LA PAROLE

Paris. 24 janvier 2007.

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Voici un texte qui peut servir notre réflexion, si on remplace le mot Action par le mot Parole.

Si une action peut avoir cent visages,
la regarder toujours avec celui qui est le plus beau.

Si l'on ne peut excuser une action,
on peut l'adoucir en excusant l'intention.

Si même on ne peut excuser l'intention,
il faut accuser la violence de la tentation,
ou la rejeter sur l'ignorance,
ou sur la surprise,
ou sur la faiblesse humaine,
pour tâcher au moins d'en diminuer le scandale.

Saint François de Sales

La parole qui surprend (Si une parole peut avoir cent visages…) :
Comment je sais l’entendre et me laisser atteindre sans me laisser démolir ?
Comment la prendre sous son aspect positif ?

La parole qui blesse (Si l’on ne peut excuser une parole) :
Répondre ? que répondre ? quand ? jusqu’où ?
Se taire ? mais quel silence ?
Le silence comme parole ou le silence comme mutisme :
qu’est-ce qui différencie chez moi l’un de l’autre ?

La parole qui guérit :
« Dis seulement une parole, et je serai guéri. »
Quelles sont les paroles qui me guérissent ? (textes divers, dont la Bible)


 

Parole qui surprend, je dirais plutôt qui me dérange dans ma vie. Je repense à la parole de l’abbé Pierre en mars 1954. J’étais au Kremlin-Bicêtre, j’habitais en équipe avec deux prêtres de la MDF.  Le ton surprenait. Comme le Christ, il parlait avec autorité. En équipe nous nous sommes arrangés pour héberger un membre d’Emmaüs. Cette parole nous a poussés à changer pendant un certain temps notre vie

Je me laisse déranger par la parole de vrais amis ou amies et en priorité par la parole des membres de mon équipe de la MDF.

Parole qui blesse : vers les années 1959, je venais de sortir de prison ; j’étais chez ma        mère avec mon frère qui était militaire. À un repas, il m’a dit que j’étais un fils indigne que j’étais le déshonneur de la famille  et qu’il ne pouvait plus rester à la maison avec moi présent et qu’il allait partir. Ma mère s’est mise à pleurer elle qui était si contente de nous voir réunis.

Finalement, il s’est calmé et est resté. Depuis je n’ai plus jamais discuté avec mon frère. On s’est souvent rencontré, mais on  ne parlait  plus de choses profondes. J’avais peur qu’il y ait de nouveaux éclats Mon silence était du mutisme. Il faut dire qu’il était très traditionnel au point de vue chrétien et imposait ses idées. On ne pouvait discuter

Parole qui guérit : je crois beaucoup  que dans le sacrement de la réconciliation  le fait de s’avouer pécheur et dire qui on est avec ses faiblesses à un prêtre est essentiel.  Je reçois aussi la parole du prêtre  qui me transmet le pardon de Dieu. Comment se réconcilier si on ne se parle pas ? 
Je n’aime pas les « hauts parleurs » avec des discours tout faits, mais j’aime les paroles qui posent question : Jésus a douté : « Pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Un grand ignorant croit tout savoir ; les grandes pointures sont toujours prêtes à se remettre en question.

Les paroles qui me font vivre font place au doute.

Parler avec respect et attention de l’autre, mais sans naïveté.

Il faut être très prudent sur la parole : les dérapages sont rapides, on arrive à la guerre pour pas grand-chose.

Dans la vie à deux, parfois la parole est délicate.

Il y a 4 Évangiles, pas un récit unique.

Aujourd’hui, l’Église a réponse à tout…

Parole qui surprend : il faut vouloir être surpris. Je m’attache davantage au pourquoi de la parole qu’à son  contenu.

Je lis souvent de belles paroles : mais quel changement dans ma vie de tous les jours ?

Plus la parole émane de mes proches, plus elle est importante.

Par exemple, avec les enfants devenus adultes, il faut changer, se remettre en question.

La parole blesse d’autant plus qu’on est proche : ça rumine.

Parole qui guérit : on n’est jamais guéri tout à fait. Les blessures profondes sont toujours là.

On peut avoir des élans de paix, mais après, qu’est-ce qu’il en reste ?

La parole qui surprend :

Surprise agréable quand l’autre se découvre ;

L’autre qu’on n’attendait pas et qui demande ;

L’autre qui m’oblige à me remettre en question.

La parole qui guérit :

Qui donne confiance ; qui m’encourage, qui pardonne.

Ce texte de St François de Sales me conduit vers le pardon.

Quel que soit le sens que nous donnons à nos mots : comment sont-ils compris ? Lors de malentendus, de dégringolades dans ce jeu de paroles, le silence devient la seule issue.

La parole est souvent organisée, convenue : les mots ensevelissent, recouvrent.

Je suis touchée par les paroles de personnes venues de loin, qui incarnent quelque chose.

À quoi doit servir la parole ?

À établir une relation, une chaleur, adoucir, souvenir de la parole des parents quand on est enfant, silence qui suit la parole…

Les medias véhiculent beaucoup de paroles, et dans ces paroles beaucoup de souffrances, et on ne fait rien.

Les témoignages de souffrance me touchent.

Il est difficile d’avoir une parole en vérité.J’ai regardé avec émotion le film « hiver 54 » qui témoignait de la vie en vérité de l’abbé Pierre qui vivait sa foi en cohérence avec ses actes. À la suite de ce film, il y avait un débat entre plusieurs personnes qui s’est révélé inintéressant car chacun avait un discours orienté vers le paraître.

Dans l’Evangile de Luc (4 –14/21) de dimanche dernier « L’Esprit du Seigneur est sur moi… », le Christ lit le livre d’Isaïe et par la parole donne vie à l’écriture. L’écriture redevient parole et vie.

La parole qui guérit : écoute, réciprocité, peut se traduire en gestes.

Je doute : le Christ est venu il y a 2000 ans : qu’est-ce qui a changé ?

« Les hommes normaux ne savent pas que tout est possible », dans les camps de concentration…

La parole qui surprend est une parole qui séduit (serpent ou Créateur) ; il n’y a pas d’entre deux.

J’ai besoin de faire un effort pour écouter : je ne suis pas tout ouïe à toute parole.

Je peux blesser parce que j’ai été blessée.

Parole qui guérit : seulement dans la confiance, dans la douceur.

Le mutisme relève du mensonge. Le silence : ne pas ajouter à la violence.

La parole qui surprend : ça m’intéresse beaucoup d’être étonné par les silencieux. Faire parler les silencieux apporte des récompenses extraordinaires, fait découvrir des perles.

Ce qui me fait exploser : les paroles intolérantes, les personnes qui n’écoutent pas, les paroles qui n’engagent pas, les paroles convenues, qui ne sont pas en lien avec des actes.

La parole qui blesse :

Le texte de St François de Sales propose une sorte de raisonnement pour atteindre l’amour inconditionnel (vocabulaire psychologique) ou amour de Dieu (vocabulaire  religieux), en faisant le pari du bien (l’autre est bon, ou pas si mauvais..).

Je peux aussi essayer de comprendre l’autre par le « cœur » en me demandant si à sa place, si j’avais la même vie, etc… je n’aurais pas agi de la même façon.

Je peux également essayer de me comprendre moi-même : suis-je objective ? Qu’est-ce que cette parole est venue toucher en moi de particulièrement vulnérable ? J’étais peut-être fatiguée ?

Je peux enfin me demander ce que me dit la Parole : « Soyez parfaits comme votre Père Céleste est parfait… » ou « Soyez aimants comme votre Père Céleste est aimant… »

Ce qui m’aide dans cette démarche : l’amour des parents pour leurs enfants  qui, si imparfait soit-il est en germe le plus proche de l’amour de Dieu.

Ce mouvement vers Dieu, mon Père très aimant, relativise mon jugement, me permet de redémarrer avec l’autre s’il m’a blessée.

La parole qui surprend : garder le silence, attendre,  pour ne pas réagir brutalement : j’ai parfois évité d’abîmer une relation en maîtrisant mon émotivité

La parole qui guérit : « ton Corps livré, ton Sang versé, par amour pour nous… » : il n’y a plus rien à dire.

La parole qui surprend

Quand une parole me concerne, difficile pour moi d’arriver à la regarder avec « le visage le plus beau » :

Une méfiance naturelle : « Qu’est-ce qu’il/elle a voulu dire exactement ? »

Une très grande difficulté à entendre sans réserve une parole positive à mon égard,

Une auto éducation à faire en permanence.

Savoir entendre une parole et me laisser atteindre, mettre en cause par elle.

Là aussi, la défiance rend les choses difficiles. Il me faut un climat de confiance extrême. Dans les situations sensibles, je me prémunis, je calcule.

Dans le domaine de la recherche spirituelle, même chose : « Attention ! Qu’est-ce qu’il/elle va encore sortir ? Où est-ce qu’il/elle veut m’embarquer ?  Je suis plus souvent aux aguets qu’à l’écoute. Sauf s’il y a médiation d’un texte : je crois savoir mieux me laisser atteindre par un texte.

Manque d’ouverture du cœur, d’intelligence du cœur ?

La parole qui blesse

La taire pour éviter le scandale ; éviter les « gorges chaudes » : ça, je sais assez bien faire. Mais je sais mal la taire en moi : elle continue durablement à faire sa soupe. Une redoutable mémoire des mots  prononcés.

Peut-être un remède à cela en criblant les mots négatifs qui traînent au fond de ma mémoire au crible proposé là : l’intention, la violence de la tentation, l’ignorance, la surprise, la faiblesse. Quand un mot revient comme une bulle à ma mémoire, le passer à ce crible pour voir ce qu’il devient plus tard.

Répondre, que répondre, quand, jusqu’où : les techniques de relations humaines me l’ont appris, mais je suis loin de savoir toujours bien les appliquer.

Le silence comme parole ?

En fait, parole à moi-même : « Tais-toi, c’est inutile de parler maintenant », mais je ne suis pas sûre qu’il serve la relation, même s’il permet d’éviter les confrontations.

Peut-être pourtant que, sans que je le sache, il « parle » à l’autre ?

Le silence mutisme

Ce qui le différencie du silence parole, c’est qu’il est vraiment enclos en lui-même, bétonné, il ferme   pratiquement tous les espaces de parole avec l’autre.

Redoutable, mais comment l’éviter quand les choses sont allées trop loin ou que les situations se sont trop souvent répétées ?

Quand j’ai déjà expérimenté que la parole ne servait à rien, pourquoi recommencer ?

La question est peut-être ici : Comment recommencer ?

La parole qui guérit

Je suis très attentive aux mots qui me font vivre

« Je te donne à choisir… » (Deutéronome ?)

« Voilà le sacrifice que je demande… » (Isaïe)

Mais quelles sont les paroles qui me guérissent ?

Celles qui me guérissent de mon insatisfaction ? « Nous sommes de pauvres serviteurs, nous n’avons fait que ce que nous devions. »

Celles qui me guérissent de ma méfiance ?

Un mot magique : « Talitha koum »

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