UNE RENCONTRE SUR MON CHEMIN DE VIE : JEAN VOLOT

GILBERT :Ce témoignage en couple nous a été demandé par Claude, notre président. Pour mon témoignage personnel je vous renvoie au titre choisi : « Une rencontre sur mon chemin de vie = Jean VOLOT » rédigé en décembre 2011 à la demande de Patou et ici disponible. Aujourd’hui, comme je dois être bref, je vais surtout prêter ma voix à Jean afin d’essayer de nous rappeler, ensemble, quels étaient ses objectifs.

 

De fin novembre à début décembre 1964 : sur le Gallieni, à la Réunion puis à Kerguelen j’observe Jean : un vivant discret, attentif aux autres, curieux de les découvrir sans aucun prosélytisme. Il se trouve que quelqu’un m’avait dit : « Quelle chance tu as d’aller à KER, car tu vas hiverner avec Jean Volot, un personnage extraordinaire, etc. ». Je savais donc qu’il était ingénieur « gars d’zar » et prêtre de la Mission de France. Il ne se présente pas spontanément comme prêtre, mais comme « Cinoc » (études du CIel NOCturne). Les anciens, comme lui, qui le connaissent déjà, le tiennent manifestement en forte amitié. Donc pleinement homme parmi les hommes, il témoignait, de fait, de la place du Christ dans sa vie uniquement par sa façon d’être.

Le 25 décembre 64, donc une quinzaine de jours après notre arrivée à Port aux Français, je vois un petit mot sur la porte du réfectoire indiquant : «  À la demande de certains, le père Jean Volot célèbrera la messe de Noël à la chapelle à x heure ».

Noël ? Bon ? Ce sera le seul jour où j’aurai du vague à l’âme pendant mes 14 mois sur place. Je me disais : « Là-bas au pays la cloche sonne et les gens s’en vont vers l’étoile sainte … » (= chanson de marins bretons). Je vais aller à cette messe et découvrir ce que fait ce fameux gars Volot. Nous y voilà, on était 8 ou 10, moi j’étais derrière (déjà au parvis !). Il y a eu une célébration qui a été pour moi une découverte, très amicale, en comité donc restreint, mais tous ensembles et c’était bien différent de mes souvenirs de jeunesse. En plus Jean a explicité tous les gestes et les textes de sa liturgie, en faisant des parenthèses explicatives, en bref : ça avait de la gueule. Je me dis ce gars-là, ça vaut la peine de le découvrir moi aussi.

À la suite, nous avons eu pas mal de discussions, d’abord deux à deux (souvent en crapahut car il était excellent marcheur). Il m’a apporté des bouquins de Teilhard en disant « Lis, cela va te plaire ». J’ai oublié de vous dire que j’avais sur ma table de chevet une Bible de Jérusalem qu’il avait repérée, et ça l’avait évidemment chatouillé ! Quand il m’avait dit : « Alors tu es croyant ?», ma réponse avait été :

- Non. Mais c’est un bouquin de culture et c’est une occasion unique de le lire de la première à la dernière page. J’ai compté qu’il fallait que je lise au moins 40 pages/semaine.

- Oui, mais ce n’est pas vraiment un livre, c’est plutôt une bibliothèque. Tu devrais d’abord lire une introduction à la Bible.

- Non. Elle est très bien faite et il y a des notes bien suffisantes, on m’a déjà bien conseillé lors de mon achat (et je veux la découvrir par moi-même).

J’avais quand même trouvé quelques jours après sur ma table, des introductions pour juif, catho, protestants divers, … que je n’ai pas lues !

Les semaines passent. On a quelques échanges en tour de table du genre pingouins avec 5 ou 6 personnes. Un jour il me dit et cela m’a marqué : « Les apôtres se sont fait trouer la peau plutôt que de renier le Christ. Moi, je les crois ! ».

C’est une de ses phrases qui ont fait tilt chez moi. En bref on arrive à Pâques 1965, j’adhère et je communie à sa messe.

En mars 1966 nous sommes à la Réunion sur le pont du Gallieni pour des adieux émouvants, j’essaye de le citer : « On ne se reverra pas. Je suis contraint de refuser toute demande de célébration de style baptême ou mariage, je connais trop de monde, si je dis oui à l’un je ne peux dire non à l’autre, mais tiens moi au courant de chacune de tes grandes étapes par un petit mot ».

Le 7 mai 1971, donc 5 ans après, nos deux lettres se croisent. Lui m’annonce son arrivée en gare de Grenoble sous 3 à 4 jours de préavis, sans savoir si j’étais là ou pas, et demande l’hospitalité. Moi je l’informe du cancer létal de notre aîné Vincent … qui a 3 ans.

La visite de Jean est très motivée. Son objectif à terme est d’obtenir de l’administration des TAAF, la liste des partants en hivernage avant leur embarquement, y découvrir des chrétiens militants, pour pouvoir les contacter avant leur départ : « Je suis le dernier prêtre sur ces bases, la relève doit donc être faite par des laïcs ».

Grenoble l’intéresse car le laboratoire de glaciologie est un vivier de Taafiens. Il me charge, ainsi que Francette, qu’il découvre, d’organiser, donc à Grenoble, d’une part des retrouvailles d’anciens (ou encore actifs), et d’autre part de participer à des échanges en soirée avec le MCC local afin d’éviter de créer une autre équipe.

- Les retrouvailles autour d’un repas ont connu un succès inattendu et ont amorcé ce qui deviendra plus tard l’AMAPOF puis aujourd’hui l’AMAEPF.

- Les tours de table avec le MCC ne durent qu’un temps. Rapidement on s’aperçoit qu’il vaut mieux être en équipe pingouins. On est quelques anciens dont, venant de glacio Michel Paillet. (Une petite équipe démarre ainsi à Grenoble alimentée surtout par les adresses de Jean, et avec des jeunes de la MdF. Déjà en 1970 il avait commencé à initier d’autres équipes dont celle de Paris, …, et il continuera à en créer à travers la France).

Quand il n’est pas en Terres australes Jean, à partir de cette époque, fait « le tour de France » pour visiter ces (ses !) équipes (qui bien sûr se réunissent autour de lui à cette occasion).

 

Son objectif était donc très précis et pour confirmer cela je lui prête ma voix en lisant et commentant des extraits de son éditorial du N°1 de LACT de décembre 1974, soit 4 ans après sa première visite chez nous :

À notre sens, l’intérêt le plus profond pour ceux qui font un séjour aux TAAF, au-delà de la réalité technique et scientifique, réside dans l’expérience humaine qui se vit là-bas. Typique, car coupée du monde, décapante comme toute vie en collectivité, elle est un lieu de murissement pour les jeunes, et de recyclage pour les aînés.

 

Dans tous les cas ces séjours plus ou moins prolongés marquent profondément les participants. Jusqu’au bout demeurera l’aventure psychologique ?

Et il faut peu de chose pour amener cette expérience humaine à sa plénitude, en faire une expérience religieuse. L’une étant dans le prolongement de l’autre. Mais le passage du « seuil » de l’une à l’autre n’a pourtant rien d’automatique. Le plus souvent il faut des témoins qui aident à assurer le cheminement.

Être témoin du Christ dans des équipages coupés du monde était vraiment sa mission. La MdF la lui avait confiée au départ, mais il a ensuite décidé de la faire sienne (sur les bases je suis mon propre évêque).

 

C’est le rôle très spécial des « chrétiens » prêtres et laïcs. Celui des laïcs grandissant à mesure que les prêtres se raréfient.

Et aussi bizarre que cela puisse paraître, il est bon que les chrétiens en partance soient avertis sur les responsabilités qui leur incombent et, autant que faire se peut, s’y préparent. C’est gagner un temps énorme, voire même éviter un vide inquiétant. L’histoire de ces 15 dernières années le prouve.

Ces 15 années en question sont les siennes sur les bases dans ses « campagnes d’été ».

 

Ceci explique toute notre recherche empirique de ces derniers temps :

- D’où la création des « amicales régionales » ouvertes à tous. Elles ont, par leur réussite, le mérite d’être pratiquement officialisées. Elles permettent d’obtenir de l’Administration la liste des partants, …

De fait, c’est Bernard Duboys, pingouin qui travaille au TAAF, qui nous fournit ces listes !

- D’où ces groupes de chrétiens qui sont là pour essayer de donner un « esprit ». Non celui des « anciens du 15e cuir » bloqué sur le passé, mais tourné vers l’avenir dans l’écoute des réalités à naître. …

- D’où cette 3e étape : ce « bulletin de liaison, d’information et de recherche » qui fera le lien entre ces différents chrétiens taafiens … uniquement taafiens : « LACT » qui doit garder son originalité et n’être publié que selon les besoins, donc non périodique.

Ainsi, avec le numéro 1 de LACT, vous recevrez la liste exacte, qui sera sans cesse remise à jour, des destinataires, avec leurs initiales : prénom du mari, nom de famille, prénom épouse.

 

Par mesure de discrétion, les articles seront signés uniquement des initiales, mais grâce à la liste précédente, chacun pourra se repérer.

C’est quand même étonnant qu’à cette époque, il soit encore aussi méfiant, soit des TAAF, soit de la structure Église tout en étant dans les deux parfaitement obéissant et engagé !

Il serait souhaitable que la partie liaison soit faite uniquement par les épouses.

(Pour les mouiller probablement ? Même Francette avait oublié ce souhait).

Francette Bon-Mardion centralisera les nouvelles.

Là, Jean ne met pas « FBM » ou « GBF » et oublie sa prudence. Pourquoi ?

Nullement meilleurs que d’autres, mais héritiers, bon gré, mal gré, d’une expérience originale qui nous engage, nous avons à assurer la continuité de l’Église là-bas.

 

Je répète : « nous avons à assurer la continuité de l’Église là-bas ».

C’est le rôle que s’était donné Jean et c’est celui qu’il a confié à ce que nous appelons aujourd’hui l’APMA.

C’est là une manière d’aimer : solidarité et service.

Le plus grand service étant d’essayer de donner à tous et chacun un sens à sa vie.

Signature TILIV.

P.S. La boîte aux lettres de tous les documents : GBF. Ils vous préciseront le coût de l’opération. Vous aurez l’obligeance de vous mettre en règle avec eux.

Voilà. Avant de passer la parole à Francette je vous rappelle que mon témoignage perso de 2011 est disponible ici. De même qu’un document signé en clair Jean Volot et Dominique Renouard que j’ai appelé « La règle des groupes APMA et leur histoire ». Je pense que tout pingouin doit connaître cet important document.


FRANCETTE : Inutile de vous dire quel plaisir nous avons de parler de Jean Volot. Mais je ne voudrais pas paraître comme une usurpatrice, car de nombreux présents parmi nous pourraient dire des tas de choses sur lui, probablement plus intéressantes que ce que vais vous dire. Jean a été une personne déterminante dans notre vie, comme dans la vôtre j’en suis certaine.

 

Souvent, sous forme de boutade, je dis que, quand j’ai épousé Gilbert j’ai aussi épousé Jean Volot, mais à l’époque je ne le savais pas du tout ! Derrière cette boutade il y a, de fait, une réalité. C’est-à-dire que Jean fait partie de notre vie, de la vie de notre famille pour nous comme pour nos enfants.

Il est vrai que j’ai mis du temps avant de le rencontrer : il n’était pas prévu au programme puisqu’il refusait les baptêmes, communions, mariages. Gilbert avait un vrai regret de ne pas pouvoir me le faire rencontrer, mais il me parlait beaucoup de Jean et j’avais l’impression de le connaître. Quand il a annoncé sa venue, vous avez compris que c’était une période extrêmement difficile de notre vie. Le 7 mai 1971 nous avons fêté avec lui à la fois les 3 ans de Vincent, (qui avait été hospitalisé le jour de son anniversaire le 17 mars), et les 2 ans de Stéphane, jour de son anniversaire.

 

C’était sa première visite, et moi qui étais impatiente de le rencontrer, je me suis trouvée face à… Louis de Funès ! Cela m’a impressionnée, c’est vrai, sur le moment ça m’a quand même un peu déstabilisée ! Et puis Jean étant ce qu’il est, d’une simplicité extrême, tout de suite ça a accroché, et il s’est mis à me parler. Il y avait des choses qu’il me racontait que je ne comprenais pas tout à fait, mais à l’évidence c’était un homme « habité ». C’est ce que j’ai découvert : un homme habité par la présence du Christ. Il était là et nous parlait du Christ en toute liberté, en toute vérité.

 

J’aime beaucoup le petit tableau que l’on voit dans le couloir A de Béthanie, tableau de frère Yves évidemment, mon préféré, où l’on voit les 3 croix, les compagnons d’Emmaüs et le Christ qui leur montre ces 3 croix. Eh bien pour moi Jean est celui qui me montre effectivement le Christ. Je crois que c’est la plus belle image que l’on puisse donner de Jean. Il ne parlait jamais de lui, mais il avait beaucoup de choses à nous dire.

Plein de cette présence du Christ il m’a, au départ, surprise et même sidérée, parce que je ne savais ni quoi lui répondre, ni quoi faire avec ce petit bonhomme qui parlait abondamment, puis d’un coup s’arrêtait pour écouter. C’était alors encore pire parce qu’il fallait à mon tour parler, et cela n’avait rien d’évident, mais cela m’a beaucoup touchée. Et puis j’ai vu dans le fait qu’il ait débarqué à ce moment si difficile de notre vie (sans le savoir), comme un signe. Il y en a eu d’autres, j’en parlerai plus tard.

 

Au fil des rencontres, j’ai apprécié sa vision dynamique de la Foi. On n’était pas dans la religiosité, des gestes à faire, des vérités à croire. On était vraiment dans le « sens », ce qu’a rappelé son éditorial : « Donner sens à sa vie ». Cela a fait tilt en moi, d’autant qu’il fallait aussi essayer de trouver un sens à ce drame écrasant que nous vivions.

Jean est venu régulièrement à la maison. Chaque fois nous célébrions ensemble en famille. La première fois (en mai 1971) où il m’a demandé de célébrer sur notre table de salle à manger, pour moi c’était un événement : que dois-je faire ? Comment m’y prendre ? De quoi a-t-il besoin ? Tu me donnes n’importe quels verre et assiette. Pour moi, il fallait à l’évidence donner ce que j’avais de plus beau : la plus jolie nappe, le verre en cristal, une assiette du service cadeau de mariage ! Il était un peu gêné et aurait certainement préféré des choses plus simples. Ce fut une découverte de célébrer entre nous, sur un coin de table, avec nos enfants qui couraient autour. (Dans cette simplicité je retrouvais celle qui devait être celle de la première Cène ?).

 

Mais voilà, un jour Yann nous dit : « Avec Jean Volot c’est la messe,  toujours la messe ! » On a compris qu’il y avait là un problème à regarder de près. Effectivement Yann se sentait complètement mis à l’écart. Jean me dit : « On va voir si on peut lui faire faire sa première communion ? Il a 7 ans c’est le bon âge. » (Jean l’a interrogé sur ce qu’il savait de Jésus et l’a préparé à sa façon ! « Bon, il en sait assez ! »). Au cours de la célébration, Jean lui a demandé : « Mais pourquoi veux-tu communier avec nous ? » Je me souviens comme si c’était hier de la réponse de Yann qui, les mains dans les poches et en se dandinant : « Ben, moi j’en ai marre, j’en ai marre !... » Fort de cette motivation exprimée, Yann a communié pour la première fois au cours d’un WE pingouin, en Chartreuse.

Cela fait partie des grands moments vécus avec Jean. Je crois que nous l’avons toujours suivi. À la Pierre qui Vire nous n’avons été que rarement absents et toujours pour des impératifs sérieux parce que ce sont de grands moments de rencontres avec des amis venus de loin. Cela reste vrai. Quand on voyage en France on est sûr de trouver un couple pingouins pour nous recevoir. C’est quand même formidable et puis on sait en profiter !

On l’a toujours suivi ? Non. Il y a un moment où nous avons été mal à l’aise, c’est au moment de sa « charte », cette prière qui n’était pas une prière ! Nous n’avons pas compris ce qu’il voulait faire et on est resté en rade. Jean ne nous en a pas trop voulu, mais quand même on a bien senti que cela le chagrinait, qu’on ne soit pas sur ce projet-là.

Je voudrais aussi parler du moment de son interview pour Repères. Nous sommes venus le voir avec Léon à la Pierre qui Vire. Eh bien quelle aventure ! Il a fallu le faire parler sur sa vie et Jean ne se livrait pas facilement. C’était toujours de façon synthétique, comme ses petits mots que nous recevions tous. Il fallait donc creuser en le questionnant. Nous y sommes arrivés ; il s’est prêté plutôt bien au jeu. J’ai donc retranscrit fidèlement tout ce qu’il nous avait dit, et bien sûr on lui a fait lire, comme de normal. Quand il me rend le papier il avait barré tout ce qu’il y avait de personnel ! Je retourne le voir :

- Jean ce n’est pas possible ! Tout ce qu’il y avait de vraiment intéressant tu l’as supprimé.

- Mais oui, ça n’intéressera personne.

- Tu te trompes, c’est au contraire tout ce qui nous intéresse, ce qui fait partie de ton expérience, ce qui a fait ta vie, …etc. !

- Non, non, non ! Ça n’intéressera personne.

Avec Patou nous étions très ennuyés. Que faire ? C’était complètement vidé de sa substance et cette interview n’avait plus d’intérêt. Alors, probablement sous l’inspiration du Saint-Esprit, je lui ai dit :

- Écoute Jean ce que je te propose : on fait lire cette interview à ton frère, là où il n’est pas d’accord on supprime, mais s’il est d’accord on laisse.

- Oui, c’est d’accord, il n’y a qu’à faire comme cela.

Ouf ! Je savais qu’avec Bernard on allait s’entendre et l’interview a été éditée intégralement, mais ce n’est pas faute de nous avoir fait faire des cheveux blancs !

 

Jean avait vraiment des réticences pour parler de lui. Voilà, c’était sa volonté, très forte.

J’ai maintenant envie de vous parler de ma dernière expérience avec Jean. Vous savez que fin janvier Gilbert nous a fait très peur, il est tombé dans Aix suite à une crise cardiaque et pendant 10 jours il a été dans le coma, avec pronostic très incertain. Vers qui me suis-je tournée ? Eh bien vers celui qui depuis 20 ans nous disait : « Le partenariat avec les anciens, ça marche. Je l’ai expérimenté !». Eh bien voilà, j’ai dit à Jean : « C’est le moment de nous montrer si ça marche ».

Eh bien je pense que ça marche parce que moi aussi je l’ai expérimenté ce partenariat avec les anciens.

Il ne me reste qu’une chose à dire : PRIONS