Exposé de Pierre MOLLO - Le Plancton


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Abbaye de La Pierre qui Vire - juin 2022

L'OCEAN et L'HOMME

Couvrant 70% de sa surface, l'océan, avec son extraordinaire puissance, domine notre planète. Outre son influence directe sur le climat, il est le berceau de la vie. Ses courants, gigantesques ou locaux, gardent les eaux en perpétuel mouvement et gèrent la répartition de la nourriture et donc de la vie marine. En remontant les éléments nutritifs des profondeurs jusqu'à la surface, ils alimentent le phytoplancton, premier maillon de la chaîne alimentaire sans lequel le monde animal aquatique n'existerait pas.

L'Homme vit en étroite interaction avec l'océan qui lui apporte une partie de sa subsistance ainsi que la moitié de l'oxygène de l'atmosphère, produit par le phytoplancton. La population mondiale a sa part de responsabilité sur la santé de cet écosystème immense et fragile, les activités humaines représentant la principale menace pour les habitants de l'océan. A l'image du jeu de dominos où la chute d'une pièce peut entraîner toutes les autres, lorsque l'Homme déséquilibre un pion, provoquant l'érosion de la biodiversité marine, les conséquences atteignent en cascade le jeu entier, jusqu'au joueur. L'influence de l'Homme sur l'océan est égale à celle de l'océan sur sa vie et son devenir. La solution étant le respect de l’équilibre à commencer par celui du plancton .

LE PLANCTON , A L'ORIGINE DE LA VIE SUR TERRE

Il y a 3,5 milliards d'années, la vie naît dans l'eau. La mer est une sorte de soupe primitive sans oxygène, contenant des molécules chimiques en suspension. Dans cette « boue » apparaît la toute première cellule vivante : une bactérie anaérobie (capable de vivre sans oxygène). Après plusieurs mutations, l'une des bactéries anaérobies se perfectionne et synthétise pour la première fois une nouvelle molécule: la chlorophylle devenant ainsi algue bleue ; cette première algue microscopique (phytoplancton) a la bonne idée d'utiliser sa chlorophylle et l'énergie de la lumière pour fabriquer sa matière végétale ( sucres).
Consommant des composés minéraux (fer, souffre …) et du gaz carbonique présent dans l'eau, cette production émet un déchet l'oxygène.....Ainsi, l'algue bleue invente la photosynthèse. En lui offrant une «machine à produire de l'oxygène», cette algue unicellulaire révolutionne complètement la planète.

LES ALGUES MICROSCOPIQUES

Le plancton végétal, ou phytoplancton, est l'ensemble des algues microscopiques formées d'une seule cellule ( microalgues) .Bien qu'elles soient unicellulaires , les microalgues présentent une grande diversité de tailles, de couleurs et de formes qui peuvent être très élaborées. Le phytoplancton comprend des milliers d'espèces se répartissant en plusieurs groupes : algues bleues ou cyanobactéries, diatomées, coccolithes, chlorophycées, dinoflagellés....

Les Cyanobactéries
Capable de vivre dans les milieux extrêmes, l'algue bleue a survécu à tous les cataclysmes. Elle a su résister aux extinctions, vivre au ralenti pendant des millions d'années, s'adapter et évoluer, assurant ainsi la permanence de la vie sur Terre depuis son origine. Les cyanobactéries existent encore aujourd’hui. On les trouve dans les milieux inhospitaliers comme, par exemple, les résurgences d'eaux chaudes à 60°C.Seul groupe de phytoplancton résistant aux températures élevées, les cyanobactéries prouvent que la vie est partout. Elles vivent, discrètes, enfouies dans les vases et réapparaissent lorsque la qualité des eaux leur est favorable, c'est à dire quand le milieu se dégrade.

Les Diatomées
Il a fallu attendre l'invention du microscope afin d'apercevoir pour la première fois ces jolies algues unicellulaires jaunes ou brunes, puisque les géantes parmi elles mesurent à peine 1 millimètre. Même si elles sont invisibles à l’œil nu, comme tout le phytoplancton, il nous est cependant possible de les repérer lorsqu'elles sont en grande concentration.
Par exemple, le dépôt végétal couleur moutarde que l'on remarque parfois sur les vases et les sables lorsque la mer se retire est en fait un amas de diatomées Riches de plus de 6000 espèces, les diatomées peuvent représenter jusqu'à 80% du phytoplancton. Elles seraient le groupe végétal le plus répandu. On les trouve dans tous les milieux, de l'eau douce à l'eau salée, et même dans les gouttières ! Elles vivent partout, à toutes les températures, même extrêmes, puisque la plus grande concentration de diatomées serait sous la calotte glacière.

Les Coccolithes
Les coccolithes se caractérisent par leur squelette externe. Tout comme les diatomées captent de la silice dans l'eau pour construire leur carapace, les coccolithes y puisent du carbonate de calcium pour fabriquer leur enveloppe calcaire. Cette sorte de « coquille », appelée coccosphère, est composée de facette calcaires : les coccolithes. Lorsque la microalgue meurt, les squelettes tombent rapidement au fond de l'eau et, une dizaine de jours après, s'entassent sur le plancher océanique.
Leur accumulation donne naissance à des boues qui sédimentent au fil des millions d'années.... et l'aventure de la craie commence ! La craie des falaises d'Etretat et celle utilisée sur les tableaux de l'école sont composées en très grande partie de coccolithophoridés. Si les diatomées ont formé les carrières de Murat, les coccolithes, elles, ont construit les falaises d'Etretat ; entre autre...

Les Chlorophycées
Les chlorophycées sont des microalgues vertes vivant isolées ou organisées en colonies dans les eaux marines et douces des zones tempérées et chaudes. Unicellulaires ou pluricellulaires de forme ovoïde, elles mesurent de 1 à 10 microns et peuvent posséder deux flagelles qui leur permettent de se maintenir en surface.
Algue-fourrage dans le milieu naturel, la chlorophycée est également cultivée en laboratoire. Par exemple, Dunaliella tertiolecta sert à la nutrition des larves d'oursins et des bivalves adultes (huîtres, moules...)

Les Dinoflagellés
Particulièrement abondante dans les régions tempérées et polaires, les dinoflagellés sont présents dans le monde entier et vivent, isolés ou en colonies, dans les eaux marines ou saumâtres. Se développant habituellement du printemps à l'automne, ils apparaissent aujourd'hui également de plus en plus souvent toute l'année. Comme toutes les microalgues, ils se reproduisent par division cellulaire : une cellule mère donne deux filles toutes les douze à trente-six heures. Les dinoflagellés occupent une place importante (après les diatomées) dans la contribution primaire, alimentation de base de la chaîne alimentaire qui va jusqu'aux gros poissons et aux grands mammifères marins.

Plusieurs espèces de dinoflagellés sont présentes dans les eaux du littoral français. Certaines sont considérées comme toxiques, rendant les coquillages impropres à la consommation pour l'homme ou mortels pour la faune marine. Aujourd'hui, les phytoplanctons toxiques semblent de plus en plus nombreux et font l'objet d'une surveillance accrue. A l’affût de ces microalgues nuisibles, les scientifiques découvrent tous les jours des espèces de dinoflagellés jusque-là inconnues.

Trois espèces principales de dinoflagellés sont redoutées.
Dinophysis (50 microns) contient des toxines (DSP : Diarrhetic Shellfish Poison) qui s'accumulent dans la chair des coquillages (moules, palourdes, huitres …) .Même si ces coquillages ne semblent pas perturbés par la présence de cette microalgue toxique, ils sont néanmoins impropres à la consommation, entraînant chez l'homme des troubles gastro-intestinaux.

Alexandrium ( 20 microns) produit des toxines paralysantes (PSP : Paralytic Shellfish Poison ) qui provoquent chez le consommateur de coquillages contaminés une intoxication dont les effets apparaissent en moins de trente minutes : fourmillements et picotements, engourdissements des extrémités, vertiges et, dans les cas les plus graves, paralysie des muscles respiratoires pouvant conduire à la mort ( rare ).Actuellement, il n'existe aucun traitement à ces troubles. Les toxines s'attaquent au système nerveux de la personne qui les consomme, mais n'ont pratiquement aucun effet sur les coquillages.

Gymnodinium ( 25 microns) libère quant à lui, des toxines ayant une influence directe sur la faune marine, comme une perte d'appétit. Par exemple, il arrive que les bars ne mordent plus aux hameçons, même bien garnis ! Ces toxines peuvent provoquer des nécroses sur les branchies des poissons (sauvages et d'élevage) et enrayer la calcification des coquillages (coquille Saint-Jacques et moules), entraînant la mort des uns et des autres. Cette microalgue est également mortifère pour le zooplancton.


LE ZOOPLANCTON : LIEN ENTRE DEUX MONDES

Les premières microalgues, en inventant la photosynthèse, offrent l'oxygène à la planète et préparent l'arrivée de toute la diversité phytoplanctonique. Pendant 2 à 3 milliards d'années, ce monde végétal microscopique prolifère, évolue, se renouvelle et libère de la matière organique en quantité. Peu à peu, ces microdéchets végétaux s'accumulent dans la mer. C'est alors que la première forme de vie animale entre en scène. Unicellulaire, se nourrissant de cette matière végétale morte en suspension et en décomposition, le protozoaire nettoie l'océan et ouvre la voie au zooplancton et aux futurs animaux marins.
Provenant de la transformation de végétaux unicellulaires, ces organismes animaux unicellulaires se transforment peu à peu en pluricellulaires. Puis, progressivement, la vie s'organise et se développe dans un monde multicellulaire, chaque espèce se perfectionnant pour s'adapter aux lentes modifications ou aux grands bouleversements de la planète. Tout comme les algues ont été phytoplancton avant de devenir goémon ou laminaire, le passage des organismes microscopiques aux grands animaux s'est déroulé sur des millions d'années et par l'intermédiaire de nombreuses espèces. Le zooplancton est l'un des acteurs majeurs de toute cette évolution dans le monde aquatique.
Le zooplancton est composé d'animaux unicellulaires ou pluricellulaires, petits ou microscopiques, issus de nombreux groupes zoologiques. Le plancton animal comprend :
le zooplancton permanent qui naît ,grandit et meurt plancton
le zooplancton temporaire constitué d’œufs et de larves qui se métamorphosant en juvéniles puis en adultes (crevettes, coquillages, poissons....)

Le zooplancton permanent
Le zooplancton permanent rassemblent des animaux unicellulaires( zooflagellés, protozoaires) ou pluricellulaires dont toute la vie est planctonique, de l’œuf à l'adulte.il inclut une majorité de petits crustacés ( copépodes, krill...), des petits mollusques et des gélatineux planctoniques ( salpes, méduses...).sa taille est variable selon les espèces et peut aller de quelques microns à plusieurs mètres comme les méduses.
Le plancton animal permanent se reproduit par division cellulaire (les protozoaires ) ou par accouplement(les copépodes ), avec un taux de reproduction très important. Il renouvelle sa biomasse rapidement. Par exemple, trois ou quatre jours après sa naissance, le copépode devient adulte (quelques centaines de microns), s’accouple et pond une vingtaine d’œufs qui deviennent adultes trois ou quatre jours après etc.. A chaque stade de sa croissance, le zooplancton permanent est une proie facile pour le plancton temporaire et les petits poissons (sardines, anchois, sprats lançons). Sa durée de vie est courte : de quelques jours à quelques semaines, avec un peu de chance.

Le zooplancton temporaire
De très nombreuses espèces marines ont un début de vie planctonique, en général à leur stade larvaire. Œufs, larves de bivalves, crustacés, poissons , échinoderme... composent une grande partie du zooplancton temporaire
- les larves de crustacés, dont les adultes vivent sur le fond. La larve peut ressembler à un adulte en miniature, comme l'écrevisse, ou avoir une forme très différente et passer par une succession de stade larvaire avant d’atteindre la forme adulte. Par exemple , la crevette japonaise éclot au stade « nauplius », le crabe au stade « zoé » et le homard au stade « mysis ».La durée de vie larvaire dure de deux à quatre semaines, sauf pour la langouste qui reste plancton pendant plusieurs mois.
- les larves de mollusques telles que les huîtres, les moules ou palourdes. Issue d'un œuf, la larve de ces coquillages, ciliée et nageuse, se fabrique peu à peu une coquille transparente, puis va se fixer sur les rochers au moment de la métamorphose deux à quatre semaine après la fécondation.
- les larves et les œufs de divers invertébrés benthiques comme les vers annélides et les échinodermes (oursins, étoile de mer )
- les œufs et alevins de poissons : bars, turbots, sardines …

Tous ces petits organismes se retrouvent généralement dans le ventre d'espèces plus grandes dont ils composent l'alimentation ; peu de larves atteignent l'âge adulte, de quelques pour cent à quelques pour mille. Par exemple, sur 1000 larves de homard en milieu naturel quelques dizaines vont atteindre la taille de la métamorphose (1 à 2 cm). En écloserie le même taux de survie peut atteindre de 10 à 70% en fonction de la saison (écloserie de Houat).

(extrait du livre « Le manuel du plancton » Anne Noury et Pierre Mollo 2013 ECLM



LE LITTORAL NOURRICIER

Gérer les ressources vivantes de la bande côtière, c'est aussi préserver les réserves
halieutiques hauturières.

La terre nourrit la mer-notamment par la rivière qui est un véritable trait d'union. Les êtres vivants des océans ont besoin des nourriceries des marais littoraux , des estuaires et des fonds sableux pour se développer, comme la terre a besoin des forêts pour nourrir son sol. De la même façon, dans les vases des estuaires, les organismes du sol vont digérer les matières végétales en décomposition, à leur tour ces organismes, par leurs déjections, vont alimenter les bactéries qui libéreront les nutriments indispensables au bon développement des plantes et des algues.

Le transfert des nutriments de ces espaces continentaux jusque dans la mer concourt à faire des zones humides littorales des sites privilégiés, des interfaces entre terre et mer. Du mélange subtil des eaux riches en éléments minéraux et des eaux océaniques naîtra une production diversifiée de phytoplancton qui, à son tour, alimentera toute la chaîne trophique. La grande diversité végétale et animale marine dépend de la préservation de ces équilibre naturels. Du vivier de la mer nous vivrons si, demain, nous savons protéger le vivant de la terre, des vases et des sables.

Les profondeurs océaniques apportent également leurs contributions aux productions importantes d'espèces marines. Depuis la nuit des temps, le peuplement des océans, par la vie et la mort successives, n'a eu de cesse d'accumuler dans les profondeurs abyssales des sels minéraux dus à la décomposition de la matière organique. La mécanique « upwelling » remonte des profondeurs des eaux froide les nutriments nécessaires à la prolifération, dans les eaux de surface , des algues microscopiques. Ce phytoplancton favorisera le développement du zooplancton (herbivore de ces micro-organismes) qui deviendra à son tour la proie essentielle des poissons fourrages (sprats, anchois, sardines …) qui eux-mêmes feront le bonheur des grands prédateurs.

Ainsi, à la rencontre des eaux estuariennes et des profondeurs abyssales se développe toute la biodiversité halieutique de nos mers côtières. La brièveté de la vie du plancton en fait un excellent indicateur de la qualité des milieux aquatiques. Il est la synthèse à l'aval des actions de l'amont, il est le résultat du comportement des actions humaines (physique, chimique, biologique , les barrages, les extractions de sables , les pesticides, les déjections..). Les modifications et les perturbations du plancton participent à la raréfaction de certaines espèces et peuvent déséquilibrer les réseaux trophiques et la pyramide de la vie marine.

La spécificité du littoral breton est due à sa géographie : véritable laboratoire à ciel ouvert, le panache des eaux estuariennes s'en allant bien au-delà des espaces côtiers, vers le large. Ainsi, le grand large, bénéficie des apports de nutriments transportés par les courants continentaux. Les professionnels de la pêche hauturière doivent donc se sentir concernés et être attentifs à la qualité des eaux côtières : leur métier en dépend. Les choix d'aménagement du littoral ont également des résonances sur l'écologie des mers, et leurs conséquences peuvent devenir irréversibles pour les ressources marines. L'aquaculture (mise à part la conchyliculture) n'est pas la baguette magique contre la diminution des stocks de poissons. Elle a permis d'acquérir les savoir-faire en matière de reproduction et d’obtention de juvéniles d'espèces marines. Elle pourrait devenir demain une activité au service du repeuplement des mers. La mer, comme la terre, sera alors capable d'assurer la production des protéines nécessaires à l'humanité à venir.

De la biodiversité des vases et des sables découle la diversité des métiers de la pêche et de la conchyliculture.

Pierre Mollo



POURQUOI LES SARDINES RAFFOLENT ELLES DES CHATAIGNES?

Depuis la nuit des temps, le lien entre la terre et la mer démontre comment le ferment de l’une profite à la grande diversité des espèces de l’autre. La preuve : les sardines raffolent des châtaignes.

Avant d’aborder les sardines bretonnes, faisons un détour par le Japon. Une belle histoire nous est enseignée par un ostréiculteur, Shigeatsu Hatakeyama, aussi connu comme «L’Homme qui plantait des arbres pour nourrir ses huîtres».

Des huîtres et 10 000 enfants par an
En 1989, les huîtres de Shigeatsu deviennent impropres à la consommation suite à une marée rouge. Il observe, enquête... et trouve une solution originale au problème. Il s’aperçoit que les micro-algues toxiques rouges se nourrissent de la pollution de la rivière voisine. Or, il a aussi remarqué que les feuilles des arbres de la forêt qui borde cette rivière filtraient naturellement les eaux pluviales terrestres, en même temps que le fleuve charriait vers la mer des nutriments issus de la décomposition des feuilles, nutriments qui nourrissent les huîtres.
Il réalise à ce moment que l’écosystème ne peut être compris que dans sa globalité : « La solution consiste à reconstruire l’écosystème de la terre à la mer. Il faut de l’humus pour nourrir les huîtres ! » Parce que l’humus contient du fer, des sels minéraux... qui rendent possible la photosynthèse grâce à la lumière. L’humus permet au phytoplancton de se développer… et aux huîtres de se nourrir.
Il propose alors à toutes les communautés situées autour de son bassin versant de planter une forêt de feuillus en amont de l’estuaire. Des agriculteurs le suivent dans cette aventure, une poétesse riveraine crée le mouvement « La forêt est amoureuse de la mer »… et le miracle opère : petit à petit, la qualité des eaux s’améliore à un point tel que la culture d’huîtres peut reprendre.
Vingt-cinq ans plus tard, 30 000 arbres ont été plantés sur les berges de la rivière, des programmes sont menés pour supprimer les pesticides dans les cultures et réguler le ruissellement des eaux. L’expérience est connue dans tout le pays. Elle figure aujourd’hui dans les programmes scolaires du Japon. Chaque année, 10 000 enfants sont invités sur place pour planter des arbres et prendre conscience du lien entre l’activité humaine, l’eau des rivières, le sol, la forêt et la mer.

Déjà, il y a 3 milliards d’années…
Pour bien comprendre ce phénomène, un petit rappel historique s’impose. Alors que le phytoplancton peuplait l’océan depuis plus de 3 milliards d’années, une partie du monde végétal microscopique a quitté la mer. Des noces légendaires entre une micro-algue et un champignon naquirent les lichens qui colonisèrent la terre ferme, il y a de cela 600 millions d’années. Cette étonnante association entre une algue et un champignon, chaque plante bénéficiant des qualités de l’autre, s’appelle une symbiose. De là, toutes les variétés de plantes terrestres se sont développées, jusqu’aux grands arbres à feuilles.

Les forêts produisent aujourd’hui près de la moitié de l’oxygène dont le monde vivant a besoin. Grâce au couvert végétal formé par les feuilles tombées au sol, les arbres participent à l’humus des sols, lequel stocke et filtre de grandes quantités d’eau et d’humidité.

Ainsi à l’origine la mer a-t-elle nourri la terre, et contribué, par les échanges gazeux mer-atmosphère, à produire 50 % de l’oxygène, grâce au phytoplancton. Désormais, la terre rend à l’océan sa part pour que la grande diversité des espèces halieutiques puisse se développer.

L’épopée de la sardine
Tournons-nous maintenant vers la Bretagne des années 1950-1960 en Bretagne. La pêche artisanale morbihannaise dans le Mor Braz (Grande Mer, située entre Le Croisic et Quiberon, ceinturée par les îles Hoedic, Houat et Belle-Île) va vivre une formidable épopée de la sardine. Dans le prolongement de cette zone, il faut aussi associer la ria d’Etel et les presqu’îles de Gâvre et de Port-Louis.
Chaque année, au printemps et en été, les sardines se donnent systématiquement rendez-vous dans le Mor Braz. Les bateaux vont armer pour cette pêche à la bolinche, les sardines seront débarquées à proximité des ports où sont installées une quinzaine de conserveries.
Pourquoi ce regroupement de sardines tous les ans dans cette baie ? Lorsqu’arrive le printemps, la température de la mer se réchauffe, ainsi le phytoplancton se multiplie et le zooplancton, comme les copépodes herbivores, petits crustacés de quelques centaines de microns, se régalent de cette manne providentielle de nourriture végétale microscopique. Cela tombe bien, car les copépodes sont la nourriture d’excellence des… sardines, nous y voilà, et ce depuis leur naissance jusqu’à la taille où elles vont se reproduire. D’où leur arrivée en nombre !

Le phytoplancton ? Un rôle clé…
Et le phytoplancton quant à lui, comment se nourrit-il et quel rôle joue-t-il ? Comme toutes les plantes, les micro-algues qui composent le phytoplancton sont des organismes qui fabriquent leur substance à partir du gaz carbonique (CO2) et de composés minéraux (azote, phosphate, fer silice…) dissous dans l’eau.
Pour cela, elles utilisent l’énergie de la lumière qu’elles captent grâce à la chlorophylle contenue dans leurs cellules. Acteurs de la photosynthèse (plus 50 % de l’oxygène de la planète), l’eau, la lumière, le CO2 et les sels minéraux sont les éléments essentiels de la vie végétale sur terre comme en mer. Le phytoplancton participe donc à la photosynthèse
Le phytoplancton trouve les sels minéraux dans son environnement. Ceux-ci existent à l’état naturel dans la composition des roches, la décomposition organique des feuilles dans l’humus des forêts. Provenant de l’érosion, ces sels minéraux circulent par les bassins versants ; les rivières et les fleuves charrient des eaux riches en nutriments qui rejoignent le littoral. Cet apport en sels nutritifs dans la mer permet la présence massive de phytoplancton aux abords des estuaires et des baies.
Ce phytoplancton de qualité (les Diatomées en particulier) est absorbé par les organismes de petite taille, mais aussi par les filtreurs comme les bivalves (huîtres, moules…). Le phytoplancton est ainsi à la base de la chaîne des océans. Le zooplancton et les copépodes en particulier sont aussi les premiers à se nourrir de ces micro-algues en tant qu’herbivores. En conséquence, il n’est pas étonnant de voir ce garde-manger planctonique ravir les papilles de nos sardines du printemps à l’automne !
La preuve est donc faite que la terre nourrit la mer, et ce parfois même de très loin de l’intérieur des terres. Tel est le cas de notre Mor Braz : il bénéficie, depuis la nuit des temps, de l’estuaire de la Vilaine. Ce fleuve prend sa source à plus de deux cents kilomètres dans les terres, il a aussi la particularité de traverser le pays de Redon où les forêts de feuillus sont abondantes : châtaigniers, hêtres, chênes… ce qui nous autorise à imaginer des liens invisibles entre les châtaignes et les poissons. En effet, les feuillus apportent les minéraux indispensables au phytoplancton, lequel va nourrir les copépodes et ainsi rendre la zone du Mor Braz attractive… pour les sardines !

… mais point trop n’en faut !
Ce précieux équilibre est fragile ! Au début des années 1960, la décision est prise de construire un barrage d’estuaire sur la Vilaine, le barrage d’Arzal. Ce bétonnage à l’embouchure du fleuve va former un bouchon vaseux de sédiments de 3 à 4 mètres d’épaisseur, va faire disparaître la production de moules sur bouchots (2 000 tonnes annuelles) sur la commune de Tréhiguier. S’en suivront, quelques années plus tard, des marées rouges. Rappelons-nous l’histoire de notre ostréiculteur japonais : c’est la même.
Qui dit marée rouge dit phytoplancton toxique sur le Mor Braz, dû aux apports importants au moment des ouvertures de vannes (souvent à la fin du printemps), qui servent à évacuer le trop-plein de sédiments accumulés à l’amont du barrage. Cet apport excessif et soudain de matières organiques favorise le développement de bactéries qui vont, à leur tour, par leur décomposition, produire les éléments minéraux en trop grande quantité et interagir sur la qualité et la diversité du phytoplancton. Les micro-algues s’adaptant suivant la qualité des eaux dans lesquelles elles évoluent, elles auront un impact sur les réseaux trophiques.
La diminution du zooplancton et le déséquilibre de l’écosystème phytoplanctonique aboutiront alors à un dérèglement de toute la chaîne alimentaire… jusqu’au poisson. C’est pour cette raison que les sardines, ne trouvant plus la nourriture adaptée à la taille de leur bouche, vont quitter les zones de pêches traditionnelles. Ce sera, à la fin des années 1960, l’effondrement de la ressource de sardines dans cette zone et la fameuse crise économique de la sardine. La preuve est ici donnée que la diminution des ressources marines est, comme souvent, due à la dégradation de la qualité des eaux estuariennes, elle a un impact sur la diversité du plancton.

Un témoin à charge, à protéger absolument
La mer, les estuaires, les plages et l’estran doivent donc avoir une qualité d’eau d’excellence pour que les coquillages, les crustacés et les poissons puissent se développer. On l’a vu, le plancton a sa « propre histoire ». Quand apparaissent des problèmes de toxicité des produits de la mer, des mortalités ou la disparition d’espèces, on ne peut pas les expliquer si on ne sait pas ce qui s’est passé en amont dans les mois, les années qui précèdent. Le plancton est un indicateur et même plus, un vrai « témoin à charge » !
Il nous indique la cause des dérèglements : l’extraction des sédiments, l’effet barrage, les apports bactériologiques et chimiques, les mauvaises pratiques agricoles, l’urbanisation dans les zones sensibles... Autrement dit, tout ce qui peut altérer la composition de nos cours d’eau contribue à la modification du plancton, ce qui est susceptible d’entraîner des catastrophes en chaîne et de rendre difficile l’accès aux ressources alimentaires pour les générations futures.
Cette histoire de châtaignes et de sardines nous montre bien que, du pays de Redon au Mor Braz, un trait d’union a permis aux gens de terre d’être les alliés des gens de mer pour que de la mer nous vivions.


Quelques références

Des livres

L’Enjeu Plancton, l’écologie de l’invisible
, de Maëlle Thomas-Bourgneuf et Pierre Mollo, éditions Charles Léopold Mayer, 2009. https://www.eclm.fr/ouvrage-360.html
Le Manuel du plancton, d’Anne Noury et Pierre Mollo, éditions Charles Léopold Mayer, 2013.
Permaculture humaine, de Bernard Alonso et Cécile Guiochon, éditions Écosociété, 2016.
La Forêt amante de la mer, de Hatakeyama Shigeatsu, éditions Wildproject, 2019.

Une interview
« Des cimes aux abysses », le lien qui unit océans et forêts et la manière dont interagissent ces deux écosystèmes, par Pierre Mollo et Pierre-Michel Forget, à retrouver sur
https://oceans.taraexpeditions.org/m/environnement/ocean-climat/des-cimes-aux-abysses-partie-1/

Des films tournés dans la région du MorBraz
Le Pays blanc, de Philippe Durand, 26 minutes, 1974.
La Mer féconde, de Geneviève Delbos et Pierre Mollo, 26 minutes, 1980.
Une mer en ses terres, Marée noire, marée verte, marée rouge, de Geneviève Delbos et Pierre Mollo, 27 minutes, 1983.
30 ans de pêches à Houat, réalisation Pierre Mollo, 60 minutes, un document d’archives sur les activités de pêche dans le Mor Braz des années 1960 à 1973, des scènes de pêche à la sardine, la construction par les pêcheurs d’une écloserie pour le plancton à Houat…
Le Pays aux pieds d’argile, de Nicolas Ploumpidis, 52 minutes, 2019.
Contre vents et marées, de Nicolas Deschamps, 52 minutes, 2013, l'homme qui plantait des arbres pour sauver ses huitres.

Une symphonie
La voix des océans Suite symphonique du compositeur Antonio Santana https://www.antonio-santana.com. Origine de la symphonie https:////youtu.be/lop6KiUSqas . Teaser de la première le 22 juillet 2018 à la Citadelle de Port-Louis https://vimeo.com/286665183/a4f57a0d87


Avril 2020