L’HOMME DÉPASSÉ ?

 

Nicolas Renard

Pierre qui Vire, 6 juillet 2013.

 

Depuis un siècle ou un peu plus, nous assistons à une mise en cause assez radicale de l’homme : différents penseurs ou courants philosophiques ont en effet mis en évidence des contraintes diverses qui agissent sur l’homme et rendent partiellement illusoire l’idée de sa liberté : contraintes sociales, déterminants psychologiques, déterminants biologiques. Notre siècle en arrive ainsi à l’idée que la liberté ne serait en fait qu’une illusion, une idée dépassée dont nous avons à nous libérer. Finie l’idée d’un homme libre et autonome capable de prendre en main son destin et celui de l’univers. Nous ne serions plus que la résultante d’un certain nombre de déterminants matériels et psychiques.

Par quelles étapes ce cheminement s’est-il opéré ? Comment prendre en compte ces différentes analyses ? Que pouvons-nous dire aujourd’hui sur l’homme ? Peut-on encore parler de liberté ?

Un voyage dans le temps et dans l’espace va nous éclairer sur ces questions.

 

Stanpoort en 1680 : René Descartes.

C’est en Hollande, pays où il réside depuis un peu plus de 10 ans, devant le poêle de sa maison, la pièce la mieux chauffée où l’on se tient le plus longuement, que Descartes, philosophe français, écrit son maître ouvrage les Méditations métaphysiques. Il y développe une vision de l’homme assez nouvelle qui marquera fortement son siècle et les siècles suivants.

De Descartes, nous nous rappelons tous de la formule « je pense, donc je suis » du Discours de la méthode. Que signifie cette formule ?

Il nous faut ici comprendre le contexte dans lequel le philosophe réfléchit. Les sciences se développent alors rapidement dans différents domaines, notamment en physique. Or qui dit découverte scientifique dit changement de la représentation que nous avions de l’objet qui est en question. La découverte que la Terre tourne autour du Soleil change profondément notre représentation du Monde où la découverte des gênes transforme l’idée que nous nous faisions de la vie.

 

Dans un contexte de découvertes nombreuses, on imagine alors la perplexité qui peut en découler : que savons-nous finalement du monde puisque nos représentations évoluent sans cesse ? Peut-on encore parler de vérité si notre vision des choses évolue sans cesse ?

Telle est la problématique de Descartes. Il réfléchit sur la vérité pour savoir si nos connaissances peuvent s’appuyer ou non sur un fondement solide. Sa démarche se veut radicale et il entend aboutir à des vérités incontestées et admises de tous.

Mais si toutes nos connaissances peuvent être mises en cause et si le doute devient ainsi radical, il reste au moins une certitude : elle porte sur le moi qui doute. Je ne sais peut-être rien de solide sur les choses qui m’entourent, mais au moins je sais que le moi qui doute existe. Cela va être la première certitude sur laquelle va se fonder la recherche de Descartes. Le moi qui doute, le moi qui pense existe.

 

La suite de la réflexion de Descartes prendra appui sur cette première certitude : le moi existe et il possède en lui-même l’idée de l’infini. Cette idée, il ne peut l’avoir par lui-même et il la reçoit donc d’une réalité infinie, Dieu. Or Dieu ne peut être trompeur. Ainsi est démontrée l’existence d’un Dieu qui garantit la véracité du monde si nous faisons bon usage de notre raison, c’est-à-dire si nous procédons méthodiquement à partir d’idées claires et distinctes.

 

Ce n’est pas tant ce parcours métaphysique élaboré par Descartes qui lui permet de fonder les certitudes de nos connaissances que ce qu’il écrit sur le cogito qui nous intéresse ici. On assiste en effet à un tournant de la pensée occidentale qui valorise le sujet individuel. L’homme n’est plus d’abord perçu comme partie de l’Univers, comme un élément à l’intérieur du cosmos mais comme une unité première, autonome et qui se détache du monde qui l’entoure. On a là, la préfiguration du mouvement d’individualisme qui caractérise notre époque. Le sujet est premier et tout doit concourir à son développement harmonieux.

Voilà donc notre point de départ : un homme assuré de lui-même qui fait l’objet d’une certitude immédiate et dont la raison va lui permettre de connaître le monde et de le transformer à bon escient.

Les étapes à venir de notre parcours ne laisseront pas le sujet cartésien à son assurance.

 

1831 : une croisière sur le Beagle : Charles Darwin.

Après avoir fait des études de théologie, le jeune Darwin se passionne pour l’étude de la nature. C’est ce qui l’amène à participer à une croisière organisée le long de l’Amérique du Sud pour en cartographier les côtes et étudier les espèces vivantes et fossiles. C’est de cette observation qu’est née et s’est confirmée l’idée d’une évolution progressive des espèces. Les espèces n’ont pas été créées « d’un coup », à l’origine, comme le relate le livre de la Genèse. Elles ont évolué progressivement dans le temps et l’homme lui-même s’inscrit dans cette évolution. Lui non plus n’a pas été créé « au départ », en une seule fois, il est issu de lignées animales qui l’ont précédé.

 

La diffusion de cette nouvelle théorie va faire scandale. Comment imaginer en effet que l’homme puisse être issu de lignées animales, qu’il ne soit finalement qu’un animal un peu plus évolué que les autres ? Et pourtant les observations scientifiques sont incontournables : l’homme ne peut avoir existé de tout temps tel que nous le connaissons.

Ainsi le sujet cartésien connaît-il sa première mise en cause. Le moi séparé du reste de la création, libre et autonome est en fait le produit d’une longue évolution matérielle. L’homme descend du singe : cette formule fera scandale à la fois parce qu’elle remet en cause le récit de la création, mais aussi parce qu’elle met en cause la suprématie de l’homme sur la nature.

Première blessure narcissique pour le sujet cartésien. Et ce ne sera pas la dernière !

 

1891, rue Bergasse à Vienne : Sigmund Freud.

Un appartement modeste de trois pièces dans un immeuble proche du centre de Vienne en Autriche : c’est là que S. Freud va mettre au point une nouvelle thérapie pour soigner l’hystérie. Le traitement par l’hypnose avait déjà permis de franchir une étape. Freud va plus loin en pratiquant l’association libre avec ses patients.

Au fil de l’échange avec ses patients Freud perçoit des zones d’obscurité systématiquement évitées par le malade, sortes de zones noires que le patient ne parvient pas à s’approprier. La découverte du psychanalyste sera de percevoir que ces silences sont en fait liés à des épisodes douloureux de la vie du patient et qu’il a relégués non pas seulement dans l’oubli, mais, plus profondément encore, dans un inconscient qui ne peut faire surface. Le traitement consistera alors à aider le malade à s’approprier cette partie de son passé. Il pourra s’ensuivre une disparition des symptômes. L’interprétation des rêves complétera cette approche en montrant comment le rêve peut être lui-même une forme de langage codé où le malade exprime son malaise.

 

Cette évocation de la psychanalyse est évidemment trop rapide, mais elle permet de percevoir ce qui se joue dans la découverte de l’inconscient. Avec Freud, nous découvrons en effet que l’homme n’est plus maître de toutes ses représentations et qu’il est porteur d’un inconscient qu’il ne peut maîtriser. Cela est vrai pour l’hystérique traité par l’analyste, mais plus généralement la psychanalyse montre la part d’inconscient nichée en tout homme, liée en particulier à la sexualité. Notre histoire personnelle est génératrice d’un inconscient auquel nous ne pouvons accéder.

L’homme n’est plus maître chez lui : le propos est rude pour les tenants de la toute-puissance d’une raison appuyée sur les idées claires et distinctes. Nous ne sommes pas aussi transparents à nous-mêmes que Descartes a bien voulu nous laisser entendre. Non seulement l’homme descend du singe, mais voilà maintenant que son propre psychisme lui échappe en partie.

 

Collège de France, 1968 : Claude Lévi Strauss. La contrainte des structures.

Dans un amphithéâtre du collège de France un homme d’âge respectable et à l’expression très soignée fait une étude comparative des mythes de différentes régions, Amérique du Sud et Océanie entre autres. Claude Levi Strauss met en œuvre une approche particulière qui tend à montrer que la pensée des peuples qu’il étudie résulte d’une composition organisée d’éléments premiers que l’on retrouve partout. La pensée comme d’ailleurs les lois de la parenté qu’il avait aussi étudiées préalablement sont des compositions structurées qui ne résultent pas de la volonté de ceux qui les affirment, mais qui forment système. On retrouvera par exemple les mêmes systèmes d’opposition – le cru et le cuit, le chaud et le froid – dans les différents groupes étudiés.

L’homme n’apparaît donc pas véritablement créateur des cultures dans lesquelles il vit : il est pris dans des organisations et des structures qui s’organisent sans lui.

Dans un autre domaine, celui de l’Histoire, Michel Foucault développe des analyses assez proches. Il étudie les représentations de différentes époques en montrant comment elles sont liées à la façon dont les sociétés sont organisées et aux institutions qui la composent. Il étudie par exemple l’histoire de la folie en montrant que notre perception de la folie à différentes époques est liée au traitement que les institutions font subir à ceux qu’elle considère comme fous. De même l’histoire de la sexualité est déterminée par la façon dont les institutions sociales, famille, école… traitent le sujet.

Il n’y a donc plus véritablement de sujet de l’Histoire, mais plutôt des processus à l’intérieur desquels nous nous inscrivons sans pouvoir y échapper.

Ainsi le sujet se trouve-t-il à nouveau face à une mise en cause radicale. La liberté dont il pense disposer serait en grande partie illusoire. Nous ne pensons et nous ne vivons que dans le cadre de systèmes de pensée et de valeur qui nous sont imposés. On a parlé de « mort de l’homme » à propos du structuralisme pour signifier la disparition d’un sujet qui serait l’auteur de sa vie et de sa pensée.

 

Jean Pierre Changeux : l’homme neuronal. 1983.

À ceux qui pensaient encore que l’esprit de l’homme se distinguait radicalement du corps, Jean Pierre Changeux apporte un démenti radical. Ce neurologue, spécialiste de l’étude du cerveau avance un matérialisme sans faille. L’homme et le cerveau ne sont qu’un agencement de cellules au sein d’une organisation très complexe. L’activité mentale se réduit à des processus physicochimiques que l’on maîtrise de mieux en mieux. L’esprit ne présente aucune spécificité par rapport aux autres activités de notre corps si ce n’est peut-être une plus grande complexité. Et cette complexité, le neurobiologiste commence à la percevoir de mieux en mieux en mettant à jour les circuits qui sont à l’œuvre à l’intérieur du cerveau à l’occasion de nos mouvements ou de notre activité mentale.

Un homme issu des lignées animales, un inconscient qu’on ne maîtrise pas, disparition du sujet et maintenant négation du caractère spécifique et non matériel de l’esprit : nous voilà bien loin du sujet de Descartes, centre du Monde et assuré de lui-même, de sa capacité à connaître et à agir.

Mais le voyage n’est pas fini et l’histoire du vingtième siècle va connaître des épisodes qui iront encore plus loin dans la mise en cause de l’homme.

 

Auschwitz : 1942.

Beaucoup a déjà été écrit sur cet événement qui reste encore aujourd’hui au cœur de la mémoire de l’humanité. Que peut-on retenir de ce qui s’est alors passé ?

- C’est d’abord une barbarie pire que la seule violence animale. Il s’agissait en effet, dans les camps, d’humilier l’homme au point de réduire son humanité en tant que telle. La souffrance physique était portée à l’extrême, mais plus encore, il y avait volonté affirmée de détruire ce qui en l’homme constituait son humanité. Barbarie réfléchie au-delà de la seule violence physique. Et les auteurs de cette barbarie ne semblent pas être des monstres exceptionnels, mais parfois des hommes ordinaires dans l’exécution de ce qu’ils perçoivent être leur devoir.

- Et puis ce séisme humanitaire ne s’est pas produit dans quelque contrée lointaine encore enfoncée dans l’obscurantisme, dans quelque peuplade primitive non civilisée. Il s’est produit au cœur même de l’Europe, ce foyer de civilisation qui a pensé apporter la civilisation au reste du monde. Et il s’est produit en Allemagne même, la patrie des Lumières de la raison, des philosophes et des musiciens. Est-ce à dire que la civilisation est fragile ?

- Enfin Auschwitz met en lumière la fragilité de l’état. Le système totalitaire qui s’est alors mis en place est un système d’auto surveillance où les polices parallèles se surveillent les unes les autres. Ce système, lorsqu’il est au point empêche toute parole libre et interdit toute opposition. Le dictateur a ainsi les mains libres pour faire ce que bon lui semble.

Fragilité de chaque homme individuellement capable de se transformer en monstre, fragilité des sociétés capables de transformer en vecteur de la plus sinistre barbarie : les leçons d’Auschwitz sont terribles et nous contraignent à une très grande modestie. L’homme policé, l’homme rationnel, l’homme civilisé sont des constructions fragiles qui peuvent s’écrouler contrairement aux évidences que nous nous sommes construites. Violence et perversité sont en nous et peuvent ressurgir.

 

1946 : Hiroshima.

On sait désormais l’homme et la société capables de la pire violence. On va découvrir avec Hiroshima que nous avons en outre la capacité de nous détruire totalement. La bombe atomique offre une puissance de destruction jamais égalée. Et cette force de destruction n’a cessé de croître depuis la fin de la dernière guerre mondiale.

La bombe atomique offre le risque d’une destruction massive et brutale. Mais nous savons aussi maintenant que la terre peut être menacée par des processus plus insidieux et plus longs, mais non moins redoutables : il s’agit des différentes formes de pollutions qui pourraient menacer à terme l’atmosphère et la vie sur la terre.

Ainsi pourrait s’achever le parcours d’un tragique contemporain. À l’interrogation fondamentale portée par les sciences humaines, s’ajoute désormais les fragilités révélées par la dernière guerre mondiale.

Avec Descartes, l’homme s’était d’une certaine façon séparé du Monde. En se focalisant sur le « je pense, je suis », Descartes avait isolé et mis en valeur le sujet. L’homme se percevait auparavant comme la partie d’un tout, d’abord comme membre du cosmos. Après Descartes l’homme accède immédiatement à lui-même et il devient l’essentiel. Aujourd’hui c’est l’homme lui-même qui se perd et qui n’est plus assuré de son identité. Constat douloureux qui peut semer le trouble et laisser sans repères.

 

Peut-on encore parler de l’homme ?

Le parcours que nous avons effectué montre les contraintes qui pèsent sur l’homme. Est-ce à dire qu’il est tout à fait illusoire de parler de liberté ?

Que l’homme soit inséré dans le règne animal et qu’une partie de ses comportements puisse s’expliquer par la biologie ou la génétique ne modifie pas son caractère spécifique à l’intérieur du règne animal. Notre action résulte de processus physico-chimiques, mais il n’en reste pas moins que nous pouvons atteindre à un degré très particulier d’autonomie à l’intérieur du monde vivant. On ne peut certes agir qu’à l’intérieur des limites du corps. Il n’en reste pas moins que ce dernier nous permet des possibilités et une capacité d’innovation qu’aucun autre être ne partage. Cela ne présente probablement pas d’intérêt d’opposer l’esprit et le corps. Il ne s’agit pas de deux réalités distinctes et opposées. C’est dans le corps que se dit notre liberté, mais ce n’est pas parce que nous avons un corps que nous ne sommes pas doués de la capacité de création.

 

L’inconscient ? Certes il marque certains de nos comportements à notre insu et il reste en nous-mêmes une partie de nous-mêmes que nous ne contrôlons pas. Est-ce à dire que cela nous empêche de vivre ? Non. Est-ce à dire que certains sont prisonniers de pathologies liées à l’inconscient ? Non. Il y a des chemins de soin possibles qui peuvent rétablir une vie plus harmonieuse.

 

Les structures linguistiques mentales et culturelles nous conditionnent. Certes. Est-ce à dire que nous en sommes prisonniers et incapables de sortir de ce que les siècles passés nous ont légués ? Cela n’est pas le cas. Certes nous ne pouvons échapper à la façon de penser de notre époque et aux représentations de notre société. Mais en même temps nous pouvons produire de l’inédit dans le langage ou dans l’art par exemple. La métaphore permet de dire les choses autrement que de la façon dont elles ont été dites jusque-là. Et, pour prendre deux autres exemples, le cinéma ou la peinture sont en mesure de nous offrir une nouvelle approche du monde qui renouvelle notre regard.

Certes la création ne peut se faire ex nihilo. On ne crée pas à partir de rien et il faut déjà s’approprier ce qui a été fait avant nous avant de pouvoir aller plus loin et produire du nouveau. Mais nouveau il y a.

Quant à la politique, il ne semble pas plus que nous devions nous résigner à la fatalité. Le totalitarisme ou le capitalisme ne sont pas des fatalités. Certes il faut se garder d’une innocence trop naïve et les processus sociaux ne se transforment pas d’un coup de baguette magique. Mais l’utopie nous permet de sortir d’institutions ou de représentations qui semblent aller de soi. Notre époque offre trop d’exemples de conflits extrêmement violents voire même de génocides. Mais la démocratie existe aussi et dans le cadre d’une mondialisation galopante des régulations juridiques, éthiques ou économiques peuvent aussi naître peu à peu.

 

Nous ne pouvons ignorer les contraintes dans lesquelles nous évoluons et notre siècle nous a amenés sur ce point à une grande lucidité. Cela ne signifie pas toutefois que notre comportement s’explique exclusivement par ces contraintes. L’homme comporte une part d’indétermination. C’est cela qui fait sa liberté. Edgar Morin parle d’une « poly dépendance qui est cadre de notre autonomie. »

Homme « aux semelles de plomb » (Jean Sulivan) ou « homme aux semelles de vent » (Le Bris) ? Les deux à la fois. Un homme dans la finitude que la science aide à comprendre, la science, mais pas le positivisme qui érige en absolu des vérités qui sont toujours transitoires.

 

Comment être homme ?

Avec l’autre qui m’ouvre à l’insoupçonné.

La rencontre avec un autre différent de moi me fait découvrir un autre univers linguistique, psychologique ou culturel. Cela me permet de percevoir ma propre particularité. Je découvre ainsi que l’on peut vivre autrement que moi, que l’on peut s’habiller, se nourrir, se divertir autrement que je ne le fais.

Il en va ainsi de la langue. La diversité des langues est un obstacle à la communication, mais c’est aussi une formidable richesse. On le perçoit par exemple dans l’acte de traduction. Traduire un texte, c’est en effet découvrir que la transcription exacte du sens est impossible et que chaque langue a son univers particulier. J’essaie de traduire ce qu’a écrit l’autre et je le fais de façon toujours imparfaite. Toute traduction comporte une part de trahison.

 

Cela me permet de mesurer que chaque langue a son approche particulière du Monde. La diversité des langues devient ainsi une richesse. Et cette diversité est un appel à la création. Je mesure ainsi qu’il n’existe pas une langue parfaite et que nous devons toujours œuvrer pour traduire du mieux que nous le pouvons le monde dans lequel nous sommes.

L’autre différent de moi est donc ce qui me permet de sortir de moi-même et d’élargir mon horizon. Sans lui, je serai condamné à l’enfermement, à la répétition. La différence peut créer l’incompréhension et engendrer le conflit. Mais elle est aussi et surtout une condition d’humanisation absolument nécessaire.

 

Par l’autre qui m’oblige.

Autrui m’aide à sortir de moi-même et me permet de créer ma propre histoire. Mais plus encore, c’est sa rencontre qui me permet de mesurer ma propre transcendance et mon irréductible liberté.

Il faut relire ici ce qu’Emmanuel Levinas a écrit sur le regard de l’autre. Il ne s’agit pas en effet d’un objet neutre comme les autres objets que je rencontre autour de moi. Le regard d’autrui présente un caractère tout à fait particulier. J’y perçois une autre liberté identique à celle que je perçois en moi. Je sais qu’autrui est aussi une liberté, qu’il ne se réduit pas à ses actes. Comme moi-même, autrui est capable de créer un autre futur. Je peux essayer de décrire autrui, de le définir par des traits de caractère, par ses actes ou ses fonctions passées. Mais je sais qu’il ne se réduira jamais à tout ce que je perçois de lui. Autrui m’aide ainsi à saisir ce qu’est ma propre liberté.

 

Emmanuel Kant parle de la dignité irréductible de l’homme. Cette dernière provient de cette capacité de liberté toujours disponible face à l’avenir. C’est en cela que l’homme est différent de toute autre créature.

Autrui n’est donc pas seulement un objet parmi les autres objets du monde. Il est homme comme moi et il me permet de prendre la mesure de mon humanité en tant que telle. Nous partageons entre nous un même respect qui est la marque de notre liberté et de notre transcendance, c’est-à-dire de notre capacité à être autre que ce que nous avons fait jusqu’ici.

 

L’autre peut me déstabiliser dans sa différence. Mais cette différence est aussi ce qui me permet d’accéder à mon humanité. L’homme ne peut vivre seul. On sait qu’il a besoin de la société pour parvenir à l’autonomie, à la différence des animaux. Mais, plus profondément que cela, il a besoin d’autrui pour atteindre à ce qui est le plus profond en lui, sa capacité de liberté.

 

Une dernière étape en Galilée.

Ce pourrait être la dernière étape de notre parcours : quelque part en Galilée au début de notre ère. Quatre témoignages évoquent la vie d’un homme, Jésus, qui se présente comme le fils de Dieu et renouvelle ainsi radicalement notre représentation de Dieu.

Jésus est un homme libre dans sa société et son comportement semble essentiellement marqué par la rencontre de l’autre et en particulier de celui qui souffre de handicap ou qui est rejeté par la société. Jésus se libère d’une pratique religieuse trop rituelle et il brise les frontières imposées par les tabous sociaux. Il se présente comme libre par rapport aux conventions.

C’est ainsi que Jésus secourt le paralysé ou l’aveugle, mais qu’il rencontre aussi le publicain, le collecteur d’impôts ou la femme adultère. Et par ailleurs Jésus est en débat avec les pharisiens ou les prêtres.

 

C’est dans cette relation aux autres que Jésus affirme sa condition de Fils de Dieu et sa participation à la réalité trinitaire. Nous ne sommes plus face au Dieu tout puissant et créateur du monde, mais face à un Dieu qui a totalement épousé la condition humaine au point de ne pas éviter une mort infâmante.  « Dieu ne descend pas une station plus loin que l’homme. L’homme est pour Dieu la dernière et la seule station. En Jésus Christ, Dieu ne va pas plus loin que l’homme, cependant que l’homme, en lui, va jusqu’au bout de Dieu » écrit François Cassingena-Trévedy dans Étincelles II p.66.

 

Jésus nous offre une perception radicalement nouvelle d’un Dieu d’amour. Hegel réfléchit longuement sur le sens de cette phrase dont nous n’avons pas encore mesuré les incidences : « Dieu est mort en Jésus Christ ». Il s’agit là de prendre la véritable mesure de ce qu’est l’Incarnation et d’en tirer toutes les conséquences sur l’image que nous avons de Dieu. Si Dieu nous reste inconnaissable, c’est finalement en fonction du caractère insondable et infini de l’amour. Nous sommes loin du grand horloger ou du Dieu qui fonde la véracité de mes idées. Écoutons encore François Cassingena-Trévedy : « Jésus Christ est l’homme qui fait le pas de Dieu à Dieu pour que nous lui emboîtions le pas. Jésus Christ est l’homme qui inaugure et révèle l’enjambée véritable de l’homme. Et pour faire un tel pas, il n’est pas un géant, il reste un homme. » (Étincelles II p.382)

 

Jésus manifeste ce qu’est la vraie transcendance de Dieu et il nous permet de mesurer ainsi la transcendance inscrite au cœur de chacun de nous. Dieu a besoin des hommes pour être de même que nous avons besoin des autres pour vivre pleinement.

Ce lien aux hommes se traduit jusque dans la façon dont Dieu nous livre sa révélation. Nous disposons de quatre évangiles qui sont des récits de ce qui s’est passé. Notre foi n’est pas fondée sur un traité doctrinal, mais sur quatre récits de vie écrits par des personnes différentes avec des sensibilités différentes. C’est que d’une certaine façon Dieu se soumet aux hommes y compris dans la transmission de son message. Nous n’avons pas un récit sacré et surplombant. Nous avons des récits écrits par des hommes et qui nous invitent à prolonger le témoignage aujourd’hui et à dire à notre tour comment nous avons pu rencontrer Jésus Christ.

 

Ce que les évangiles nous disent de Dieu et de l’homme est-il incompatible avec les discours sur l’homme que nous avons évoqués préalablement ? Sûrement pas. On peut au contraire penser que les Évangiles nous révèlent ce qui est la plus grande richesse de l’homme, une capacité transcendante de construire avec les autres une humanité nouvelle.

 

Ce message ne contredit en aucun cas tout ce qui a pu être écrit par les sciences humaines ou ce que nous ont révélé les événements tragiques du vingtième siècle. Notre parcours nous a invités à une lucidité sur ce qu’est l’homme pour éviter des discours illusoires. L’Évangile ne nous invite pas à nous masquer le réel ou à l’enrober dans les vapeurs de l’illusoire. L’Évangile nous invite à prendre la condition humaine au sérieux avec tout ce que nous pouvons apprendre sur elle. Mais il nous ouvre en même temps une perspective radicalement nouvelle, une possibilité de mettre pleinement en œuvre la liberté qui nous définit.

Nicolas Renard


QUESTIONS – RÉPONSES


Peut-on encore parler de liberté quand on considère tous les conditionnements que nous subissons ?

Pour répondre à cette question, je voudrai évoquer un point que je n’ai pas abordé au cours de mon exposé et qui me semble important : la question du marxisme.

Les textes de Marx ou de ses commentateurs m’ont ouvert les yeux au moins sur deux points : l’analyse de la plus-value et celle de l’idéologie. Certes les conditions économiques ont considérablement évolué, mais subsiste une opposition fondamentale entre les détenteurs de capitaux et ceux qui n’ont que leur bras ou leur tête à proposer. Les premiers cherchent à accroître leur capital aux dépens des autres. Les détenteurs de capitaux ne sont plus les mêmes et les travailleurs salariés vivent dans d’autres conditions, mais que les uns cherchent à accroître leurs profits aux dépens des seconds me semble hélas toujours actuel.

De même le phénomène de l’idéologie qui nous amène à faire passer pour naturel ce qui relève en fait d’un processus historique. La pauvreté n’est pas inéluctable, ni l’exploitation. Les inégalités ont des causes naturelles, mais pas uniquement. C’est la société qui produit une bonne part des différences entre les hommes. En ne soulignant que les origines naturelles des inégalités l’idéologie permet d’avoir à éviter de lutter pour les réduire.

Cette analyse marxiste reste pour moi actuelle. Est-ce à dire que nous sommes totalement conditionnés par la société comme nous le serions par notre corps ou par notre inconscient et que le sentiment de notre liberté serait purement illusoire ?

 

Je ne le crois pas. Prenons le domaine social par exemple. Certes nous ne sommes pas libres des liens sociaux et des conditions qu’ils nous imposent. Mais nous avons une première liberté : c’est d’en prendre conscience. Et puis il existe des possibilités d’innover dans ce domaine. C’est le rôle de l’utopie. L’utopie, c’est ce qui n’existe pas encore, mais que nous pouvons imaginer. Paul Ricœur établit un parallèle entre l’idéologie, ce socle commun de valeurs et de représentations qui cimente une société, et l’utopie qui exerce une fonction critique en nous montrant que nous pouvons penser autrement. C’est ainsi que naissent des expérimentations sociales ou que des mouvements sociaux peuvent permettre des avancées de l’histoire, fussent-elles balbutiantes.

Liberté il y a et aussi bien les histoires individuelles que l’histoire collective le manifestent. Les pesanteurs sont parfois écrasantes et ne mènent qu’au fatalisme ou à la désespérance. Mais nous sommes aussi dans une société passionnante qui offre de nouveaux modes de vie et de nouveaux moyens de communication.

Je crois profondément en l’homme et à sa liberté. À condition toutefois d’être lucide et de bien mesurer quelles en sont les limites. L’homme peut se démarquer de son passé ou de son environnement et il peut créer en mesurant cependant que notre liberté réelle est parfois plus réduite que le sentiment que nous en avons.

N’assiste-t-on pas à un phénomène de mondialisation des religions ?

L’Évangile apporte quelque chose de spécifique par rapport aux autres religions. Il inscrit l’homme dans sa relation au divin, mais il dit quelque chose de nouveau sur Dieu. Il nous révèle un Dieu trinitaire, Père, Fils et Esprit. La vérité de Dieu se situe entre les trois. Dieu devient relatif à l’homme Jésus et inversement. C’est le jeu de l’Esprit. L’évangile apporte des éléments critiques par rapport aux autres religions, comme il le fait par rapport au judaïsme.

Peut-on parler d’une mondialisation des religions ? Nous assistons à des mouvements en sens différents : le renfermement de certaines religions, l’extension rapide d’autres. Nous voyons aussi des développements syncrétistes où des personnes se construisent une religion en puisant à diverses sources. Des conflits sociaux-politiques se focalisent sur des oppositions de religion alors qu’ailleurs on assiste à une cohabitation très pacifique.

Il faut en même temps mesurer les risques d’une unification générale. Ne plus avoir qu’une unique culture universelle avec la même langue, des façons identiques de s’habiller, de se nourrir ou de se distraire ou les mêmes valeurs, ce serait un formidable appauvrissement et un grand risque pour l’avenir. Notre créativité se nourrit en grande partie de la différence entre les hommes. La pensée unique aboutirait à casser les ressorts de la création. La traduction entre des langues différentes est un frein à la communication. Mais c’est aussi un formidable stimulant qui nous permet de mesurer les capacités d’expression respectives des différentes langues. Traduire, c’est faire communiquer des univers différents. C’est source de richesse.

Quelle relation peut-on établir entre l’amour de l’homme et la mort de Dieu ?

Je crois qu’il nous faut revenir au sens de la mort de Jésus sur la croix. Il nous faut bien percevoir qu’en Jésus, c’est Dieu qui meurt. En Jésus, c’est Dieu qui a pris condition humaine et il l’a fait complètement jusqu’à la mort. Nous n’avons pas fini de prendre au sérieux cette affirmation que Dieu est mort sur la croix. La croix n’est pas qu’un épisode passager sur le chemin du développement de la gloire et de la toute-puissance de Dieu. Dans la croix, c’est d’une certaine façon notre ancienne image de Dieu qui meurt. La vulnérabilité et la mort font partie de Dieu. La mort ne sera vaincue qu’après avoir été vécue dans sa radicalité.

La mort de Dieu manifeste le profond engagement de Dieu dans la vie des hommes et l’importance pour lui de la relation d’amour avec le prochain.

C’est l’apport radicalement nouveau de l’Évangile. En affirmant cela, nous rendons la figure du Christ incontournable et cela ne facilite probablement pas le dialogue entre les religions. Mais nus sommes là au cœur du message de l’Évangile.

La science va-t-elle faire disparaître les religions ?

C’est la position des positivistes : la science va mettre fin à toutes les formes de superstition et donc de religions. On mesure bien aujourd’hui les limites de cette position. On le mesure au maintien et au dynamisme des religions aujourd’hui. Mais on mesure surtout que la science ne peut avoir réponse à toutes les questions que l’homme se pose. La science fournit des explications sans cesse nouvelles sur les processus naturels. Elle ne peut cependant expliquer le pourquoi de la vie, de l’univers ou de l’homme par exemple. Il est des questions fondamentales pour l’homme auxquelles la science n’apporte pas de réponse.

Le parcours que tu nous as proposé ne reste-t-il pas marqué par son caractère européen ?

Certes et ce sont mes limites.

Il faudrait effectivement élargir les horizons et voir par exemple comment les choses sont pensées en Chine. La présence de prêtres en Chine et la lecture de certains auteurs me fait mesurer la grande différence de l’univers chinois par rapport au nôtre. Mais je ne suis pas en mesure d’en dire grand-chose.

Qu’en est-il de la démonstration philosophique de Dieu ?

Je ne pense pas que les démonstrations philosophiques de l’existence de Dieu soient le moyen le plus sûr pour progresser dans la découverte du Dieu de Jésus Christ. Saint Anselme, saint Thomas ou Descartes peuvent éventuellement convaincre de la non absurdité de l’idée. Amènent-ils vers le Dieu de l’Évangile ? Je ne le crois pas.

Je suis toujours frappé par le fait que l’Évangile n’est pas un traité théorique, mais qu’il s’agit d’un récit, d’une histoire très concrète racontée à plusieurs voix. Cela me semble fondamental. Dieu se raconte, il ne se démontre pas. La foi se donne d’abord dans la rencontre et dans la vie. Non que le raisonnement soit inutile. Loin de là. Mais il vient conforter et montrer la pertinence de ce qui est d’abord une rencontre.

J’ai toujours eu du mal à considérer que Dieu se donnait dans la nature, dans un beau paysage par exemple. Non que j’y sois insensible. Mais je crois que Dieu se donne d’abord dans le jeu de relations que nous entretenons avec les hommes, proches ou lointains.

Qu’en est-il des rapports entre nature et culture ?

De façon un peu provocatrice, je dirai que la nature n’existe plus. Nous vivons dans un univers qui a été transformé par l’homme. Même le paysage que l’on peut penser naturel est en bonne partie une création historique. Il n’est pas jusqu’aux forêts les plus reculées aujourd’hui qui ne portent la trace de l’activité humaine dans les modifications climatiques qu’elles subissent.

La nature existe évidemment, mais elle ne se manifeste plus qu’au travers de transformations qui la modifient parfois en profondeur.

Et la loi naturelle ? Je pense qu’il faut être critique par rapport à cette notion. L’ethnologie nous ouvre beaucoup d’horizons dans ce domaine. On le voit par exemple à propos de la famille. Vivant en Europe, nous pourrions penser que la famille nucléaire (père, mère et enfants) est la forme naturelle de la famille et qu’elle présente un caractère universel. Les études ethnologiques nous montrent que les choses sont plus complexes. On s’aperçoit par exemple que certaines sociétés ont des modalités différentes de prise en charge des enfants, de façon beaucoup plus collective que la nôtre, et que ce modèle peut fonctionner. Très souvent la nature est convoquée pour justifier des points de vue particuliers que l’on souhaite étendre à tous et partout. C’est parfois le moyen d’imposer une vision morale particulière en la présentant comme universelle.

Sur la modernité de l’Évangile par rapport au tournant philosophique cartésien : il est vrai que l’Évangile fait appel à la responsabilité individuelle et en ce sens, il est très « moderne ». C’est une position qui est d’ailleurs relayée par saint Paul ou, plus tard, par saint Augustin et d’autres. L’Évangile a contribué à modifier notre perception de la place de l’individu dans la société.

Pourquoi n’as-tu pas fait de la philo professionnellement ?

La philo est passionnante parce qu’elle aide à réfléchir sur l’homme et sur les mots que nous employons pour dire ce que nous sommes et ce qu’est le monde. Mais en même temps elle présente le risque de s’enfermer dans le concept. J’ai besoin d’une prise plus directe avec la vie, d’être engagé au quotidien dans l’action. Je trouve que la philo doit toujours rester à proximité de la vie pour la penser. Je me méfie toujours de certaines joutes de philosophes qui m’apparaissent assez gratuites et qui risquent de s’apparenter à de pures querelles conceptuelles. La philo ne peut pas se séparer de la vie. Certes elle réfléchit sur les mots que nous employons, sur les grilles conceptuelles que nous collons sur le monde pour nous y orienter. Mais elle doit toujours se méfier de ne pas s’installer dans un univers conceptuel fermé sur lui-même.

J’ai encore plus souffert avec la théologie. Je trouve qu’une vie de théologien professionnelle aurait été difficile pour moi. Certes il faut réfléchir aux mots de la foi, mais en même temps je ressens la nécessité d’engager cette foi dans des actes dans le quotidien.

J’ai eu la chance d’avoir l’occasion de changements professionnels quand on m’a suggéré d’aller en début de carrière vers les lycées professionnels ou qu’on m’a sollicité ensuite pour devenir coordonnateur de ZEP ou principal de collège.

J’ai toujours ressenti le besoin d’articuler la réflexion avec un engagement professionnel ou social fort. Ce sont dans ces choix qu’on mesure la part de liberté qui a pu être la nôtre. Il est difficile de savoir si ce que nous faisons à un moment donné relève ou non de la liberté. Mais rétrospectivement, dans le parcours que nous avons fait, nous voyons comment une liberté a pu se manifester. J’ai rencontré dans mon parcours des personnes qui m’ont marqué et qui m’ont permis de passer des étapes qui m’apparaissent très riches après coup.

Ne sommes-nous pas trop cartésiens ?

Il faut revenir ici sur la lecture qui a été faite de Descartes. Certes ce dernier accorde un rôle fondamental à « l’enchainement des raisons ». Mais il y a aussi une dimension existentielle qu’il ne faut pas occulter. Nous avons retenu de Descartes la formule « je pense, donc je suis ». C’est la formule du Discours de la méthode qui est un abrégé. La formule initiale, la plus importante, c’est : « je pense, je suis », qui renvoie à l’expérience que j’ai de moi-même et non à un raisonnement. La nuance est de taille. Descartes raisonne, mais il part de l’existence.

Mais il est vrai que nous avons probablement en France un profil très « raisonneur » alors que les anglo-saxons sont plus pragmatiques. Descartes porte sûrement sa part de responsabilité, mais ne l’accablons pas !

L’utopie ne peut-elle être dangereuse comme on le voit par exemple à certains moments de l’histoire de l’URSS ?

Cet exemple montre en effet le risque d’une perversion de l’utopie si elle s’écarte trop de la réalité. Le totalitarisme peut tordre la réalité pour mettre en œuvre des transformations extrêmement perverses et dangereuses. L’utopie permet de voir des alternatives. Elle doit cependant garder les pieds dans le réel et mesurer les conséquences des changements auxquels elle veut procéder. Elle aide à garder un regard critique. Mais il faut aussi conserver ce regard critique sur toute tentative qui prétendrait révolutionner une société sans considération des hommes au titre de l’utopie.