Bruno Chaveron : Les territoires Zéro Chômeur Longue Durée

 

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Bruno Chaveron : Territoire zéro chômeur – 25 juin 2021

Introduction

Aujourd’hui, mon engagement dans l'expérimentation Territoires Zéro Chômeur (TZC) et particulièrement dans l'entreprise TEZEA, s'inscrit assez naturellement dans mon parcours professionnel mais aussi en tant que chrétien qui a eu la chance de rencontrer et cheminer avec les intuitions de la Mission De France, incarnés par des hommes et des femmes que nous avons croisés en famille.

Je vous propose donc une présentation en 3 temps :

1°) un regard sur mon parcours professionnel qui a été jalonné par différentes expériences qui m'ont permis d’interroger la question du travail, et de l’économie.

2°) Dans un deuxième temps, je vous propose un focus sur le projet Territoires Zéro Chômeur en m'appuyant sur 7 ans d'engagement sur un des 10 territoires français expérimentaux : Pipriac/St Ganton - En Bretagne - à 30 km au Sud-Ouest de Rennes.

3°) une conclusion

Présentation rapide

Bruno 64 ans - petit frère de Xavier ici présent - Marié à Sylvie depuis 43 ans – 4 enfants - 7,5 petits enfants - retraité depuis 3 ans - A 20 ans, je suis engagé syndicalement à l'UNEF et j'obtiens un DUT en électronique dans un climat social très tendu.

Ma rencontre décisive avec la MDF

A 20 ans, l’écart entre l’éducation chrétienne classique de mon milieu familial et les enjeux sociaux du monde (la question du Tiers-Monde, de la pauvreté, des injustices,... ) me fait plutôt choisir l'engagement social.

La rencontre de Jean Volot , prêtre MDF au travail et ouvert aux réalités du monde, a provoqué en moi la possibilité d’une certaine réconciliation entre le spirituel et le temporel.

Si je ne pouvais renier l’héritage de ma foi chrétienne, j’avais quelque part à la confronter et peut être à l’acquérir à travers les rencontres de mon quotidien.

Si on peut douter de l'existence de Dieu, on peut aussi douter de l'absence de Dieu.

Avec le recul, je pense que le doute est un formidable vecteur de rencontre et de dialogue avec l'autre et pourquoi pas de Mission. Le compagnonnage avec la MDF était initié... Avec Sylvie, nous avons cheminé et suivi différentes formations à la MDF dont le Parcours de Croyants avec Nicolas Renard comme formateur ! Merci Nicolas !

Travail et Mission

Informaticien dans des grands groupes américains, donc travailleur privilégié économiquement et socialement, le côtoiement des prêtres ouvriers MDF n'était pas toujours évident: radicalité, pauvreté, fidélité à l'Evangile, engagement, responsabilité syndicale, lutte ouvrière... Les frictions entre les Prêtres Ouvriers "pur jus" et les nouvelles générations de prêtres et de laïcs, qui frappaient à la porte de la MDF, provoquaient quelques débats théologiques : Comment vivons nous la radicalité de l’Évangile? A qui et à quoi sommes-nous fidèles chacun dans notre manière de vivre ? Comment incarner la priorité aux plus pauvres ? Qui est le pauvre ? Quelle cohérence entre l’Evangile et mon quotidien ?

Alors que je remets en cause mon métier au nom d'une présence réelle aux plus pauvres, la MDF m'invite plutôt à rester dans l'informatique afin de vivre la Mission et les enjeux de la Foi Chrétienne dans les milieux des nouvelles technologies. A moi alors d'inventer la manière d'être "missionnaire" avec mon équipe MDF.

L'engagement syndical

L'entreprise américaine Digital était à l'époque le 2ème constructeur mondial d'informatique. Plus de 4000 salariés en France et des taux de croissance exponentiels.

Le champagne coulait à flot chaque semaine. Des beaux salaires et des promotions faciles.. Aucune conscience sociétale, pas de place pour la solidarité, pas de place pour le syndicalisme, ... J'envisageai la création d'un syndicat mais on me rétorquait que ce n'était pas dans la culture, que c’était pour les ouvriers et pour les pauvres,...

Puis, suite à des erreurs de marketing, la tendance euphorique s'est retournée brutalement. On commençait à parler licenciement ... Avec quelques proches collègues, on a enfin créé la première section syndicale de l'entreprise : Une révolution pour la direction mais aussi pour les salariés. Enfin, une réflexion sur l'entreprise, le travail, l'économie, la solidarité, l'équité, avait place dans nos discussions... , Enfin, nous pouvions échanger nos convictions, nos espoirs, et les valeurs qui nous motivaient. Nous avions les mains dans le cambouis et nos utopies pour combattre des logiques économiques strictement financières.

Délégué syndical, je me suis retrouvé à "négocier" plusieurs licenciements de milliers de salariés. Mon souci principal était de prendre en compte les salariés les plus fragiles. Or, dans ces plans sociaux, comme dans beaucoup de lieux, l'intérêt du plus grand nombre est privilégié au détriment des plus petits.

Les salariés eux même, sont dans une logique de sauve qui peut - difficile d'aller contre ... d'ailleurs la démocratie, le vote,... profitent d’abord au plus grand nombre mais pas aux plus petits.

Revenir de nos négociations avec la direction devant les salariés avec les "packages" d'argent obtenus pour les futurs licenciés m'ont toujours mis mal à l'aise. J'espérais d'autres solutions plus solidaires (diminution du temps de travail, révision des politiques salariales , changement d'organisation ...) mais elles n'étaient pas majoritaires ...

Nous échangions des femmes et des hommes contre des packages de billets.

Je me devais aussi de respecter les décisions majoritaires des salariés et j'apposais souvent, à contrecœur, ma signature sur les plans de licenciement négociés avec la direction américaine.

A la recherche d'alternatives économiques et sociales…

Très choqué par la tournure des événements, j'avais besoin de chercher d'autres modèles d'entreprises plus respectueux du travailleur et de valeur de solidarité. Je demandais alors un an de congé formation pour étudier un DESS en Gestion d'Entreprises d'Insertion et participer à la création d'une entreprise d'insertion.

Pouvoir enfin réfléchir et expérimenter une autre économie plus soucieuse de l'Homme...!

Une année passionnante riche intellectuellement et humainement et plus en adéquation avec la pratique de ma Foi.

Cependant, mon mémoire d'étude interrogeait l'Insertion par l’Économie qui stigmatise ce type d'entreprise et leurs salariés dans une économie de pauvres pour les pauvres. De plus, l'économie d'insertion dédouane les entreprises classiques («les vraies» !) de leurs responsabilités sociétales.

A la suite de cette année, je retourne donc à mon métier d'informaticien ...

Avec des collègues licenciés, nous étudions la création d’une entreprise coopérative (SCOP) informatique. Bien que tous les indicateurs soient au vert, plusieurs d’entre eux préfèrent finalement rejoindre une grande banque qui propose des salaires très confortables....

Je cherche alors à travailler dans un secteur qui me semble avoir des finalités plus humaines: Ce fut l'hôpital public.

Le Service Public

Je découvre alors là un monde très différent de l'entreprise privée: le service public.

Syndiqué mais sans mandat, je me suis beaucoup investi dans mon travail afin de "servir" au mieux les soignants dont je découvre les difficultés à exercer leur métier.

Par ricochet, j'avais l'impression que mon métier d'informaticien se faisait plus proche des réalités humaines ...Je me sentais donc plus en phase avec ma recherche personnelle d'humanité et de pratique de ma foi.

Cependant, je découvrais également l'ampleur d'une administration déconnectée du terrain et très préoccupée de la rentabilité économique au détriment de la qualité des soins des patients. Finalement, la gestion par la feuille Excel existe autant dans le public que dans le privé.

Suite à une réorganisation du système informatique sur l'ensemble des hôpitaux de l'APHP que je ne pouvais pas cautionner, je quitte l'hôpital pour créer un service informatique à la Chambre de Commerce et d'Industrie de l'Essonne.

S'il y avait un défi technique et humain intéressant, j'y voyais également l'intérêt personnel d’être à côté de mon domicile, et de faciliter mes engagements dans mes diverses activités associatives.

Acceptant de reprendre une activité syndicale, je me suis retrouvé en porte à faux avec le délégué syndical historique dont l'éthique était plus que discutable ...Le syndicalisme n'est pas forcément l'Alpha et l'Oméga ... Je me retirais donc de mon syndicat...

En tant que responsable de service, j'ai pu alors poser quelques actes au sein de l'entreprise qui puissent modestement affirmer la centralité de l'Homme dans nos choix de management et dans les finalités de l'entreprise.

La centralisation des chambres de Commerce d’île de France imposée par le gouvernement, obligea une réduction de 30% de la masse salariale. Afin d'éviter des licenciements secs, le plan social négocié, invitait les plus anciens, à 3 ans de la retraite, à diminuer leur salaire de 30% en échange d'une absence totale de travail. J’ai donc conservé mon emploi (rémunéré à -30%) sans travailler ! . Nous avons alors déménagé pour la Bretagne, pour un projet d'habitat partagé et d’accueil de familles en difficulté avec un autre couple également engagé dans la communauté MDF.

Je pouvais donc m’investir comme bénévole « à plein temps » dans des projets bretons…

Entreprise à But d’Emploi...

Pendant toute mes années professionnelles, en plus d’être membre d’une équipe territoriale MDF, je participe également au Réseau Entreprise de la MDF où nous cherchons à relire notre vécu au sein de l'entreprise au regard de l'Evangile, et à éclairer les enjeux sociétaux. Cela faisait écho à une des sollicitations du Manifeste de la Communauté Mission de France de 2002 : Travailler à la justesse de l’attitude chrétienne!

En 2013, Les Semaines Sociales, interpellent notre réseau pour animer des ateliers. C’est à cette occasion que je découvre le projet « Territoires Zéro Chômeur".

Ce projet piloté par ATD Quart Monde me semblait être une réponse originale à la question du chômage et à la centralité du travail dans notre société.

On part des hommes et des femmes, et on cherche des solutions économiques AVEC eux.

On renverse la logique ...

Je me rapproche des responsables parisiens d'ATD, puis suite à notre arrivée en Bretagne, j’apporte ma pierre à la mise en œuvre de cette expérimentation.

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Ce que j’ai découvert avec les salariés...
Des salariés participatifs ...

Pendant cette période, j’ai été témoin du dynamisme et de la richesse de personnes privées d’emploi, mises à l’écart de la société de travail, et déconsidérées. Pour une fois, grâce à une mobilisation autour d’un projet qui avait du sens, elles pouvaient s’engager, se projeter et participer à une véritable création d’entreprise : leur entreprise.

J’ai découvert combien un regard bienveillant, une écoute et une prise en compte de leur avis par une animation collaborative et respectueuse des différences, étaient véritablement constructifs et permettaient aux uns et aux autres, moi le premier, de se développer et de s’enrichir mutuellement. J’ai appris à ne pas faire POUR les salariés mais à faire AVEC les salariés car j’ai expérimenté qu’ensemble, on va plus loin même si tout seul on irait plus vite … Au delà des apparences et des diplômes, chacun possède des ressources acquises au fil de la vie qui ne demandent qu’à être valorisées, pour peu qu’on y soit attentif. On parle souvent des inaptitudes au travail, mais j’ai personnellement relevé des aptitudes avec une volonté manifeste d’améliorer son propre outil pour peu qu’on leur laisse une capacité d’initiative et des marges de manœuvre. Cette participation active en plus d’être utile et productive pour l’entreprise, permet à chacun d’améliorer ses propres compétences, d’acquérir de la méthodologie et de faire reconnaître enfin son savoir faire.

Mars 2021 : démission du CA de Tezea…

( Pour des raisons de dérive du projet initial de l’entreprise, je donné ma démission du Conseil d’Administration de Tezea. ATD Quart Monde décide également de se

désengager du projet TZC de Pipriac/St Ganton

Cela ne remet pas en cause l’ensemble du projet TZC qui se poursuit sur les autres territoires.)

Perte du projet coopératif

Le projet, initié par ATD quart Monde, associe l’ensemble des partenaires locaux dont les Personnes Privées d’Emploi. Les statuts de l’EBE (associatifs) ainsi que la charte des valeurs sont co-écrits et s’inscrivent dans l’Economie Sociale et Solidaire.

Mais, avec le temps et l’appui de chefs d’entreprises, la gouvernance de l’EBE se réduit à une gouvernance autocratique du directeur. L’équipe projet initial ainsi que les principaux acteurs sont écartés. Les salariés ne sont plus écoutés voire même respectés. Ils expriment leur mal-être et se démobilisent jusqu’à, pour certains, démissionner.

Remise en cause de l’exhaustivité

L’équipe projet, chargé de rencontrer les personnes privées d’emploi sur le territoire et de suivre leur évolution dans l’entreprise, ne peut plus exercer ses missions. La direction de l’EBE lui refuse toute rencontre avec les salariés et refuse toute concertation sur la démarche d’intégration de nouveaux salariés.

Un Conseil d’Administration « sclérosé »

Avec le temps, le CA est devenu une chambre d’enregistrement des résultats de l’entreprise plutôt qu’une instance d’analyse, de réflexion et de décisions stratégiques.

Plusieurs salariés comptaient sur moi, en tant que dernier bénévole actif et membre du CA pour espérer un retour aux valeurs initiales de la charte … ce qui déplaisait au directeur et à des chefs d’entreprises.

Face à la dégradation du climat, le président « historique » démissionne brutalement ...laissant la place à un chef d’entreprise, déclarant ne pas porter les valeurs de l’ESS ou de la charte mais justifiant son savoir-faire de chef d’entreprise qui est seul maître à bord… de la gestion des salariés, qui n’ont qu’à exécuter ou à s’en aller.

Toutes mes propositions à l’ordre du jour des CA sont systématiquement écartées, on me reproche maintenant de ne pas être du territoire, on me refuse en CA un droit de réponse après une mise en cause personnelle dans un dialogue que j’ai eu avec une salariée… bref, je ne pouvais plus cautionner cette gouvernance de l’EBE et j’annonçai ma démission du CA en mars 2021.

En Avril 2021, devant l’impossibilité de dialogue, ATD Quart-Monde se retire officiellement du projet TZC de Pipriac-St Ganton –

Mais afin de protéger l’ensemble des projets TZC, nous évitons toute médiatisation...

Conclusion : Je continue à chercher ...

J'ai toujours été marqué par le Dieu qui s'est fait homme et a vécu la condition humaine dans les traits de la fragilité... L'attention à la fragilité humaine n'est pas négociable. Le pauvre, que l'évangile met au centre de la Bonne Nouvelle, est celui qui n'a plus sa place dans la société. La personne privée d’emploi en fait partie.

Je me sens invité, à la hauteur de mes moyens, à participer à rendre l’Homme debout. Là où je suis planté. Personnellement, le travail et tout ce qui touche son environnement, correspond à ma participation active à cet Homme debout. A travers mes réalités professionnelles, j'ai donc investi le champ du travail, de l'entreprise, par le biais du syndicalisme et de !'Economie Sociale et Solidaire, en ayant une attention particulière pour ceux qui subissent, qui sont transparents et qui sont délaissés par notre système.

D’un certain coté, je peux être déçu de la tournure finale de plusieurs de mes engagements. Il s’avère qu’au-delà des structures, dispositifs à mettre en place, le plus difficile est souvent le PFH : le Putain de Facteur Humain. Mais, peut-être que le plus important est d’abord le chemin à chaque fois parcouru avec des hommes et des femmes.

Je retiens surtout les partages, les amitiés, les attentions et les dialogues avec les uns et les autres qui nourrissent ma vie quotidienne.

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La centralité du travail dans la vie des hommes et dans la manière de construire notre société est encore une question d'actualité.

En tant qu'homme, en tant que bénévole à ATD, en tant que chrétien et en tant que membre de la Communauté Mission De France, je continue, avec d'autres, à rechercher en étant attentif à la dignité des plus petits.

Merci de votre écoute !