Aix en Provence
Compte-rendu de la réunion du 6 avril 2020 sur le thème :
Comment est-ce que je vis la situation actuelle ? (épidémie Covid-19, confinement)
11 participants - en visioconférence
1 - Il y a d’abord mon vécu immédiat, mon entourage, et ce vécu je le ressens comme un luxe.
D’abord parce que je ne suis pas inquiète, contrairement à d’autres, j’ai parlé avec un ami au téléphone et il m’a dit qu’il était terrorisé. Ensuite, c’est le fait d’avoir du temps, faire ce que je n’ai pas réussi à faire avant, traduire un livre qui me tient à cœur : « Paura della libertà » de Carlo Levi. Avoir le temps, c’est aussi ne pas être distraite par des projets de vacances, de voyages, de sorties. Et puis, le luxe c’est aussi de cultiver l’amitié plus individuellement et directement, de parler au téléphone longuement. Et bien sûr, partager tout ça avec mon mari.
Mais ce luxe a bien sûr un prix. Sur le plan personnel, c’est un présage de la vieillesse, ne pas bouger, rester au même endroit, parce qu’on n’a plus la force de faire autrement. J’accepte de penser cela, mais si j’étais jeune ?
Le prix à payer est aussi social. C’est l’inquiétude pour les inégalités qui se creusent, les enfants confinés qui n’ont pas d’ordinateurs, pas d’espace à eux, des parents qui ne peuvent pas les aider faute d’instruction, et qui se disputent peut-être aussi. On sait que l’Education Nationale a « perdu » environ 8% d’élèves et j’espère qu’on s’occupera d’eux dès que possible.
C’est aussi l’inquiétude de voir une France haineuse et conspirationniste resurgir, c’était déjà dur au moment des Gilets Jaunes. Je me dis que seuls les imbéciles crient, les autres cherchent à aider et à être utiles.
Il faut garder la tête froide et croire que nous nous en sortirons.
2 - Au début, je me suis dit : bon, on mourra ensemble.
Je suis allée voter alors que j’étais malade (une sorte de grippe, mais comme mon mari n’a rien eu, je me suis dit que c’était une allergie aux pollens de cyprès et de pin qui a tourné à la sinusite, entraînant fièvre et maux aux articulations, mais pas d’essoufflements, j’ai prévenu la personne qui m’avait invitée à participer à la procession le mercredi 11 mars précédant le confinement, voilà tout).
Je trouve que le confinement révèle le caractère des gens. Au village qui est pourtant très accueillant, des gens ont insulté avec des tags le magasin Lidl pour qu’il ferme. Mais ça n’a pas suffi, alors ils sont revenus à la charge en mettant de la colle dans toutes les serrures...Et puis certains ne respectent pas le confinement, ou alors, ils biaisent : considérant que leur véhicule est une extension de leur maison, ils comptent un km à partir de leur voiture pour se balader. Ou alors, vont acheter pour moins de 5 euros dans les grandes surfaces...
Côté espace vital, je me dis que la liberté est dans la tête. Mais j’ai conscience d’avoir besoin de me « défouler » de mes tensions. C’est pourquoi j’ai trimballé de lourdes pierres depuis la pinède pour édifier un petit muret, ça me vidait la tête. Je lis aussi du Victor Hugo, L’homme qui rit, c’est très pompier.
Je ne monte plus sur la balance. On va marcher tous les jours pendant une heure et je jardine beaucoup. Il faut que je me remette à préparer trois repas par jour, comme quand les filles étaient à la maison !
Je prie plus régulièrement, grâce au diocèse qui propose chaque jour une piste différente. Ça permet même de confronter plusieurs sensibilités, en fonction des curés. Pas de confession, ça m’arrange plutôt. J’ai suivi la messe des Rameaux via internet, grâce à une amie pingouin. Finalement, on vit le carême de façon plus intense parce que nous ne nous sommes pas fixés de règles, elles nous sont imposées.
3 - Bonnes nouvelles : 3 membres de notre famille proche, soignants respectivement dans les hôpitaux de Chambéry, Marseille-Nord et Aix en Pce, constatent depuis 3 jours une baisse des entrées de malades du Covid 19. Ces 3 établissements ont toujours pu garder des « lits de réanimation » libres.
Patience : encore 2 à 3 mois de confinement, total puis progressif ? Ceci en se référant aux infos venues de Chine, et d’Italie qui n’a que « 9 à 10 jours d’avance sur nous ».
Redémarrage progressif des activités quand il y aura suffisamment d’immunisés (60 à 80% ?) soit spontanés, soit guéris, soit à la suite du futur sérum espéré, via le plasma sanguin, par exemple ? Nous, retraités, seront probablement les derniers confinés.
La gestion nationale de ces reprises par nos gouvernants, avec tests sanguins en nombre, et beaucoup de discipline de la part des citoyens, va être encore beaucoup plus difficile qu’aujourd’hui puisque la saine peur va diminuer ! Espérons que le peuple pourra être sage et intelligent !
4 - En tant que médecin, ma première réaction a été de dire ‘boff, c’est une nouvelle grippe’. Puis m’est venu un sentiment de méfiance vis-à-vis des chinois et de l’intervention du professeur Raoult qui m’a fait douter de ses qualités scientifiques et des avantages de son traitement. J’ai personnellement été pris de maux de tête et d’angoisses.
5 - Au départ, j’ai été désemparée par cette situation extraordinaire, révélatrice de notre fragilité. Son caractère anxiogène est bien entretenu par les media. Je me sens privilégiée de vivre à deux dans un grand appartement et d’avoir un entourage intelligent. Mes journées sont très structurées: gymnastique, promenade dans le parc, film, travail sur repères 2. Je communique beaucoup avec mes enfants et j’utilise beaucoup les moyens numériques. Ça aide à passer le temps, mais c’est quand même anxiogène.
6 - Je travaille en confiné, ce qui me génère plutôt un surcroit de charge. Je me sens privilégié par rapport à ceux qui doivent se rendre à l’usine. C’est une chance de vivre à la campagne. Notre marché va-t-il se reprendre ou s’effondrer ? L’avenir est imprévisible et y penser est anxiogène.
7 - Le 1er février je riais de l’épidémie avec ma sœur et mon beau-frère. Puis des proches et connaissances ont été infectés et l’une d’eux en est morte à 50 ans. La prise de conscience s’est alors faite. Je suis inquiet pour mon ami de Manosque. En pratique, le confinement ne change guère mon quotidien, mais j’ai pourtant un sentiment de solitude. Le piano qui devait m’être livré avant le confinement ne l’a pas été. Merde alors, il aurait été si bienvenu. A 58 ans, le fait de vivre seul dans cette situation est source d’inquiétude. Je vois les barrières bien respectées autour de moi. Pourtant, j’ai un sentiment très étrange et perturbant en ce moment lors de mes sorties: c'est l’impression que chaque individu croisé, même à distance, passe pour être un danger potentiel, je dirais presque un ennemi…qu'on évite avec soin ! Nous nous croisons en échangeant des regards parfois suspects. Ça me rend très mal à l’aise même si c'est inévitable.
8 - Je vis très bien ce confinement, bien qu’il soit forcé. Je fais des courses hebdomadaires en respectant les règles. Je regrette pourtant d’être privée d’atelier de céramique. Les échanges avec mes parents, qui étaient loin, m’avaient habituée à la visioconférence. Je pense à mes enfants, qui sont confinés ailleurs. Je suis la messe de mon village tous les matins. Il y a plusieurs choses qui me font réfléchir: quid si la crise s’était déclarée au moment où je devais partir voir ma mère en Argentine ? A la réunion de mars, j’étais loin d’imaginer que la suivante serai faite en visio. Je suis fière que l’Argentine ait décidé le confinement deux jours après la France. Aujourd’hui j’ai fait un tonneau dans le fossé avec mon tracteur. J’ai la chance de ne pas avoir été blessée. J’ai un bon ange gardien. Je pouvais anticiper le Covid, mais pas cet accident, preuve qu’on est tout et rien et qu’il faut vivre au présent.
9 - J’ai le sentiment d’être privilégié, par le climat, la région, mon jardin. Mon confinement est social, pas physique. En revanche je me sens inutile et frustré de ne pas pouvoir participer à l’effort. Je trouve les soignants extraordinaires et j’espère que leur situation s’améliorera. Je suis inquiet pour les entreprises et les artisans. Concernant les masques, grandiose, dépendance aux autres. Je trouve que le gouvernement gère bien la crise.
10 - Je vis bien le confinement : pas d’angoisse, rattrapage de retard dans les activités manuelles, jardin, maison, voitures. Ce que je perçois de l’extérieur me ramène au thème d’année (le changement). Ce qui change c’est la cause de la crise qui secoue l’humanité et la menace: une pandémie bien réelle et présente et pas une cause climatique à effet supposé à terme. C’est la ‘donne’ du problème posé à nos sociétés qui change.
Ce qui ne change pas, c’est le comportement des gens ordinaires et des puissants. Il y aura toujours des bonnes actions et des mauvaises et des acteurs qui cherchent à profiter de la crise. Je suis en colère contre la posture du gouvernement français sur les masques: C’est ‘on ne sait pas traiter le problème, donc il n’y a pas de problème’. C’est dito le mensonge du nuage de Tchernobyl ‘qui a épargné la France’.
COVID me fait penser à oiseaux et vide. Je vois la vie des oiseaux se développer autour de moi. Cette période m’aide à l’introspection, à vivre paisiblement sans culpabilité. Je me sens très privilégiée. Je n’ai pas d’angoisse par rapport à la maladie, mais j’ai des craintes pour nos enfants soignants. Je suis amenée à méditer. Je pense que la crise peut amener à des changements de comportement et qu’on en sortira grandis.