Mes Énergies pour l'avenir et/ou les émeutes des banlieues

Aix-en-Provence. 7 novembre 2005

14 présents.

Je constate, en vieillissant, que mon énergie s'accroît, et les autres en profitent. D'avoir frôlé la mort me fait apprécier la vie encore plus. Mon énergie, c'est de donner de l'amour à mes semblables.

Le mot "énergie" a la même origine que les mots orgue et… boulevard ! Le mot grec est traduit par "force en action". Ce qui me fait agir, ce sont les autres, et pas seulement mes enfants. Je suis le maillon d'une chaîne d'énergie, pour "faire quelque chose". Cette action se suffit presque à elle-même, sans chercher le résultat.

Dans les émeutes actuelles, les médias ont un rôle de grossissement. Le tremblement de terre du Pakistan a été moins "médiatique" que le tsunami. Il est nécessaire de tempérer et revaloriser les faits véhiculés par les médias, qui exagèrent le désordre.

Les émeutes révèlent un malaise profond, dont l'origine peut-être située en 81 ou 68 : perte de l'autorité dans les familles désunies ou monoparentales… il est inconcevable de laisser dehors un enfant de 12 ans à minuit !

On vit dans une société de bruit, on ne trouve plus le silence propice à la réflexion. Les naïvetés de la gauche ont leur part dans cette perte des valeurs. Quant à moi, je tire mon énergie du plaisir, ou plutôt de la joie, en particulier quand je la partage avec les autres.

L'énergie personnelle change avec l'âge. Quand je me dis : "je n'ai plus d'énergie de faire telle ou telle chose" je m'aperçois que je l'ai encore pour d'autres choses. Si je suis moins performante, tant mieux: je m'éparpille moins et réserve mon énergie pour les autres. Les groupes sociaux (dont les Pingouins) me font réfléchir et rechargent mon énergie. Je reconnais l'avoir gaspillée, dans le temps, lors de mon épisode communiste. Maintenant mon énergie me vient du désir de faire quelque chose d'utile aux autres ; mais il faut bien sûr éviter que l'énergie dégénère en violence.

Le symbole de l'énergie, c'est le feu. Socialement, on a tout fait pour allumer le feu, et maintenant on ne sait pas comment l'éteindre. Plus je vieillis, plus je me sens d'énergie pour entreprendre tout ce que je n'ai pas pu ou voulu faire. Il faut rattraper le temps perdu…

Les émeutes ont pour origine l'oisiveté des jeunes, due au chômage. Ils n'ont pas envie, non plus, de devenir comme nous, des "bourgeois". Ils n'ont pas d'idéal. Il est triste de constater que seules les guerres sont fédératrices : on fait front contre l'ennemi commun. Il faut aimer sans attendre de retour. De plus en plus, la recherche du plaisir me guide, sans trop chercher l'utilité ni l'altruisme. Je suis plus inquiet d'une éventuelle mutation du virus de la grippe aviaire que des émeutes actuelles, mais j'appréhende le premier mort.

Dans ces émeutes, on récolte ce qu'on a semé : le pouvoir des syndicats (dont les excès ne sont pas sanctionnés), les abus de droit, l'entrave à la circulation, les grèves abusives, les tags… Tant qu'un jeune est mineur, on ne peut rien contre lui. L'enfant-roi est inattaquable. Longtemps mon énergie a été consacrée à assurer l'avenir de mes enfants, quand celle de mes parents et grands-parents était consacrée à trouver à manger pour le lendemain. On pourrait peut-être trouver quelque espoir dans les associations, ou même les milices. Mais pas dans l'Europe, qui est en panne.

Moi, je conserve espoir. Ma fille, en Allemagne, est en train de vivre l'Europe. Il y a des exemples d'intégration réussie. Mais c'est vrai que les jeunes (pas uniquement immigrés) ignorent les règles : ainsi une de mes patientes, pourtant très méritante, ne veut pas payer une consultation à laquelle elle n'est pas venue, alors que c'est précisé dans le règlement affiché en salle d'attente. Il est vrai que les chances ne sont pas égales : il est stupide de réclamer des diplômes pour les métiers les plus humbles. Il faut réhabiliter le poinçonneur du métro !

Même chose pour ceux qui nettoient la voirie à Aix… Les jeunes nient être coupables même quand on les prend sur le fait. C'est la règle du déni. "Plus tu casses, moins tu risques"… La loi n'est plus respectée.

Quant aux énergies, au sens premier, je crois qu'elles se renouvelleront au fur et à mesure, et qu'on trouvera à se passer du pétrole.

Je suis surtout sensible au gaspillage d'énergie, dans tous les sens du mot. Culte de la production dans les entreprises, hyperactivité… Le potentiel d'énergie est cependant plus grand qu'avant, du fait du progrès matériel et social, mais il faut l'économiser et résister à l'entraînement.

Je suis peu optimiste. Favorable aux éoliennes, qui ne sont pas plus choquantes que les mobiles de Calder ; nous avons pris du retard dans la fusion nucléaire. En ce qui me concerne, j'ai toujours manqué d'énergie pour tout ce qui ne me motive pas (le soin domestique par exemple). J'arrive malgré tout à en trouver pour tout ce qui me passionne (la plongée par exemple).

Je connais de petits Arabes très gentils à mon club de voile, et n'ai jamais eu affaire à des malfrats… Ce qui est scandaleux, c'est que les voitures brûlées sont celles des pauvres. La faillite de l'intégration est évidente. J'ai de l'énergie quand ma vie est menacée, ou ma carrière compromise. Sinon, j'ai tendance à la paresse. Sur mon bateau, je retrouve mes forces, mais je ne sais pas si j'aurais de l'énergie en cas de maladie grave.

Je prends à mon compte la plupart des idées exprimées, mais ne me sens aucunement coupable de la décadence actuelle. Certains "jeunes" ont "la haine", mais je ne peux me défendre de l'avoir aussi quand je les croise. Mon métier a consisté à transmettre les valeurs auxquelles je crois. Je ne veux pas maintenant continuer à me tourmenter, je suis moi aussi guidé par le plaisir, bien que n'ayant pas  beaucoup de dispositions naturelles à cet égard. Mais ce plaisir ne saurait être égoïste. Mon énergie, je la trouve dans la force acquise, dans "le ciel étoilé au-dessus de ma tête et la loi morale au-dedans de mon cœur". Mais je ne sais pas, moi non plus, comment je réagirais si j'étais atteint d'un cancer…