On n’a jamais été aussi heureux que de nos jours
Aix-en-Provence. 4 janvier 2006
12 présents
Sur le plan matériel, c'est certain. Il y a même des excès dans le choix des engins que les découvertes scientifiques ont mis à notre disposition. Sur le plan spirituel, non ? Le progrès technique, en soulageant l'homme de beaucoup de tâches ou en les allégeant, a dégagé beaucoup de temps libre, qui vous met face à face avec les interrogations métaphysiques auxquelles les réponses des églises ne satisfont plus personne. L'homme moderne se trouve désemparé, et envahi par les distractions stupides. Les choses ont perdu de leur valeur, liée à l'effort fourni pour les obtenir. Le repos n'est plus synonyme de bonheur.
J'ai pu constater récemment l'extrême solitude dans laquelle se trouve une collègue d'origine iranienne, et divorcée. Dans son groupe de théâtre, personne n'a pensé à elle pour son anniversaire. La communication n'est qu'illusion.
L'isolement, je l'ai vécu. Les couples ne pensent pas aux célibataires. Mais c'est à eux de se manifester, à demander, et dans ce cas ils obtiennent une réponse. Il ne faut rien attendre des autres, et ainsi tout ce qui arrive est cadeau.
Difficile de témoigner sur ce sujet, mais je ne suis pas quelqu'un qui croit en l'âge d'or. Je l'ai longtemps situé dans l'avenir, pas dans le passé. Je suis moins sûr maintenant. Certes la durée de vie a augmenté, mais l'être humain ne se bonifie pas comme un Châteauneuf-du-Pape.
Progrès matériel, oui, du moins en Occident. Mais dans un pays peu développé, comme l'Inde, les gens n'ont pas l'air particulièrement malheureux. Progrès et bonheur ne sont pas liés. L'allongement de la durée de vie est-il un bien ? La communication me paraît bien creuse, en particulier celle par Internet. On est sur une mauvaise route…
Je suis choqué par l’énoncé du thème, et je regrette cette idée du bonheur contemporain obtenu par l'élévation du niveau de vie en Occident. Les Touaregs ne nous envient pas. Je suis intéressé par des tas de choses mais mon problème est celui du temps à leur consacrer, car mon métier m'accapare. On est envahi par l'information, au point de rêver d'être déconnecté parfois. Pourtant "on a tout pour être heureux".
Je ne branche plus la radio en me réveillant, et consacre à moi-même une petite heure de silence. Je crois que sur le plan matériel, il y a de plus en plus de disparité, et cela me culpabilise. Les drames humains sont toujours les mêmes depuis l'Antiquité. Il manque davantage de nos jours l'accompagnement du groupe social. Je suis enthousiasmée de participer au projet d'un gériatre de développer le soin aux personnes âgées au Mali.
Il est difficile de savoir si nos Anciens étaient heureux. Il faudrait qu'ils soient là pour répondre ! Mon grand-oncle, berger à Sisteron, lisait le journal, puis retournait à ses moutons : il n'était pas, comme nous, matraqué par les images. De nos jours la solitude est plus grande: familles éclatées, ou éparpillées. Il y a moins de paix intérieure. On a, plus qu'avant, les moyens d'être heureux, mais pas le mode d'emploi.
Personnellement, je n'ai jamais été aussi heureux. Le bonheur est cependant relatif. Une virée à St Tropez ou deux heures de vélo ont été les meilleurs moments de cette période de fêtes. Grâce aux progrès médicaux, on est de plus en plus préservé. Le bonheur s'apprécie par l'absence de son contraire.
L'affirmation "on n'a jamais été aussi heureux" se fait par rapport à quoi? Il est certain, par exemple, que les femmes sont moins dépendantes qu'avant. On pourrait penser qu'il y a des choses qui vont mieux. Mais le bonheur est affaire personnelle, et dépend aussi de l'âge. Nous avons passé récemment une soirée très "heureuse" avec un ami qui est pourtant condamné à court terme. Même quand on vieillit, il y a des moments de bonheur, quand on "lâche prise". Le bonheur n'est pas donné, on se le forge, et il faut savoir le reconnaître.
Il y a des années, au Bénin, nous avons vu des enfants pauvres mais heureux. Nous profitons de progrès techniques, c'est certain, mais j'ai été récemment horrifié par le spectacle des vieillards dans une maison de retraite ; pourtant, un vieux couple m'a touché : le mari était plein d'attentions pour sa femme, trop diminuée pour s'en rendre compte. Donner sans savoir ce que l'autre reçoit : leçon de bonheur. Lors du pèlerinage de Cotignac, on est heureux malgré l'inconfort total.
Il faut avant tout définir ce qu'est le bonheur. Pour mes parents, c'était de donner à manger à toute la famille. Je me rappelle que mes grands-parents chantaient. Puis la radio est arrivée : on écoutait chanter les autres. Les gens pensaient que le cancer n'était pas effrayant, parce que non contagieux, tandis que la tuberculose… Le progrès est évident en ce qui concerne l'espérance de vie ou la qualité des aliments. Mais l'évolution est négative sur le plan social. La solidarité a disparu, parce qu'elle n'est plus un problème de survie comme lorsqu'un paysan était hospitalisé et que les voisins venaient nourrir ses bêtes. Maintenant, on fait des séminaires pour apprendre aux parents à dire non à leurs enfants ! Et la fonction n'est plus respectée (celle des professeurs, celle des policiers…). L'évolution de la société est négative (décadence de notre civilisation). Pourtant, témoignage d'un roumain échappé à son pays bien que d'une famille riche : "ici, j'ai appris ce qui était gratuit" (Il est compagnon d'Emmaüs !)
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