que je ne peux pas y échapper eh bien je vais dire oui avec ce que je suis et faire confiance à ce que je suis, ça veut dire je ne vais pas en rajouter, je ne vais pas faire semblant de savoir mais je vais compter sur ce que je suis ? Donc ce qui me traverse, mes intuitions", etc… Et donc, dans les deux jours qui ont suivi, il m’a été donné de porter des jugements, parce que le but c’était de porter des jugements, de prendre des décisions, et que j’ai dit à des grands hommes, à des gens qui avait des cartes de visite, etc… Je leur ai dit, ça poubelle, ça etc… Il y a des moments où il faut faire confiance dans les petites qualités humaines que nous avons parce que Dieu nous a mis à un endroit et faut y aller avec ça et puis c’est tout, et pas chercher à… Bref voilà…

Question : ça ne s’est pas trop mal fini ?

Ceux qui m’ont connu dans cette expérience-là m’ont surnommé « Robespierre » ! (éclats de rires de la noble assemblée !!!) Et puis ça s’est bien fini au sens où la situation était vraiment très compliquée, les gens ne savaient pas s’en sortir et ils avaient besoin d’un Robespierre pour trancher dans le vif et les sortir de l’indécision dans laquelle l’assemblée était.

Question : Ils ont fait la tête quand même ?

Non, quand vous tranchez et que vous mettez à la poubelle un travail d’un mois d’un groupe de 10 compagnons qui ont pondu un texte auquel ils croient, et que vous leur dites "eh bien votre texte est excellent et donc on va le mettre de côté et on passe à autre chose" ou bien vous dites à une autre commission, "là… vous avez pondu 20 pages, ce paragraphe c’est trois lignes, ça c’est vraiment intéressant, vous allez les confier à telle commission, vous le gardez et le reste c’est pas la peine"… C’est le Robespierre un peu dur, on coupe des têtes et en même temps c’est libérant parce qu’on tranche et l’endroit où était l’assemblée, il fallait quelqu’un qui tranche. Mais pour moi, personnellement, ça a été une épreuve.

Sur la question : « est-ce je suis compétent pour accompagner ?» Je ne sais pas si je suis compétent ou pas pour accompagner, disons, depuis quelques années je fais des formations à l’accompagnement, … Après, je vois que j’ai pris trop de demandes… Et puis les gens sont libres de partir, quoi…

Question : "comment ça se travaille" ?

Alors d’un côté je peux dire quand je suis rentré chez les jésuites et que j’ai demandé à devenir prêtre jésuite, ce n'est pas d’abord l’Eucharistie qui m’intéressait, c’était le Sacrement de Réconciliation. Ce que j’avais vraiment envie c’était d’écouter, d’écouter les gens, d’écouter leur vie,… J’ai toujours eu l’intuition que je n’ai qu’une vie, une vie banale, une vie ordinaire, … par contre je peux entendre la vie de quantité des gens et m’en réjouir et c’est vraiment intéressant.

Je trouve que c’est une très belle position, de pouvoir entendre des gens qui disent des tas de choses. Moi, je ne peux pas vivre leur vie, je ne vis pas leurs expériences. Que de richesses dans les misères, dans les chemins. Pour moi à travers les formations que je peux faire, c’est vrai, une de mes premières convictions est « accompagner c’est d’abord écouter», et combien les uns et les autres quand ils viennent demander un accompagnement combien je découvre, qu'il y a le premier flot qui vient, qui se pose, qui se déverse. Eh bien si l’écoute est respectueuse, c’est pas de dire "oh là là mon pauvre monsieur qu’est-ce que vous vivez, qu’est-ce que c’est dur", … ou ne rien dire, c’est très bien. Il peut y avoir un deuxième flot qui est encore plus dur et plus profond qui se dépose",… enfin bref,

"Je trouve inouïe la position, soit du prêtre dans le Sacrement de Réconciliation, soit plus largement d’être à un endroit de l’écoute de l’humanité, vraiment je ne quitterais pas cette place pour deux sous, c’est un lieu extraordinaire que de découvrir comment les uns et les autres font ce qu’ils peuvent avec leur humanité… avec leur chemin, avec leur histoire, avec tout… et ça rejoint une petit peu ce que j’essaie de dire… la question c’est : "quelle est notre place ? Quelle est la juste place que nous pouvons avoir les uns par rapport aux autres… L’accompagnement, ce n'est pas une place… ce n'est pas une position de jugement, c’est une position où on essaie, comme Pierre qui sort de son reniement", "je ne suis pas meilleur que les autres", Jésus, comme à d’autres… au moment du reniement, lui dit : "Pierre m’aimes-tu" ? Et puis c’est à cet endroit-là que fondé dans mon humanité pécheresse, je peux être frère en humanité avec d’autres pécheurs… Et ça, c’est une très belle Église…!

Animateur : Je peux de remercier beaucoup pour ce que tu nous as redit ce soir et tout à l’heure, je pense que ça éclaircit un certain nombre de chose par rapport à l’échange qu’on a pu avoir cette année dans les différents groupes. Un grandmerci.

Bruno Régent - Bonne navigation!

Note d’édition : Ce texte est la transcription de l’intervention orale de Bruno Régent, captée par un magnétophone, et non reprise par l’auteur pour en améliorer la lecture.

 
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