Aix en Provence
Compte-rendu de la réunion du 16 décembre 2019 sur le thème:
Mon changement de regard sur les choses - Quand est-ce que ça s’est produit ?
11 participants
Mon regard change peu ou pas. J’aime bien découvrir dans ce qui me plait. En politique, il y a eu un déclic lors d’un voyage en URSS. J’en suis devenue définitivement anticommuniste. Par mon mariage, j’ai découvert une famille différente, qui a causé un éveil critique sur la mienne. À Tahiti, je recevais moins de courrier que ce que j’envoyais et j’ai souffert de l’isolement. Dès que j’ai utilisé le courriel, j’ai eu des réponses immédiates, et je suis devenue adepte de ce mode de communication. Lors d’un braquage, j’ai découvert que ma fille veillait sur moi, alors que mon ‘moteur’ interne était de veiller sur mes enfants.
J’ai découvert IKEA dans les années 50. A l’époque, ils faisaient des meubles de style, puis ils ont fait du moderne et j’ai vu que ça dépassait les clivages sociaux. Après la mort de mes parents, j’ai découvert à quel point je tenais à ces meubles. La disparition de mes parents a aussi compté dans mon changement de regard. J’ai beaucoup de respect pour les objets car ils représentent travail et créativité. Le livre de Perec ‘devenir commercial pour gagner de l’argent et d’acheter des objets’ m’a marquée. J’ai longtemps refusé de jeter des livres, puis j’ai trouvé que c’est comme en peinture: il y a aussi des ‘croutes’; alors je n’hésite plus à en jeter.
Une vidéo d’un parent compositeur montrant un petit robot sur sa musique m’a rappelé que le regard n’est qu’un angle de vue, pas la réalité. Ça m’a renvoyée à ma tendance aux croyances et aux suppositions. On peut grandir si on change de regard. A la retraite j’ai laissé changer mon apparence, je la soigne moins et m’habille plus modestement. J’ai des objets porteurs de tradition familiale, comme la crèche et des livres. Mais ce n’est peut-être pas très sain de vivre avec.
J’ai l’impression d’avoir peu changé dans ma vision des choses. J’aurais peut-être été un sale con si je n’avais pas rencontré à 7 ans la nature et une famille qui m’a accueilli, ce qui fut un choc et une libération. Je n’ai qu’une paire de chaussures à la fois, en réaction à la pression à consommer. Je ne m’intéresse pas aux objets, sauf quand ils ont une signification particulière: les objets familiers de ma mère. Le service militaire m’a fait évoluer : ce fut plus drôle que je pensais. Mes goûts musicaux ont beaucoup changé, du romantique à Schubert en passant par Bach. J’ai vu une photo de mon père à l’âge que j’ai aujourd’hui. Je ne voudrais pas être ce type, et je ne veux pas être vu comme on peut le voir.
La crise alimentaire de la vache folle m’a fait prendre conscience du monde dans lequel nous vivons. Ce fut un choc. Je ne veux pas savoir comment est faite ma nourriture. Le plaisir que j’avais à posséder des objets m’a passé, car ils peuvent être volés. Je m’en détache. Un saut en parachute en compagnie de ma fille a en revanche été un immense cadeau pour moi. Je pense que les gens n’ont pas d’idées, regardent midi à leur porte et ne pensent qu’à leur petite vie. Je suis critique par rapport à ça. Mon regard évolue sur le rapport aux autres. L’égalité n’est pas forcément un bon modèle, on peut différencier. J’aime la déclaration d’une mère de famille nombreuse: ‘mon enfant préféré, c’est celui qui est malade’.
Jeune, je critiquais tout, par réaction sans forcément réfléchir. Dans la vie d’adulte, j’ai dû rationnaliser mes prises de position. Il y a des phrases qui m’ont ouvert, à l’occasion de stages de développement personnel, dans le travail et dans le privé ; ce sont : ‘l’évènement passe par mon interprétation’, ‘je pense-je parle-je crée’. Ayant pris conscience que j’étais acteur du monde quoi que je fasse, j’ai cherché à rendre ma relation et mon action plus constructives. Maintenant que j’ai le temps, j’aime aller chercher les fondamentaux de la marche du monde et de partager les éléments de vérité que je crois y trouver.
On commence formaté, puis on découvre des choses hors format qui bousculent ce qu’on croit être la vérité. C’est par ces découvertes que j’ai évolué. Par exemple, en voyant au Brésil les cyclistes rouler à gauche, pour être face au danger. Plusieurs couples d’amis se sont séparés car leurs évolutions personnelles étaient différentes. Certains, à entendre un commentaire de ma part se sont mépris, croyant que je voulais me séparer de ma femme. Je pense que l’évolution peut intervenir par déclic ou par imprégnation.
Mon changement de regard s’est produit par mon ‘expatriation’ en France. Je voulais prendre de la vie ce qui me convenait. Lors de mes autres expatriations, j’ai vu les mêmes choses sous des angles différents. Sur la distinction droite – gauche, j’ai répondu à un brésilien qui me questionnait, qu’en France j’étais de droite, et au Brésil de gauche.
J’ai voté contre la constitution de 1958, puis j’ai applaudi De Gaulle en 1968. 50 ans plus tard, la population est ignorante, quand par exemple elle réclame la démission du président ou veut dévoyer le but du référendum. Je crois qu’il y a besoin d’une nouvelle constitution, à condition que le vote soit obligatoire. Je crois qu’on très mal engagés sur les retraites.
Lors d’un buffet en Chine, voir les assiettes des chinois vides d’os, alors que la mienne en était pleine et que les tas d’os étaient à leurs pieds, m’a ouverte au besoin d’ouverture du jugement et de tolérance sur les différences culturelles et sur ce que devient une règle par la suite. Enfant, je me sentais au-dessus de la condition paysanne, puis un choc salutaire s’est produit au pensionnat. Récemment, j’ai découvert l’humanisme qui peut régner dans les syndicats, à travers mon fils qui est devenu militant CGT, et j’ai révisé ma position qui était héritée de ce que je voyais à travers grèves et manifestations.
C’est intentionnellement que je m’exprime en dernier. J’ai trouvé vos témoignages extraordinaires, et j’en ai oublié de m’en nourrir pour formuler le mien. Vos témoignages de ce soir m’ont changé, tout comme la discussion sur la morale que nous avons eue durant le repas.