VEILLEE AUTOUR
DE
JEAN VOLOT - FRERE JEAN FRANCOIS
dimanche 26 août 2012
Nous nous retrouvons ce soir pour ce moment de veille autour de Jean Volot, notre frère Jean François. Sans être moine, il a vécu comme un frère parmi nous, et c’est ainsi que nous voulons l’honorer ce soir, en présence de son frère Bernard, de sa belle sœur, de Dominique Fontaine et de ses frères de la Mission de France, et de ses amis des missions polaires qui ont pu se joindre à nous, de nos hôtes et voisins… C’est l’occasion de faire mémoire de son parcours, très riche et que ces quelques mots ne pourront qu’évoquer, sans prétendre tout connaitre, ni à fortiori tout dire.
Jean Volot est né le 6 décembre 1921 au Creusot (71). Il était assez fier de ses racines bourguignonnes, dans la terre de Vellerot, hameau où vécurent ses grands parents, manœuvre et vigneron. Son père « était ajusteur aux usines Schneider du Creusot, sur les lignes de mire des canons de 75. C’était du pointu, il en était fier » précise Jean [1]. Mais ensuite après avoir fait l’école d’œnologie de Beaune, son père s’est reconverti dans le négoce de vin. Bernard, le frère de Jean vient 15 ans après lui. Enfant, Jean n’avait pas une bonne santé et avait des difficultés à l’école. « Je suis allé à l’Ecole spéciale du Creusot, portant ceinturon et képi : c’était mille gosses qui, de fait, étaient en compétition car leur place dans la société dépendait de leurs résultats, les 10 meilleurs entrant à l’école des Arts et Métiers. Et il fallait bosser qu’on soit fils d’ingénieur ou fils d’ouvrier » [2]. En 1939, au début de la guerre, il entre à l’école des Arts et Métiers de Cluny. Il commente : « J’ai fait en bon citoyen les Arts et Métiers de Cluny. J’étais ingénieur à 20 ans. A partir de là : la liberté. (Je n’ai jamais aimé l’école). [3] » De cette période, il gardera des liens d’amitié. Plusieurs camarades passaient le voir.
En septembre 1942, il s’engage dans le groupement Jeunesse et Montagne, affilié aux Chantiers de Jeunesse, mais indépendant. « En 1942, la France était occupée et à la sortie de l’Ecole des Arts et Métiers je me suis engagé de l’autre côté, à « Jeunesse et Montagne » qui avait la particularité d’être formée par des volontaires, alors que les Chantiers de Jeunesse avait un caractère obligatoire. J’ai fait l’école des Cadres de Jeunesse et Montagne de Montroc, dans la vallée de Chamonix. De là, je suis envoyé dans les Pyrénées où j’ai reçu l’ordre de choisir des hommes pour créer une section spéciale ; çà n’était certainement pas pour se promener le dimanche ! Je suis entré dans la clandestinité sans le savoir. » [4] Jean pouvait dire en 2000 : « Je me rends compte maintenant que Jeunesse et Montagne était un groupement de jeunes saint-cyriens revanchards, l’un des premiers mouvements de la Résistance »[5]. Effectivement, avec plusieurs de ses camarades, sous les ordres de leur commandant Thollon, il entre dans le maquis le 1er juin 1944. Il appartient « à la 1ère compagnie du groupement Renaud (dans la Division légère des FFI d’Auvergne), en qualité de sous-lieutenant, chef de section ». [6] Pendant 6 mois, jusqu’au 30 octobre, il participe à plusieurs actions visant à ralentir les mouvements de troupes allemandes. Avec sa division, il reçoit deux citations « à l’ordre de la division » dont je cite l’intitulé à partir d’un document original qu’il a conservé : « Sous-Lieutenant Jean Volot : jeune officier plein d’allant. A fait preuve au cours de la campagne des meilleures qualités du chef, faisant de sa section une véritable unité militaire qu’il a brillamment conduite aux combats du Lioran les 11-15 août 1944… » [7]. Au sortir de la guerre, il travaille au ministère du Travail « avec l’ami Croizat du Parti Communiste» [8]. En 1946, rappelé sous les drapeaux pour mâter les grèves, il renvoie ses galons, ce qui lui vaut d’être cassé et réduit à « l’état de soldat de 3e classe » [9].
En 1947, commence une autre étape quand il entre au séminaire de la Mission de France à Lisieux. Comment est née sa vocation ? Plusieurs fois il a dit qu’il était en recherche déjà pendant la guerre, pendant son emploi au ministère du Travail : « Je me rends compte que j’étais en recherche d’absolu » [10] . C’est la lecture du livre du jésuite, Henri Perrin : « Prêtre ouvrier en Allemagne » qui fut « une vraie révélation » [11]. Son temps de formation au séminaire jusqu’à son ordination sera ponctué de temps de stage au travail. Sur son « Livret professionnel maritime », on relève entre 1948 et 1955, année de son ordination, 10 embarquements, sur des bateaux de la marine marchande, pour des périodes de 1 à 6 mois. Il travaille comme ouvrier graisseur, métier qu’il poursuit après son ordination, malgré la première interdiction des prêtres ouvriers en 1954. Les prêtres paysans et marins ont pu en effet continuer. Avec le P. Lebret, il rencontre les militants jocistes, et organise avec eux des coopératives pour le milieu maritime[12]. Mais en 1959, avec l’interdiction formelle du Cardinal Pizzardo pour les prêtres de travailler, il doit débarquer. Avec le soutien du Cardinal Liénard, alors prélat de la Mission de France, il s’oriente vers les missions polaires à Kerguelen, puis en Terre Adélie et au Groenland avec Paul-Emile Victor. « Ayant un traitement, et non un salaire, et en principe, ne travaillant pas de mes mains, je pouvais être prêtre ingénieur » [13]. Ces missions (environ 29 allant de quelques mois à un an) lui donnent l’occasion de tisser de nombreuses relations avec le monde scientifique. Il met en place des groupes d’échange basé sur l’écoute et le respect qui ont conduit, plusieurs années après, à la création de l’APMA (Association des Pingouins, Marins, Alliés) pour poursuivre, avec les groupes dispersés en France, cette recherche commune basée sur le dialogue. De même sous son impulsion naît l’AMAPOF (Amicale des missions australes et polaires françaises), dans le but de préserver des liens et de favoriser l’accueil des nouveaux arrivants. « Je n’ai jamais été en paroisse et je suis resté fidèle à ma ligne de conduite : être prêtre au travail auprès des hommes en recherche qu’ils soient d’Eglise ou non, en favorisant les contacts humains et le travail en petits groupes… Je suis resté fidèle à cet absolu que j’approfondis sans cesse » pouvait-il dire en 2003 [14]. Il était fier aussi d’avoir achevé la construction de la chapelle Notre Dame du Vent aux Kerguélen.
Et la Pierre qui Vire ? Il connaissait le monastère pour y avoir fait plusieurs séjours. « Ces haltes m’étaient indispensables » [15] . Vers 1977, il exprime au P. Denis son désir de partager la vie de la communauté. A partir de juillet 1978, son insertion en communauté va se faire en alternance avec les dernières missions polaires. Un accord est trouvé avec la Mission de France pour qu’il puisse continuer son apostolat auprès de la Mission de la mer à Dunkerque, auprès des jeunes de la MDF et des groupes mis en place par lui. Mgr Rémond, évêque auxiliaire de la Mission de France écrit au P. Damase : « Jean reste membre de la Mission de France à part entière… Notre équipe se réjouit de l’accueil que votre communauté fait à Jean, non seulement parce qu’elle pense que cette participation à la prière et à la vie communautaire de votre monastère correspond à son aspiration profonde, mais aussi parce qu’une telle participation manifeste particulièrement que l’action missionnaire est liée de manière essentielle à la contemplation » [16]. Lors de sa retraite, en 1980, il s’insère pleinement en communauté, tout en gardant la liberté nécessaire pour ses activités apostoliques.
Parmi nous Jean sera à la fois très présent par son insertion dans la vie de la communauté, et à la fois très discret. Présent à la prière liturgique de manière très fidèle, jamais en retard, toujours en avance. Présent dans les nombreux services qui lui sont demandés (électricité, peinture, chauffeur, bibliothèque, accueil des hôtes, secrétariat). Compte tenu de ses absences éventuelles, il se voit surtout confier des tâches ponctuelles. Il aimera souvent dire qu’il est un « bouche trou ». Présent à la vie fraternelle, par ses billets brefs, mais toujours amicaux, conclus par l’inoubliable « Prions », par sa participation aux groupes de communautés, mais aussi aux groupes informels comme le groupe de prière dans la mouvance du Renouveau charismatique ou encore du groupe ACAT. Il était de tous les groupes. Présent et toujours prêt à répondre « oui » aux appels : ainsi en 1983, pendant 3 mois pour prêcher la retraite dans les monastères à Madagascar, puis en 1990, pour aider la communauté de Chauveroche pendant 6 mois, et enfin en 1992, quand il part 6 mois à la Bouenza au Congo. Présent dans sa manière de nous ouvrir des horizons nouveaux à travers ses amis qu’il nous fait connaître, ceux de la MdF comme Jean de Miribel pour n’en citer qu’un, ceux des missions polaires (APMA et AMAPOF) grâce aux rencontres annuelles à la PqV, ou encore Jean Goss et le mouvement de la lutte non violente (MIR). Présent enfin, par ses interpellations qu’il lançait parfois à la communauté, dans notre manière d’être attentif à la vie du monde et à ces défis économiques (la question de l’épargne solidaire, par ex) mais aussi dans notre manière de vivre. En 1991, il écrivait ainsi au P. Damase à propos de la prière : « Il n’y a pas de doute, un certain nombre de frères sont sur-occupés…et forcément la prière risque fort de passer après, CASSE GUEULE (en majuscule et souligné). Les remèdes ??? - Que chacun retrouve un équilibre de vie ! - Que dans tous les cas la prière soit prioritaire, sinon je ne vois plus ce qu’on fait ici. - Que les groupes soient vivants…qu’ils aient des temps de prière (capital, sinon patronage). – La conscience aiguë de notre responsabilité par rapport au monde actuel. Je finis par croire que la prière, il n’y a plus que çà qui marche ! et je suis heureux d’être ici. Très respectueusement et fidèlement. Prions. J.F. » Présent et discret. Discret dans sa manière de vivre son rythme propre, ses absences ou ses sorties, forcément inhabituelles pour nous. Discret dans sa vie de prière personnelle à laquelle il consacrait beaucoup de temps, notamment pour la prière du chapelet. Discret dans l’accueil des nombreuses personnes venues le visiter ici et dans les réseaux de solidarités qu’il savait maintenir (cf la Charte de solidarité humaine). Discret dans sa manière d’être attentif au cadre naturel de la PqV qu’il aimait particulièrement et sur lequel il veillait à sa façon. Il a réalisé sans bruit, un bel inventaire de tous les arbres et plantes présents dans la clôture. Discret par rapport aux grandes orientations de la communauté, il n’avait pas voix au chapitre, ce qui pouvait parfois lui en coûter. Discret par rapport aux frères sans être indifférent du tout. Discret enfin dans son attention à un nombre impressionnant d’œuvres caritatives ou d’associations (plus d’une 40ne) qu’il soutenait de ses propres deniers. Il parrainait plusieurs enfants pour leur scolarité, en Inde notamment.
Jean appartenait à cette espèce de gens inclassables, car resté libre jusqu’au bout par rapport à toutes nos catégories habituelles. Libre, mais profondément fidèle dans sa foi au Christ vécu en Eglise ; fidèle dans une prière qui a pris peu à peu de plus en plus de place. Libre et fidèle encore dans les relations humaines, dans l’amitié avec les personnes rencontrées au gré de sa vie, attentif en chacun à la part de mystère, d’absolu et de vérité. Fort de tempérament, il pouvait parfois être violent dans ses réactions ou ses réparties, sans toujours mesurer l’impact produit chez l’autre. Et sous ses allures abruptes, il demeurait très sensible à un geste et à un mot d’amitié, exprimant même tous ces derniers temps un grand besoin de reconnaissance. Les ultimes années le portaient de plus en plus vers la considération de l’Essentiel, dans l’Espérance que la vie continue avec tous ceux qui l’ont précédé. « Dans la prière, je prépare ma dernière aventure et attend le face à face avec Dieu : j’ai deux mots à lui dire ! » disait-il en 2003[17].
Ce soir, en honorant la mémoire de celui que nous avons accueilli comme un frère, nous rendons grâce pour tout ce que nous avons reçu de ce chercheur de Dieu, au regard contemplatif qui s’est affiné au plus près des réalités humaines. Nous prions le Seigneur pour qu’Il donne à son serviteur-aventurier, épris d’Absolu, dans la lumière du face à face, la joie d’un dialogue sans fin.
[1] Note Généalogie 14.7.99
[2] Interview PqV 28-29 octobre 2003, p 2
[3] Note à P. Abbé Luc 22.10.07
[4] Interview PqV 28-29 octobre 2003, p 2
[5] Frère Jean Volot -Juil 00- Les repères du soir, p 2
[6] Document 1er Corps Aérien Français, du 6 sept 1945
[7] Document de citation
[8] « De mémoire quelques dates », au P. Abbé Luc , cf aussi Interview PqV p 6
[9] Interview PqV 28-29 octobre 2003, p 3
[10] Ibid p 6.
[11] Ibid p 3.
[12] Ibid
[13] Ibid p 4.
[14] Ibid.
[15] Ibid p 6.
[16] Lettre au P. Abbé Damase du 16.06.1978
[17] Interview PqV 28-29 octobre 2003, p 2.