Parallèles entre sociétés humaines et sociétés animales (Conférence d’Yvon Le Maho)

La base de l’organisation de toute société humaine ou animale est l’identification et la communication entre les individus.

Comment les animaux s’identifient individuellement? Cela dépend en fait des espèces. Chez les mammifères, et notamment chez les petits mammifères, c’est généralement par l’odorat. Chez les oiseaux, c’est le son. Par exemple chez le manchot empereur, Jean Prévost et Pierre Jouventin ont montré que le chant est semblable à un code-barres avec une succession de silences et de sons. Ce qui est assez extraordinaire, c’est que l’empereur dispose de deux organes vocaux. Le son obtenu assure non seulement l’information de l’identité individuelle mais aussi celle du sexe. Il est également probable qu’il véhicule une information concernant l’environnement comme la localisation et l’importance des ressources alimentaires.

La grande difficulté pour progresser dans la compréhension de l’identification animale est que nous ne disposons de très peu de moyens pour  en quelque sorte discuter avec les animaux et les comprendre... et cela, c’est un obstacle majeur. Personnellement je pense que la vie des animaux du point de vue de la structure et du fonctionnement de leur société est infiniment plus riche que ce que l’on pense et que l’on sait aujourd’hui.

Maintenant il convient d’examiner dans les parallèles entre sociétés animales et sociétés humaines ce qui concerne les notions de hiérarchie et d’égalité.

Quand on compare société animale et société humaine on se pose inévitablement la question :

Existe- t-il des sociétés animales égalitaires ? La réponse est non. Aucune société animale n’est égalitaire. Elles sont plus ou moins fondées sur une hiérarchie, donc sur une dominance. Et donc sur l’utilisation d’individus dominants. Ils peuvent être plusieurs ; plusieurs individus peuvent en effet coopérer pour dominer un groupe.

Une notion qui est également essentielle est celle de la territorialité. Chez la plus part des espèces animales, notamment au cours de la reproduction, il y a des territoires et ces territoires sont défendus de manière incroyable. Par exemple, un petit passereau n’hésitera pas à s’attaquer à une pie ou à une corneille. Le fait de se reproduire donne à l’animal une puissance quel que soit sa taille. Il existe quelques exceptions à la territorialité et je vous en parlerai plus loin. Les territoires ne se limitent pas à la reproduction. Certaines espèces animales ont ainsi un territoire d’hivernage.

Concernant la coopération déjà évoquée pour assurer une domination, il peut y avoir une coopération pour s’alimenter, comme les loups ou les orques qui peuvent chasser groupés (en meute pour les loups). On a également découvert il y a une trentaine d’années des comportements qui relèvent de relations économiques dans le monde animal. L’échange existe comme dans les sociétés humaines. Comme on l’observe chez les corvidés et les primates, la coopération dans la relation économique permet également à plusieurs individus d’obtenir beaucoup plus qu’ils ne pourraient le faire individuellement

Par ailleurs, il existe des mammifères qui ont une structure sociale ressemblant à celle des abeilles avec une reine et des ouvrières : il s’agit des rats-taupes. Certes, ils ont la taille de rats et vivent sous terre, mais ce terme est impropre car du point de leur classification ce ne sont ni des rats ni des taupes. Ce sont des mammifères apparentés au porc-épic qui vivent en Afrique du sud. Le rat-taupe nu (l’apparentement avec le porc-épic n’est pas lié à des épines !) est devenu une « star » des laboratoires de recherche biomédicale. En effet, il ne vit pas seulement avec la structure sociale d’une ruche d’abeilles mais il peut vivre 35 à 40 ans. C’est extraordinaire pour un animal de cette taille. Un rat ou une souris ne vivent en effet que 3 ou 4 ans. On s’est évidemment demandé pourquoi ? En faisant des biopsies tissulaires, c’est à dire en récupérant des cellules de rat-taupe, on s’est rendu compte que l’on ne trouvait pas de cancer. Quand on met en culture in vitro (dans ce que l’on appelle un disque de Pétri), des cellules isolées de rats-taupes, la prolifération de ces cellules s’arrêtent quand elles arrivent au bord du disque. Alors que la prolifération continue pour des cellules de souris ou de rats. Il en est de même pour des cellules humaines. Il y a donc chez le rat-taupe un mécanisme anti prolifération c’est à dire un mécanisme anti cancer. Ce mécanisme n’aurait jamais été découvert si l’on n’avait pas étudié le rat taupe. J’ai choisi cet exemple pour vous montrer que la biodiversité n’est pas seulement une source d’inspiration quant à la structure de l’effet société mais c’est aussi une source d’inspiration biomédicale.

La quasi-totalité des moyens humains et financiers affectés à la recherche biomédicale sont consacrés à la souris de laboratoire car elle se reproduit rapidement et on peut donc facilement travailler sur plusieurs générations. Comme l’a exprimé un éditorial des Comptes Rendus de l’Académie des Sciences des USA, est-il raisonnable de mettre presque tous les moyens de la recherche biomédicale sur la souris quand on constate qu’un mécanisme d’intérêt biomédical n’aurait jamais été découvert si on n’avait expérimenté que sur la souris ?

Maintenant nous allons développer la notion de territorialité et de défense territoriale chez les animaux en prenant comme modèle les manchots.

Commençons par le manchot royal. C’est un manchot qui vit dans les iles subantarctiques et on trouve les trois quarts de la population mondiale dans les Terres Australes françaises, et notamment dans l’archipel de Crozet. C’est un animal qui défend son territoire lorsqu’il couve son œuf. Un manchot royal passe ainsi l’équivalent de six heures pleines sur vingt-quatre à se battre pour maintenir son territoire. René Groscolas et ses élèves ont réalisé une étude dans laquelle ils ont mis une séparation entre des manchots royaux pour modifier leur densité dans la colonie. Quand ils mettaient seulement deux individus en train de couver sur plusieurs mètres carrés, ceux-ci continuaient à se battre en restant à une distance « coups de becs – coups d’ailerons l’un de l’autre». En fait s’ils se maintiennent à cette relativement courte distance, c’est parce que leur défense territoriale est destinée à se défendre des prédateurs. Un prédateur, comme par exemple un Pétrel Géant, hésitera à circuler dans les zones denses de la colonie. C’est la raison pour laquelle cette territorialité s’est développée au cours de l’évolution.

Pour une mésange dans un jardin, la territorialité est à l’échelle d’une partie de ce jardin.

Si les royaux couvaient leurs œufs à plusieurs mètres les uns des autres le prédateur pourrait circuler très facilement. Il y a donc une densité optimale de manchots royaux qui, bien qu’elle les oblige à une dépense d’énergie supplémentaire (n’oublions pas que les manchots royaux jeûnent lorsqu’ils couvent leur œuf), augmente considérablement le succès reproducteur. Ceux qui ne maintiennent pas cette distance de territorialité ont un succès reproducteur plus faible car ils font l’objet de prédation.

Chez la plupart des espèces animales, la reproduction coïncide avec le pic annuel de ressources. Le cycle de reproduction des manchots royaux est cependant atypique. C’est évidemment durant l’été qu’ils trouvent beaucoup de nourriture, les poussins étant abandonnés par leurs parents à partir du mois de mai, c’est-à-dire au seuil de l’hiver. Ils peuvent alors jeuner jusqu’à quatre mois. Les parents vont vers le sud, dans la zone des glaces, pour trouver à se nourrir et leur suivi par satellite par le système Argos montre qu’ils vont s’alimenter à mille cinq cents, voire à deux mille kilomètres de leur colonie de reproduction. Espèce subantarctique, le manchot royal devient alors une espèce antarctique… La croissance du poussin se fait donc sur plus d’un an puisque le premier été correspond à l’incubation de l’œuf et à l’éclosion. La croissance du poussin est alors rapide puisque les ressources marines sont importantes. Cette croissance s’interrompt avec l’hiver et l’abandon du poussin par ses parents. Sa croissance reprend avec le retour des parents au cours de l’été suivant. Donc là j’en arrive à une autre notion : celle de la synchronisation/désynchronisation. En effet, si on prend le cas d’individus qui échouent dans leur reproduction, ils vont être en pole position pour recommencer un nouveau cycle reproducteur l’été n + 1 tandis que ceux qui ont réussi à élever un poussin jusqu’au bout ne termineront son élevage qu’à la fin du deuxième été. De ce fait, s’ils recommencent un nouveau cycle reproducteur après l’indispensable mue, ce sera des reproducteurs tardifs.

Par conséquent, les reproducteurs précoces parce qu’ils ont échoué l’année précédente bénéficient du maximum de ressources marines de l’été, tandis que ceux qui ont réussi à élever un poussin sont des reproducteurs tardifs et font donc face à des ressources marines qui commencent à baisser durant leur nouveau cycle reproducteur. On a donc alors une désynchronisation de leur cycle reproducteur avec le pic annuel de ressources marines.

La structure sociale de la colonie de reproduction, c’est-à-dire la distribution des individus en fonction de leur histoire de vie, évolue probablement en fonction des ressources marines. C’est-à-dire que très vraisemblablement, au début du cycle reproducteur, la date d’arrivée dans la colonie des individus les plus jeunes (et par conséquent les moins expérimentés) par rapport aux individus les plus expérimentés est d’autant plus tardive que les ressources en mer sont moins abondantes. Dans ce cas, on peut donc s’attendre à ce que les individus non expérimentés se retrouvent majoritairement dans les zones les moins favorables de la colonie, car les plus infestées par des tiques ou trop proches de la mer et donc vouées à un échec en cas de tempête. Mais on peut penser que les individus très expérimentés tardifs, comme par exemple ceux qui viennent de réussir un cycle reproducteur complet, se battent à coup d’ailerons et de becs pour se faire une place dans les meilleurs emplacements de la colonie et ce même s’ils sont déjà densément peuplés… Notre objectif avec Céline Le Bohec, qui m’a succédé à la tête du programme de l’IPEV, est de vérifier ces hypothèses.

La structure d’une colonie de manchots empereurs et son fonctionnement diffèrent totalement de celle des manchots royaux. La clé de leur succès reproducteur est le fait qu’ils doivent se serrer les uns contre les autres pour réduire leur dépense énergétique. Jean Prévost, qui a été le premier à décrire le cycle hivernal du manchot empereur dans les années 60 a montré que les individus parqués, et donc insuffisamment nombreux pour former des « tortues » en se serrant les uns contre les autres comme le faisaient les légionnaires romains, doit se réalimenter après seulement 60 jours de jeûne. Or, 60 jours ce n’est pas suffisant, car, entre leur arrivée et la fin de l’incubation de l’œuf, les mâles doivent pouvoir jeûner environ 120 jours. Ils assurent en effet la totalité de l’incubation, les femelles partant en mer après la ponte pour se restaurer. En se serrant les uns contre les autres (10 oiseaux de 30 à 40 kilos au mètre carré !), les mâles réduisent leur dépense énergétique de moitié, ce qui leur permet d’atteindre ces 120 jours de jeûne nécessaires à l’incubation.

C’est l’absence de défense territoriale au cours de la reproduction qui permet aux manchots empereurs de se serrer les uns contre les autres ; ils constituent ainsi l’une des rares exceptions dans le monde animal du point de vue de la défense territoriale.

Jusqu’à ces travaux du laboratoire de Strasbourg, on ne connaissait que l’hibernation comme mécanisme de réduction de la dépense énergétique. Ce mécanisme est d’une efficacité remarquable : il permet à un oiseau ou un mammifère de petite taille de réduire jusqu’à 90% de sa dépense énergétique. Cette réduction résulte d’une forte baisse de la température interne de l’animal. Par analogie, le moyen le plus efficace pour réduire la facture d’un chauffage central est de diminuer la température affichée sur les thermostats des radiateurs… S’il ne peut pas se ravitailler pendant 24 heures de mauvais temps, un oiseau mouche sur son nid dans la Cordillère des Andes voit baisser sa température d’environ 41°C à 3 ou 4 °C. C’est pour lui la seule façon de survivre…

Mais le défi énergétique du manchot empereur pour pouvoir se reproduire au cours de l’hiver polaire était d’abaisser son métabolisme pour arriver à jeûner 4 mois tout en couvant son œuf, ce qui nécessitait de conserver une température interne élevée. C’est ainsi qu’avec Caroline Gilbert et André Ancel nous avons découvert un nouveau mécanisme d’abaissement de la dépense énergétique chez les animaux : un mécanisme qui ne nécessite pas un fort abaissement de la température interne mais un comportement social. Celui-ci, rendu possible par l’absence de défense territoriale, implique que les individus se serrent les uns contre les autres et réduisent ainsi leur surface corporelle de déperdition thermique. Une tortue de manchots empereurs c’est donc un super-organisme dans lequel la surface de déperdition thermique est minimisée par rapport au volume producteur de chaleur.

Ce nouveau mécanisme découvert chez le manchot empereur m’a donné l’idée de découvrir ce qu’il en est chez les nouveaux nés… Vous savez que les petits chats, les petits lapins, naissent nus comme des vers, et pendant quelques jours ils ne quittent pas le nid dans lequel ils sont groupés. On a découvert qu’en se serrant les uns contre les autres, le même mécanisme de réduction de la dépense énergétique sans baisse de leur température interne que chez le manchot empereur opère. Or, si la température interne de ces nouveau-nés baisse, leur croissance s’arrête. Pour qu’ils puissent grandir rapidement, il faut donc maintenir une température élevée. Vous allez dire : mais pourquoi n’ont-ils pas de pelage ? De fait, qu’ils n’aient pas de pelage n’est pas un déficit qui est à l’origine de ce comportement de se serrer les uns contre les autres, c’est au contraire une adaptation qui permet d’éviter qu’ils soient confrontés au problème que pose la tortue chez le manchot empereur en créant un environnement tropical. En effet, par analogie, quand vous vous trouvez dans une cabine de téléférique, aux sports d’hiver avec vos anoraks, vous avez rapidement très chaud. Le problème du manchot empereur, contrairement à ce qui est dit dans la marche de l’empereur, c’est qu’au bout de 20 minutes les individus créent un environnement tropical en se serrant les uns contre les autres. La température atteint en effet rapidement 30 à 32 degrés dans la tortue. Quand ils sont en tortue, les manchots empereurs doivent donc se séparer au bout d’une demi-heure, après 45 minutes en moyenne, pour éviter un stress thermique. De plus, cette structure de la colonie ne comporte plus que des mâles en train de couver en plein hiver, alors que dans une colonie de manchots royaux aussi bien des mâles et que des femelles couvent.

Pourquoi uniquement les mâles chez le manchot empereur? C’est parce que du point de vue évolutif il est beaucoup plus astucieux que la femelle qui a pondu l’œuf parte en mer pour se réalimenter que le male a beaucoup plus de réserves corporelles (ce qui a été sélectionné par l’évolution) pour assurer l’incubation pendant 65 jours, au total 120 jours en comptant l’arrivée dans la colonie.

Comme il peut y avoir 200 km de marche sur la banquise entre la colonie et la mer libre, pour de tels oiseaux qui marchent sur la banquise cela ferait une dépense d’énergie fantastique si les deux conjoints devaient aller et venir l’un après l’autre pour s’échanger l’œuf. Il est donc beaucoup plus astucieux que ce soit développé au cours de l’évolution ce dimorphisme dans le fonctionnement de la colonie. Il est donc la conséquence du contexte dans lequel se reproduit le manchot empereur : sur la glace de mer et à un endroit où elle est bien ancrée (et donc loin de la mer libre) pour que soit minimisé le risque de sa destruction au cours d’une tempête.

Maintenant, on ne peut pas faire une analogie entre les sociétés humaines et animales sans penser aux primates… et notamment à nos cousins les grands singes (gorilles, chimpanzés, bonobo…). Lorsque j’ai consulté les chercheurs en éthologie en préparant cette conférence, j’ai donc été assez étonné d’apprendre qu’il ne fallait pas se limiter à ces grands singes… Ils m’ont en effet conseillé de m’intéresser non pas seulement à ces quelques espèces mais aussi à des espèces très répandues à travers le monde car cette dispersion montre beaucoup plus de différences porteuses d’informations.

J’ai donc regardé ce qu’il en était des macaques. C’est un groupe assez homogène et il est intéressant de le comparer à l’évolution de l’homme puisqu’il est également apparu en Afrique, il y a 7 millions d’années, et qu’il a colonisé l’Eurasie il y a 5 à 6 millions d’années. On trouve des macaques en Indonésie, au Japon, un petit peu partout…

L’intérêt de ce groupe assez nombreux, c’est qu’il y a une organisation sociale qui est comparable, mais comparable entre guillemets, parce que vous avez des groupes avec une majorité de mâles et d’autres avec une majorité de femelles ; il est donc intéressant de comprendre pourquoi. La situation est liée à la dominance car si vous avez une espèce où il y a un mâle très dominant, les jeunes mâles s’ils veulent procréer ont intérêt à chercher ailleurs… Et comme vous allez le voir il y a un contraste dans les relations sociales. C’est ce que les éthologistes ont étudié.

Mais c’est aussi, et cela est surprenant, que le genre des macaques a une très grande distribution géographique. Vous imaginez probablement que les singes sont des animaux tropicaux. Eh bien, à Hokkaido en hiver, il ne fait pas très chaud c’est le moins que l’on puisse dire, et on peut voir les macaques du Japon couverts de neige. Ce n’est pas du tout l’image à laquelle on s’attend pour un groupe qui est né en Afrique ! On a en effet des macaques à Gibraltar, en Afrique du nord, en Asie… il y en a donc un petit peu partout.

Ce qui est également intéressant, c’est que la dominance est assez variable selon les espèces. On peut ainsi trouver des images extraordinaires de groupes de macques du Japon, installés dans des sources chaudes avec le mâle dominant au milieu d’eux. Certes il fait froid à Hokkaido, mais il y a des sources chaudes…

Ce que les éthologistes et les climatologues étudient particulièrement aujourd’hui, c’est comment varient la structure et le fonctionnement des sociétés animales. Ils étudient notamment ce que l’on appelle l’asymétrie des conflits. L’asymétrie des conflits c’est que chez certaines espèces où il y a une très forte dominance il n’y a aucune réaction à l’agression parce que les individus sont complètement dominés par le dominant. C’est le cas pour les macaques du Japon. Par contre, chez le macaque de Tonkean en Indonésie, le macaque agressé répond. Il ne se laisse pas faire. C’est là où ça devient très intéressant dans la structure et le fonctionnement de sociétés.

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Ce premier diagramme décrit l’importance relative des contre-agressions selon les espèces.

Ces réactions agressives sont d’autant plus importantes que les populations ne sont pas régies par un mâle très dominant.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Chez le singe rhésus il n’y a pratiquement pas de réaction alors que chez le macaque de Tonkean il y a une réaction à l’agression. Je n’en parle pas mais la société humaine est toujours en filigrane dans les différents points que j’aborde, il y a bien sûr la tendance à la réconciliation. Quelle est la proportion de conflits qui sont suivis par un apaisement entre les opposants ?

 

 

Ce second diagramme montre que les réconciliations sont d’autant plus importantes que les contre-agressions le sont.

Lire la ligne % de réconciliations sous

la ligne % de contre-agressions.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On constate que c’est là où les contre-agressions sont les plus importantes qu’il y a les tentatives de réconciliation les plus importantes. À l’inverse, chez le macaque rhésus par exemple, il y a une très grande dominance avec très peu de contre-agressions et il y a très peu de conciliations. Dans cette société où il y a une très forte dominance, l’apparentement entre les individus est soudé contre les autres groupes.

À conditions environnementales similaires, on voit que c’est l’espèce qui a certaines caractéristiques. On a donc des styles sociaux dans les sociétés de macaques, ou autrement dit des traits de caractère distinctifs des espèces. Dans l’évolution, les espèces ont évolué avec des traits de caractère comme la tendance à la réconciliation, comme l’asymétrie dans les conflits, comme l’intensité de l’agression, le gradient de dominance, et aussi le degré de tolérance par la mère… Ces traits leurs sont propres et encore une fois ne dépendent pas de l’environnement.

Dans de nombreuses sociétés de rongeurs, on trouve des individus qui aident une famille à élever sa progéniture… À noter aussi l’importance des jeux chez certaines espèces….

Ce que l’on a vu ensemble :

L’identification

La hiérarchie et l’égalité

La territorialité

La coopération

La relation économique

Pour compléter, il faut signaler que les animaux ont souvent des capacités qui leurs sont particulières et sont supérieures aux nôtres. Chez les mammifères, beaucoup d’espèces ont ainsi un odorat très supérieur à celui de l’homme. Chez les oiseaux, notamment les prédateurs, la vision est très supérieure à celle de l’homme. Les oiseaux ont notamment une vision qui s’étend au spectre UV.

Les chimpanzés ont des capacités de mémoire dans des domaines où ils surpassent largement celles de l’homme. Les chercheurs japonais Inoue et Matsuzawa de l'Université de Kyoto ont ainsi montré via un test que le chimpanzé bénéficie d’une mémoire photographique instantanée très supérieure à nos capacités humaines. En effet, sur un écran de télévision apparaissent au hasard dans une grille de cercles des chiffres qui restent éclairés pendant quelques instants. Réapparait en suite la grille de cercles sans les chiffres.

Le chimpanzé est capable de redonner la distribution de chiffres initiale en tapant dans chaque cercle le nombre de fois correspondant au chiffre qui était inscrit dans le cercle.

S’il est distrait, il fera quelques fautes ; mais si on le fait recommencer en lui demandant de se concentrer, il ne fera aucune faute. Le même test fait avec des centaines d’étudiants n’a jamais fourni un tel score.

Il y a certainement des capacités que nous ignorons encore qui rentrent probablement dans le fonctionnement de ces sociétés animales sans que l’on sache toujours pourquoi.

Les mésanges cachent ainsi de la nourriture et elles sont capables de mémoriser un nombre de cachettes incroyable (l’homme est totalement incapable d’une telle performance). Cette capacité est liée au fait que leur survie hivernale en dépend.

 

 

Questions/Réponses à Yvon Le Maho

Q1 Toutes les espèces de manchots sont-elles identiques du point de vue comportemental ?

 

Q2   A quel niveau la recherche en est-elle quant à la communication avec les animaux ?

 

Q3 Pouvez-vous collaborer avec des personnes qui sont particulièrement proches des animaux ?

 

Q4 Votre recherche sur le comportement des animaux peut-elle éclairer la recherche sur les comportements humains ?

 

Q5 Pouvez-vous préciser comment regroupés en tortue, les manchots empereurs peuvent atteindre une température de 30 ° C ?

 

Q6 Peut-on avoir une transposition typologique des groupes de macaques à des groupes d’hommes ?

 

Q7 La connaissance d’adaptation des animaux à des changements environnementaux est-elle applicable à l’homme ?

 

Q8 L’étude et la connaissance des sociétés animales permet-elle d’appréhender un sens à la vie sur Terre et à son développement et non le hasard et le chaos ?

 

Q9 Pouvez-vous nous parler des sociétés humaines dans les Terres Australes et Antarctiques ?

 

Des collaborations existent déjà entre des chercheurs et ceux qui connaissent particulièrement bien les animaux. Par exemple, on peut citer un groupe de recherche en éthologie à Rennes qui fait des recherches sur les chevaux. Concernant la coopération entre les individus, il y a des animaux dont je n’ai pas parlé par faute de temps comme les orques qui chassent en coopérant comme le font les loups. On étudie les similitudes entre les stratégies de ces espèces. En France, les études sur le comportement des animaux sont principalement développées à Rennes et à Strasbourg. C’est extraordinaire de voir les lettres de candidature des jeunes ! Ils veulent travailler avec les grands singes ou avec les baleines. C’est des centaines de lettres que je recevais chaque année à l’époque lorsque j’ai pris l’initiative de créer un enseignement de 3ème cycle sur la physiologie et le comportement des animaux à l’Université de Strasbourg … Mais je suis là pour répondre aux questions.

 

À quel niveau se situent aujourd’hui les recherches sur la communication avec les animaux ?

Au départ, elles se sont particulièrement développées sur les animaux polaires avec les travaux de Pierre Jouventin. Pourquoi ? Parce que les ondes acoustiques ne passent pas de la même manière dans un espace ouvert et dans un espace fermé. L’étude des manchots, qui vivent dans un espace très ouvert rend donc cette recherche moins compliquée que dans un espace de taillis et d’arbres. Prévost, puis Jouventin, ont défriché la question en étudiant le manchot empereur. Il a été relativement facile de montrer comment son chant est à la fois l’indicateur de son identité individuelle et de son sexe. On pense aujourd’hui que ce chant fournit d’autres informations importantes, telles que sur la localisation et l’abondance de proies en mer, mais démontrer si cette hypothèse est correcte est évidemment plus complexe.

 

D’une manière plus générale, une recherche qui se développe bien actuellement dans la communication des populations animales est celle sur ce qui peut être considéré comme un dialecte et qui va faire qu’au sein de la même « espèce » des individus se trouvant dans des populations différentes n’ont pratiquement aucune chance de se reproduire ensemble. Ceci protège évidemment chaque population contre la disparition d’adaptations qui lui seraient propres. Il en résulte que des populations animales, qu’il s’agisse par exemple de colonies d’oiseaux terrestres ou de mammifères marins qui se trouvent être à quelques dizaines de km les unes des autres, peuvent être génétiquement distinctes. Une autre recherche qui se développe bien actuellement, c’est celle sur la communication des mammifères marins, et notamment des baleines, grâce à des hydrophones qui permettent de capter leurs chants. Dans l’eau les sons se propagent à des distances considérables. On parle de communication animale à des centaines de kilomètres…

 

Toutes les espèces de manchots sont-elles identiques d’un point de vue comportemental ?

Par rapport aux autres espèces de manchots, le manchot empereur se singularise du point de vue de son comportement. Du fait des conditions environnementales, l’empereur n’a en effet pas le comportement de défense territoriale qui caractérise les autres manchots et la plupart des espèces de mammifères et d’oiseaux lorsqu’ils se reproduisent. Ainsi, chez le manchot royal, dès que l’œuf est pondu, celui des conjoints qui assure l’incubation à un moment donné défend son territoire contre ses congénères. Un couveur peut ainsi consacrer l’équivalent de 6 heures sur 24 à défendre son territoire. Chez les petits oiseaux de nos jardins, c’est généralement le conjoint non couveur qui défend le territoire où se trouve le nid. Bien sûr, s’il est coûteux en dépense énergétique, l’intérêt du comportement de défense territoriale est qu’il permet de réduire les risques d’échec dans la reproduction.

L’absence de comportement de défense territoriale chez le manchot empereur s’explique par le fait que ce comportement empêcherait les individus de se serrer étroitement les uns contre les autres. Or, en formant ainsi ce que l’on appelle des « tortues », les individus réduisent de moitié la vitesse d’utilisation de leurs réserves corporelles. Sans un tel « comportement thermorégulateur social » les mâles ne pourraient en effet pas assurer la totalité de l’incubation (ce qui implique au total un jeûne d’environ 120 jours en prenant en compte la période de formation du couple et de l’œuf qui précède la ponte).

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