ILE DE FRANCE

Réunion du 10 mars 2021 sur le thème:

"En fait de changement… la vieillesse"

 

 

 

En guise d’introduction pour ce dernier bout de chemin

«°De tout, il restera trois choses: la certitude que tout était en train de commencer, la certitude qu’il fallait continuer, la certitude que ce serait interrompu avant que d’être terminé.

Faire de l’interruption un nouveau chemin, faire de la chute un pas de danse, faire de la peur un escalier, du rêve un pont, de la recherche une rencontre. »

(Fernando Pessoa)*

La vieillesse, un naufrage

  • Pourquoi oui ? Quels « modèles » avons-nous pour pouvoir le dire ? Que faire pour ne pas leur ressembler ?
  • Pourquoi non ? Quels modèles avons-nous pour pouvoir le dire ? Que faire pour leur ressembler ?

La vieillesse, une réalité

  • Ralentissement du rythme, une vie plus monotone, un environnement familial et amical qui se réduit du fait des décès de la génération, une solitude qui s’accroit
    • Comment peut-on faire pour vivre le ralentissement du rythme sans l’aggraver, la monotonie de la vie sans la rendre fade, la réalité de la solitude sans s’isoler ?
  • Sentiment de ne plus pouvoir agir sur le monde, de perdre pied face aux changements politiques et sociauxComment nous préparons-nous à cette dernière partie de notre vie ? Ou comment nous sommes-nous préparés si nous sommes déjà dedans ?
    • Comment réagissons-nous ?
      • Nier ce sentiment ?
      • Le valider en confirmant avec outrance nos propres valeurs ?
      • Trouver une autre façon d’agir ?
      • Agir sur nous-mêmes ?
  • Au bout du chemin, la mort
  • Pensons-nous à notre mort avec angoisse ? sérénité ?

(NB : Ce point demanderait toute une soirée à lui tout seul !...)

*(Le texte original dit : Il resta trois choses. Je lui préfère le futur…)

  • La vieillesse un naufrage ? oui, quand on est plus l’ombre de soi-même avec une déchéance physique et mentale. Je vis ce moment avec une de mes belles-sœurs qui a des délires épouvantables, en pleine paranoïa. Son mari, par sauvegarde, ne veut pas le reconnaître. Que faire pour ne pas leur ressembler ? Je me rappelle ‘ un texte de St Paul : « prenez garde à la plante amère qui prend racine et porte tort à beaucoup d’autres ». Il parle des gens qui pourrissent les communautés. Je me l’approprie en faisant la chasse à la plante amère. La vieillesse n’est pas un naufrage, si je m’entraîne à apprivoiser ma mort pour donner plus de poids à tous mes moments de vie.

Quel modèle, j’ai pour le dire ? Ma mère qui a été étonnante en ayant une grande énergie. A 95 ans, elle suivait des cours et elle y allait en bus à un lieu suffisamment loin, et suffisamment proche pour revenir à pied. Tous les jours, elle allait à la messe chez les dominicains. Elle avait aussi une grande tolérance à l’égard de l’évolution des jeunes, tout en maintenant ses valeurs. Sa table, le dimanche soir, était ouverte aux étrangers. Elle avait aussi la capacité de contempler les nuages en y voyant des formes multiples. A 97 ans, les attentats du 11 septembre 2001 l’ont beaucoup affectée et une semaine après elle mourait. Elle avait une sœur qui avait une forte énergie. A 106 ans, elle était capable de ramper jusqu’à son lit pour éviter que son fils ne la trouve allongée dans l’entrée. Elle s’intéressait à la culture et était abonnée au théâtre de Nancy jusqu’à l’âge de 100 ans. Elle avait l’habitude de s’endormir en repassant dans sa tête tous les membres de sa famille. Il me reste à faire pareil.

La vieillesse est une réalité accompagnée du ralentissement du rythme de vie et des relations amicales et familiales qui se réduisent. Une solitude qui augmente. Comment puis-je faire pour m’adapter sans aggraver ce ralentissement ? Être patiente avec moi-même, rire de mes gestes inadaptés ou maladroits ; aussi, entretenir mon corps par des exercices, la marche, le vélo d’appartement. Comment compenser la monotonie de la vie? Se trouver des projets à réaliser comme retravailler mon bouquin, rédiger des mémoires familiaux, écouter de la musique, faire des recherches sur internet et garder l’esprit ouvert. Je prends conscience de la solitude sans m’isoler, en participant à la vie de l’immeuble, à celle du quartier, aux liens avec les enfants et les amis et en maintenant les contacts avec les plus jeunes.

Le sentiment de ne plus pouvoir agir sur le monde, de perdre pied face aux changements politiques et sociaux. Je ressens ce sentiment qui, parfois, m’accable. Au maximum, j’essaie de me tenir au courant et de parler de ces changements avec des plus jeunes, à leur écoute. Quand j’entends parler de prévisions à 20 ans, je me dis que je ne serai plus là. Je suis consciente de cette fin qui implique des actions immédiates.

Comment nous préparons-nous à cette dernière partie de la vie. Je ne m’y suis pas vraiment préparée ; d’où ce sentiment très fort de bascule, au moment de mes 80 ans. Toutefois, je m’aide en regardant les personnes âgées de mon entourage.

Au bout du chemin, la mort. Est-ce que je pense à la mort avec angoisse ? Ma mort est à la fois proche et lointaine, peut-être parce qu’elle fait partie de ma vie depuis longtemps, à travers la mort des autres. J’ai perdu un ami lorsque j’avais 8 ans, puis d’autres du CIHM dans un accident de voiture. Je suis plutôt sereine, ne sachant pas quand elle arrivera. Mais si je suis atteinte de maladie, ma mort deviendra de plus en plus prégnante et je ne suis pas sûre de lui faire un bon accueil.

Je me rappelle quelques phrases de mes proches : « Seigneur, si je deviens gâteux, faites au moins que je sois drôle », une chanson de Mannick : « puisque chacun de vos jours est le premier, puisse que chaque heure qui passe est un commencement » et du Père Dietrich Bonhnoeffer : « Il faut vivre chaque jour comme s’il était le dernier, et comme si on avait l’éternité devant soi ».

  • Pour certains la vieillesse est un naufrage, ainsi la citation de De Gaulle : « La vieillesse est un naufrage. Pour que rien ne nous fût épargné, la vieillesse du maréchal Pétain s’identifie avec le naufrage de la France ». Je pense à une amie de mon âge atteinte depuis plus de dix ans de la maladie de Alzheimer. Toutefois, de grands hommes ont eu une vieillesse active : Victor Hugo, mère Theresa, sœur Emmanuelle, l’abbé Pierre et actuellement le Pape François. Je pense aussi à Ida Linguanatto que j’ai connue jusqu’à la fin de sa vie. Elle n’avait plus qu’une jambe et elle était toujours joyeuse et accueillante. Mon père fût un homme debout jusqu’à sa mort. Homme de foi, peu après sa mort il a témoigné auprès de ma sœur Elisabeth et de notre fils Pierre-Yves qu’il était immensément heureux, avec une vision radieuse de son visage accompagnée d’une parole, « pourquoi pleurer ? » Ce témoignage extraordinaire était dans la continuité de ce qu’il était.

Bien vieillir en maintenant mes activités physiques, sociales et intellectuelles malgré la crise sanitaire et le confinement. Toutefois les efforts et la volonté ne peuvent pas tout et nous restons démunis devant la maladie, entre autres, Alzheimer qui est véritablement un naufrage. Nous pouvons toujours donner un sens à cette période de la vieillesse. Pour ce qui me concerne le temps disponible dû au confinement me permet de réfléchir sur ma vie et mes relations. Je cherche à voir clair en moi, à lire, à me former pour mieux comprendre les textes de la bible en me fondant sur des biblistes (Marie-Noëlle Tabut, des conférences de la paroisse) et je cherche à découvrir la présence de Dieu Amour.

Oui, la vieillesse est une réalité avec un ralentissement du rythme. Je me fatigue plus et j’ai besoin de plus de sommeil, mon corps est plus lent. Ma mémoire me joue des tours et ma surdité complique les relations.

Ai-je le sentiment de ne plus pouvoir agir sur le monde ? J’ai simplement mené ma vie en suivant mes convictions et mes valeurs. J’aimerais rester utile le plus longtemps possible (enfants, petits-enfants, entourage).

Comment je me prépare à la dernière étape de ma vie ? La première partie de ma vie m’a préparée à ma vie présente et future. Je prends conscience de ce que je n’ai pas fait et je dois faire un effort d’humilité pour la vie qui me reste. Je pense à la mort avec sérénité et je souhaite que cette dernière étape de vie ne pèse pas trop sur mon entourage.

  • J’ai l’exemple de ma mère qui a vécu très bien seule chez elle. Après s’être cassé le col du fémur, elle a quitté sa maison, pour l’hôpital puis une maison de retraite et impossibilité de communiquer avec elle. Pour ce qui me concerne, la vieillesse est un moment d’imprévisibilité. J’avais bien aimé le livre de Simenon, Le Président, dans lequel il décrit le brouillard d’incompréhension entre le Président très âgé et le monde extérieur.

Pour vivre le ralentissement du rythme sans l’aggraver, je pense qu’il faut avoir le désir de vouloir faire et d’être intéressé par le futur. Quand j’entends des gens qui commencent à parler à l’imparfait, je me dis qu’ils sont vieux. Il faut se sentir solidaire du monde dans lequel on vit, présent et futur.

Le sentiment de ne plus pouvoir agir sur le monde : ce mot « agir » a une connotation occidentale où il faut agir et faire. Je crois que nous allons vers un monde où il y aura moins de travail et plus de temps libre avec moins d’énergie à dépenser, moins de voyages et moins de moyens pour accéder à nos ambitions. La vieillesse implique de se déconnecter de sa propre puissance et de moins agir. Alors, par quoi remplacer ce « moins » ? Je pense à ma belle-mère qui me disait : « regardez le petit oiseau sur le balcon » ; j’avais une quarantaine d’années et je trouvais cette attitude futile. Maintenant, je la comprends, elle continuait à être attentive à son environnement. De même les moines ont comme objectif premier la contemplation et non l’agir, en restant en communion avec le monde extérieur. Il faut être toujours attentif au monde qui nous entoure.

Comme je l’ai évoqué, la vieillesse est le domaine de l’imprévisible. Il faut s’y préparer, comme les skippers du Vendée Globe. Compte tenu de la pandémie, nous n’avons pas vu nos enfants depuis plusieurs mois. Quand ils nous reverront, ils s’apercevront que nous avons plus de rides et ils auront un choc. On voit notre conjointe vieillir, ce n’est pas facile.

Je pense à ma mort de façon sereine. Je pense à quelqu’un à qui le médecin a dit qu’il allait mourir tel jour. Le jour arrive et il n’est pas mort ; alors, il engueule le médecin.

Je suis angoissé quand je domine la mer du haut d’une falaise et je me dis la mort va te demander de te jeter du haut de cette falaise. J’hésite entre ces deux façons de voir la mort.

  • J’ai un avant et un après COVID. Avant, j’avais une perspective de vie heureuse des 10 à 15 années à venir. On verra plus tard, pour le moment il y a lieu de garder une bonne santé, des relations d’amitié, de faire attention à ses comptes bancaires et d’envisager des voyages ; tout baigne. Puis, patatras arrive la crise sanitaire que j’ai très mal vécue. L’isolement dû au confinement a été pour moi une catastrophe. J’ai ressenti ce qu’était d’être vieux et de ne pas agir, vivant au jour le jour. Le fait de ne pas pouvoir aller diner chez des amis m’a perturbée. Toutes les informations et discussions qui tournaient autour de la Covid m’ont démoralisée. Je sens bien que je ne revivrai plus comme avant. Cette période m’a ôté le plaisir que j’ai évoqué.

La mort est la seule chose qu’on ne vivra pas ; ce sont les autres qui vont la vivre. Je souhaite la rendre la plus supportable possible pour mes enfants, en ayant toutes mes capacités. J’espère garder ma bonne humeur faisant en sorte que ce passage se fasse le plus paisiblement possible. Dans ma famille, j’ai des exemples de gens partis paisiblement sans grandes maladies et souffrances, ce sont des morts justes.

  • Grâce à vous, j’ai réfléchi à la vieillesse. Cela fait quinze ans que je suis en retraite. Au contraire d’une période de retrait, les quinze années passées ont été riches et intéressantes ; j’ai eu un autre mode de vie et de relations avec les autres. C’est vrai qu’il y a un ralentissement du rythme ; pour ne pas l’aggraver, il faut garder une vie active et des activités sportives (Qi gong, marche). Pendant le confinement, nous avons gardé le principe de déjeuner une fois par semaine avec des amis en respectant les gestes de protection.

Le monde et l’évolution de la société se sont accélérés durant ces quinze années ; je ne le vis pas bien. Nous pouvons interroger les jeunes sur ces changements et sur le devenir de la planète. Par ailleurs, comment les jeunes ont-ils vécu la période du confinement ? Grâce au « Club citoyens » on a un petit moyen d’agir. Le problème est que nous restons entre vieux et je ne connais pas l’impact sur les jeunes, peut-être par les informations sur internet.

La vieillesse est-elle un naufrage ? Il y a quelques années, nous avons aidé deux tantes âgées qui étaient seules. L’une était quelqu’un de brillant ; en quelques mois, elle a sombré. C’était impressionnant de constater une dégradation si rapide. Le drame est que du fait de la Covid, elle a été enterrée loin de ses proches, sans soutien. Sa sœur a vécu jusqu’à 100 ans et 3 mois. Elle était toujours curieuse. Après son centenaire, elle a tout lâché et elle est morte. Dans l’EPHAD, on l’a aidée à finir sa vie. La mort je l’envisage pour les autres, mes proches, enfants et petits enfants et j’en ai très peur. Pour moi, j’espère que cette fin ne sera pas trop dure.

  • J’ai lu le livre de Laure Adler,  La Voyageuse de la nuit, où elle convie des personnalités qui ont eu une belle vieillesse. J’ai fait deux listes, une de personnes ayant eu une vieillesse vivante, l’autre de personnes pour lesquelles, elle était un naufrage. Pour l’éviter, il faut se tenir éveillée, curieuse, disponible et se soucier de sa santé pour rester en forme et ne pas peser sur l’entourage.

Compte tenu de la crise sanitaire, nous avons imaginé des modes de rencontres différents, des balades et des déjeuners avec des proches ou amis, des visites des lieux ouverts.

Il faut se mettre au niveau des changements politiques et sociaux, ce qui n’est pas toujours facile. Il existe une autre façon d’agir par le bénévolat au sein d’associations et par des actions citoyennes, et aussi par des choix de consommation, de loisirs et de lectures…

Je ne suis pas angoissée par ma mort. Par contre, je vis très mal la mort des plus jeunes que moi, surtout les jeunes ; pour les gens de mon âge et plus, j’ai moins de peine. C’est triste, mais ce n’est pas tragique. Je pense à un très joli cantique de A. Gouzes : « Que dans la mort, je ne m’endorme pas, illumine mes yeux, Seigneur éveille moi.. ».

  • Pour ce qui concerne la vieillesse, on ne choisit pas ce qui va se passer, la fin est imprévisible. Cela va mieux en acceptant de perdre peu à peu son autonomie ; quand on s’intéresse toujours aux autres, quand on garde une certaine capacité d’écoute, quand on accepte de laisser vivre ceux qui restent. Il y a des choses auxquelles, on peut se préparer. Comme exemple, j’ai celui de maman. Elle est morte doucement et a toujours accepté d’être aidée sans se plaindre et avec philosophie.

La vieillesse est une réalité, la fatigue vient plus vite et je m’en aperçois quand je garde mes petits-enfants. Du fait de l’absence de vie professionnelle, j’ai moins d’activités et de contacts. En ce moment, c’est aussi dû à la situation sanitaire.

Il faut garder le sens de l’émerveillement devant les événements de la vie. Maman, quand elle regardait la mer, elle disait « la mer n’a jamais été aussi belle » alors qu’elle avait vécu plus de 70 ans en la voyant. Avoir cette capacité d’émerveillement est précieux.

Face au changement, il ya une phrase que je me refuse à dire : « C’était beaucoup mieux de mon temps ! ». Il y a tellement de choses qui sont mieux aujourd’hui qu’avant. Toutefois, je suis un peu dépassée par certains changements, j’essaye de comprendre, d’écouter les jeunes, de m’informer et de rappeler les valeurs qui me semblent essentielles.

Quant à la dernière étape de ma vie, je suis devenue assez épicurienne, profiter pleinement de la vie tant que j’ai la santé, faire des projets, m’émerveiller. Néanmoins, je suis angoissée par la Covid à chaque fois que je vois un médecin et que je passe des examens médicaux. La maladie et la souffrance me font peur. Ayant moins d’activités extérieures, je lis beaucoup et je vois des émissions formidables à la télévision. Nous marchons beaucoup et faisons du ping-pong dans les parcs.

  • Il y a plusieurs étapes dans la vieillesse et j’ai le sentiment d’être dans la première, n’ayant pas de soucis de santé. Je compare cette étape de ma vie à celle d’étudiant. Il est possible d’avoir des engagements sans trop de problème et sans souci de chercher un boulot. Tout cela est vraiment bien. En arrivant à la retraite, j’ai pris deux engagements à « Educateurs sans frontières - ESF » et à l’animation de la Lettre aux communautés de la Mission de France. Pour ce qui concerne le premier à ESF, je suis parti vers d’autres horizons avec la possibilité de découvrir des pays autrement. Le fait d’aller bosser avec des gens en ayant des responsabilités est passionnant. Pour le second, l’animation de La Lettre aux communautés est aussi intéressante au sein d’un comité de rédaction riche en débats.

Le ralentissement du rythme dû à la vieillesse, oui. Quand nous gardons les petits enfants, même s’ils sont agréables, nous aimons retrouver notre tranquillité. Dans la mesure où on peut encore avoir des activités passionnantes, ce ralentissement ne me pose pas de problème.

En cette période de pandémie, on reçoit les amis par deux et on prend le temps de la rencontre. Toutefois, on voit des gens qui meurent, encore un copain aujourd’hui.

En même temps, on est poussé par nos enfants et, en particulier, par nos petits-enfants. Je ne me sens pas dans un environnement vieillissant.

En arrivant à la retraite, j’ai accepté de ne plus avoir les fonctions et le rôle que j’avais avant. En tant que chef d’établissement et à l’Inspection académique, j’étais en position de chef et de décideur. Tous les jours, j’étais le référent et on me sollicitait pour prendre des décisions. Puis, à la retraite, on n’est plus rien. C’est un changement brutal. Dans mon engagement à ESF, je n’ai plus cette position, en n’ayant plus les responsabilités antérieures. C’est important de l’accepter, en se tournant vers l’avenir. Cela a été pour moi une attitude humaine et peut être spirituelle déterminante pour aborder cette nouvelle étape. J’ai l’impression que mon aire de vie s’est élargie avec beaucoup de débats et d’échanges.

Se préparer à la grande vieillesse et à la mort me semble très vain. La seule préparation est comment je vis aujourd’hui. C’est ce qui va déterminer comment je vivrai. La mort, on y pense plus ou moins. Ce qui me fait peur, c’est la déchéance physique et morale que l’on ne maîtrise pas. Je pense à mon père qui jusqu’à 98 ans était tourné vers l’avenir, étant très actif, lisant beaucoup, discutant et très ouvert. Puis, cette formidable richesse s’est étiolée et il a eu une fin de vie difficile.

  • Je trouve que dans notre société, la vieillesse est un privilège acquis par l’hygiène et la médecine, par rapport à d’autres sociétés où les gens meurent plus jeunes. Pourquoi suis-je encore là et que faire de ce « rab », alors que d’autres meurent jeunes comme par exemple, Simone Weil. Est-ce parce que ma vie n’a pas été assez riche ?

La mort touche des personnes de tout âge par maladie ou par accident. Dans un monde incertain, la seule certitude est que nous allons mourir ; la mort est inéluctable pour tout être vivant. Je me compare à un livre, j’en suis arrivé à la 78ème page et j’entrevois l’épilogue sans savoir ce qu’il sera. La vieillesse est façonnée par tout le passé que nous avons vécu. Ce qui apparaît, c’est ce que nous avons fait et ce que nous n’avons pas fait. Si nous avons été méchant, nous le serons encore et sans doute acariâtre. Je suis ce que j’ai fait et réalisé.

Avant quand je voyageais et qu’un lieu me plaisait, je pensais que j’y reviendrais. Maintenant, je pense que c’est la dernière fois. C’est une prise de conscience d’une fin qui se rapproche.

Quand on vieillit, il faut accepter sa fragilité et de prendre plus de temps pour une action. J’avais lu un livre de Pierre Sansot, Du bon usage de la lenteur, j’essaie d’en faire bon usage ! Il faut accepter de laisser la main, de perdre pied. En même temps, j’essaie d’accompagner avec compréhension les changements de société, sans être toujours d’accord. Ce sont les jeunes qui vont les vivre.

Nous faisons partie d’une chaîne de transmission. Nous faisons le lien entre nos parents, grands-parents de nos enfants et nous qui sommes les grands-parents de leurs enfants. C’est une joie de faire étape chez une de nos filles quand nous allons en montagne et de voir nos petits-enfants.

Comment sont perçues les personnes âgées dans notre société ? Souvent, elles finissent dans une chambre d’un EPHAD dans un environnement souvent triste. Il y a quelques années des enfants de l’école que nous suivons au Zanskar, sont venus passer un mois en France. Ils ont été accueillis dans des familles. Ils ont été étonnés de ne pas rencontrer les grands parents. Quand nous logeons dans des familles au Zanskar, nous voyons les grands parents qui vivent avec leurs enfants et petit-enfants.

Oui, la mort m’angoisse, en particulier la maladie et la souffrance.

Je termine sur l’histoire de la mort d’un jésuite, Athanase Kircher, grand scientifique au 17ème siècle. Il avait demandé à son assistant de le poser sur un plateau de balance équilibrée par des poids sur l’autre plateau. Il voulait peser son âme. Au moment de sa mort, la balance a penché vers l’autre plateau; il s’était allégé de son dernier souffle.

  • Cette crise sanitaire est révélatrice du comportement de la société, en particulier, des combats menés par le personnel des EPHAD.

Etant dans la catégorie des plus de 75 ans, j’étais éligible prioritairement à la vaccination et j’ai pu avoir un rendez-vous pour les deux injections. D’où notre séjour hivernal en montagne. Les gens nous disaient : « Ah, vous allez être vaccinés, comment avez-vous fait ? ». Lors des vacances de la région PACA, nous avons vu arriver beaucoup de personnes de Marseille, du Var et du Vaucluse avec des grosses voitures et ne respectant pas les barrières sanitaires. Aussi, nous avons évité les lieux de rassemblement, comme les centres commerciaux. Tous les jours nous avons fait des balades en montagne avec pique nique à la clé. En faisant du ski de randonnée, nous avons croisé des jeunes en moto neige, à chacun ses loisirs.

Je m’interroge sur ma fin de vie et sur la mort. Ce qui me fait peur, c’est la souffrance et la déchéance physique. Des fatigues et ralentissement du rythme de vie, je les ressens et il faut les accepter sans s’isoler ; il faut inventer la vie et porter attention aux autres et aux choses. Avec nos enfants et petits-enfants, nous avons eu des échanges très riches en cette fin et ce début d’année. L’une est venue à Paris à Noël, ne pouvant pas trop s’éloigner de Bruxelles. Puis, deux autres sont venues nous rejoindre en montagne. Mais l’Atlantique nous sépare de la seconde, sans possibilité de nous revoir actuellement. J’écoute notre petite-fille aînée qui va avoir 18 ans et qui est engagée écologiquement. Chacun s’affirme avec bienveillance.

Pour ce qui concerne la vieillesse, j’essaie de me conserver en bonne santé en faisant le parallèle avec mon métier de conservateur. C’est veiller au vieillissement des œuvres, en les protégeant de leur dégradation et en les restaurant. Des problèmes apparaissent avec l’utilisation de matières nouvelles. Ces œuvres sont des moyens d’expression de l’homme. La transformation fait partie de l’histoire, je vieillis et je ne reste pas la même.

J’aime lire des biographies, car elles permettent un partage de vie et offrent des chemins à suivre. J’ai deux citations à vous offrir :

-                  Une d’Elie Wiesel, rescapé des camps, il avait vu la mort en face (Cœur ouvert, 2011) : « Ai-je peur de mourir ?  Alors pourquoi la craindre ? »

-                  L’autre de Shelomo Selinger, Nuit et lumière, rescapé de neuf camps de concentration de Jérusalem, sculpteur dont une dans l’Allée des Justes des Nations au mémoriel Yad Vashem: « Je sculpte l’espérance ».

Ces hommes n’ont pas renoncé à leur visage divin.