DUNKERQUE

LA PAROLE

« Dans un monde où les outils de communication sont multiples et globalisés, et où l’image devient l’essentiel, que vaut la Parole (transmission et relation par la Parole) ? »

Dunkerque. 11 et 12 novembre 2006

10 présents + 2 témoignages écrits

Parce qu’il y a parole échangée, il faut un émetteur et un récepteur. Mais il faut qu’il y ait médiation même si l’on s’est compris sans paroles. Et avec mes oreilles et mes mains ce sont mes meilleurs outils. Donner sa parole c’est un engagement aussi à respecter celui qui la reçoit. Ne dit-on pas « paroles d’homme » ? Cependant quelle crédibilité accorder à la parole d’un enfant ? (cf. affaire d’Outreau).  La parole peut être  destructrice (médisance, calomnie..) ? ou constructive, quand elle redonne courage et confiance ; par exemple, elle peut redonner vie par une reconnaissance, le pardon, l’estime de soi. La parole doit être en vérité. L’est-elle toujours ? Qui peut le dire ? A quoi je me réfère ? et faut-il toujours dire ce que l’on pense ? C’est vrai que l’on ne peut toujours dire ce que l’on pense, mais on doit toujours penser ce que l’on dit. Dans ce sens, la parole engage et elle peut être  l’expression d’une foi.   Attention quand on répète quelque chose qui vient de quelqu’un d’autre car il n’est pas toujours possible de vérifier toutes les sources.  Combien de personnes ont souffert à cause d’une rumeur ?  Une parole efficace pour moi : celle de Dieu, il a suffi qu’il parle et c’est fait.

La parole, c’est ce qui distingue l’homme de l’animal bien que d’une certaine manière les animaux communiquent entre eux. La parole est le moyen privilégié des êtres humains pour communiquer entre eux. Tout le monde sait que l’acquisition de la parole est un processus long qui commence quand on est bébé, se perfectionne à l’adolescence jusqu’à l’âge adulte. Elle est tributaire aussi de l’environnement dans lequel l’être humain évolue ou a évolué. Mais la parole est également une transition vers l’écrit. C’est pour cela que la lecture doit être développée. Je ne peux pas dissocier la parole de l’écrit : celle-ci  mène à l’écrit.

Pour moi la parole c’est le premier moyen de communiquer. Avant l’écrit il y a la parole.

C’est aussi un droit fondamental. Et, de ce droit, trop de personnes en sont exclus. C’est aussi un pouvoir qui peut s’exercer d’une manière positive ou négative. Il y a des paroles qui blessent surtout à des moments où l’on est fragilisé. Paroles qui s’envolent, qui créent et qui donnent vie pourvu que l’on sache écouter.

C’est une des expressions de la personne. On devine la personnalité par la parole de chacun. Elle est l’outil de la pensée, des messages, des idées. La parole est différente selon le ton donné : elle véhiculera diverses interprétations par celui qui la recevra. Le silence, c’est le recto ou le verso, l’endroit ou l’envers de la parole. C’est la parole intériorisée. C’est aussi la retenue de la pensée. La pause de la parole. Le silence peut aussi être la ponctuation de la parole. Il peut y avoir aussi des conversations en silence. Mais le silence peut être également la parole refusée de tous ceux que l’on n’écoutera jamais. De ceux qui n’osent pas parler.

J’ai lu dans un livre que la parole « crée ». Je me rends compte en effet de la responsabilité de la parole. On ne revient pas sur un « mot dit », il est « créé ». Il entraîne à sa suite, dès qu’on l’entend, toute une cascade de sentiments divers, il n’est pas oublié. Il peut créer une idée, suggérer des questions, être positif. Il y a des mots qui peuvent aussi détruire, créer du négatif. Il y a la parole des livres : elle peut y rester figée. Et il y a aussi laparole du livre qui est un levain. Le pouvoir de la parole est grand. Il peut aider et peut aussi convaincre faussement… La parole est vive, et vous échappe quelquefois, elle dépasse les limites que l’on s’était fixé. On dit des choses qu’on ne voulait pas dire. On dirait qu’elle s’est affranchie de soi. On doit souvent la contrôler.

On chantait paroles, paroles…On dit aussi « la parole s’en va les écrits restent » et aussi « parler pour ne riendire ». La parole peut être dangereuse, elle peut blesser en fonction de l’état d’esprit de celui qui la reçoit.  Ainsi je me souviens que, dans le cadre professionnel, j’avais du dire à une collègue de travail qu’elle devait travailler le lendemain alors qu’elle avait prévu de garder ses  enfants. Dix ans après c’est encore douloureux pour moi. Elle me dit « c’est du passé ». Quand il n’y a pas de parole il faut inventer d’autres moyens de communiquer. Mes enfants partent prochainement au Népal rencontrer leur future petite-fille. Parlera-t-elle le népalais, l’anglais ? , on ne le sait pas. Il y aura quelque chose à inventer pour communiquer. On dit quand quelqu’un va mal qu’il faut le faire parler. Dans ce domaine j’ai eu une expérience négative. J’ai pu reprendre cela. On dit qu’on ne parle bien qu’avec le cœur.

Curieusement, c’est en vivant en banlieue que je redécouvre le poids des mots. Les mots de « racaille » et de « karcher » ont ainsi été de la dynamite. Pour ma part, avant d’adresser la parole à tous ceux que je rencontre, j’ai à être attentif aux premiers mots employés. Le plus simple est un « bonjour » amical. S’il arrive un bonjour de retour, c’est un pas énorme d’accompli, surtout avec les grands ados. Puis il y aura, au fil des mois, et des années, des demandes sur leurs études, leur boulot, leur famille, leurs origines. Je considère que pouvoir appeler un jeune par son prénom, Mohamed, Nourdine, Djamel, est plus porteur de paix dans le quartier qued’envoyer un policier. Cependant je ne suis pas dupe. Les mots employés par les jeunes qui traînent au pied de l’immeuble véhiculent souvent la méfiance, l’agressivité, le rejet, la violence. C’est toute la société française qui doit mettre ses actes en conformité avec ses belles paroles : Liberté, Egalité, Fraternité !

Avant, la  tradition orale était importante. Chez mes parents, on se réunissait souvent en famille et c’était un moment important. Je disais à mon père : «  raconte- moi ta guerre de 14 ». J’avais alors l’impression d’être plus près de mon père. Aujourd’hui, je constate que nos enfants, petits-enfants ne parlent plus. Ils regardent la télévision ou sont pris par leurs ordinateurs… Je trouve ça dommage.

J’utilise la parole pour exprimer mes pensées, mes idées, mes sentiments. Il faut alors avoir les mots justes (français !) si l’on veut être compris, surtout quand on est étranger en France ! Quand on veut convaincre l’autre, on utilise des mots forts de sens. La parole est aussi une arme puissante pour humilier, blesser l’autre, ou bercer l’autre dans l’illusion (promesses en l’air !). La parole démagogique souvent utilisée dans des discours politiciens ! Pour les peuples qui n’ont pas d’écriture, comme les minorités ethniques, et même les gens du peuple au Vietnam, la parole est un moyen de transmettre la, ou les valeurs. Ont donc ce rôle les chants populaires, proverbes, dictons…cités par cœur par les anciens pendant les fêtes, les réunions familiales où l’on règle les litiges, établit la conciliation.. J’aime le texte de Béatrice Oury sur  la parole de Jésus : «  la parole qui écoute, est la parole d’un homme responsable et libre. La parole d’un hommecourageux aussi ! », et nous ?

Dans ma vie professionnelle j’ai beaucoup écouté et en définitive peu parlé. C’est pour cela que j’ai parfois du mal à parler aujourd’hui. Il faut pourtant savoir parler, parler sans jugements et sans a priori. Parler de tout et de rien. Actuellement je vis seule et il m’arrive de me parler, cela m’est nécessaire. Tout le monde n’a pas la même facilité pour parler. Beaucoup souhaitent être écoutés.

Quand on dit « tu as la parole » c’est pour dire quoi ?  Que dire quand quelqu’un se confie à vous ? Au moment de la mort d’une jeune fille par accident, j’ai été amené à témoigner au commissariat de police. Dans ces  moments-là le choix des mots pour dire de ce l’on a vu est important. C’est difficile de témoigner. Il faut faire attention à être bien compris. Donner la parole et prendre la parole ce n’est pas toujours facile.

Parfois quand on n’est pas d’accord, il est nécessaire de  « prendre la parole » et quelquefois d’interrompre celui qui parle.

Pour moi la définition de la parole n’est au départ qu’une succession de mots mis les uns à la suite des autres de manière à former une phrase. Il faut bien sûr prendre en compte aussi le ton de la voix : parfois on parle de « parole douce ». Mais l’homme, ce mammifère omnivore est le seul être vivant qui possède la faculté de parler. À notre époque beaucoup de nos concitoyens préfèrent un « animal de compagnie », chat ou chien, qui soi-disant parle et comprend, à la compagnie de leurs semblables, parce que ces animaux, en réalité, ne leurs renvoient que leur propre pensée, sans contradiction. C’est le début de l’individualisme. Cette succession de mots, ces phrases seront comprises différemment en fonction du contexte dans lequel ils sont insérés, mais aussi de la culture générale de la langue. En effet, nous ne traduisons pas une langue étrangère au mot à mot mais dans le concept de notre propre culture. C’est peut-être une raison pour laquelle l’Espéranto ne réussit pas à devenir un langage universel, et peut-être est-ce aussi  la raison, pour le pape Benoît XVI, de remettre le latin au goût du jour ? La parole peut être tour à tour une source formatrice, critique, humoristique ou encore contraignante.

La parole enfin vaut par ce que l’on en fait et surtout crier son dégoût devant la primauté de l’image sur le texte, et surtout devant la rapidité de cette information ? Tout le monde regarde le « Prime Time » d’une chaîne un soir et le lendemain tout le monde a la même pensée. C’est insupportable ! C’est la technique des annonceurs publicitaires pour faire vendre leurs produits : que de l’image très rapide.

L’homme parle, échange, nuance, s’oppose, agit en être authentique, unique et libre. Mais le langage a besoinde recul, que l’image multimédia ne lui donne pas s’il n’en maîtrise pas l’utilisation. Car rien ne peut égaler notre production personnelle et gratuite de fantasmes ou de rêves. Le multimédia s’adresse plus à notre sensibilité qu’à notre raison. Veillons à préférer toujours et partout l’authenticité des objets réels, la chaleur des contacts humains et l’expression, non numérique, d’un regard étincelant de  vie à la  tendresse inconnue de l’ordinateur.

J’évoquerai deux situations. L’une dans mon travail où il s’agit d’un demandeur d’emploi. Cette personne parlait peu sauf pour dire : «  je veux du travail ». L’autre dans le cadre familial quand nos enfants petits commencent à s’exprimer et que l’on va faire tout pour les comprendre. Je veux dire que dans ces deux situations il faut savoir prendre le temps et être disponible, avoir de la patience. Il faut aussi provoquer des moments de paroles et d’échanges, trouver les mots pour que ça passe. Cette parole sert à partager.

Quand j’étais plus jeune je n’osais pas parler. Après, en prenant confiance en moi, j’osais parler. Maintenant je trouve que je parle trop…. Parler peut aider à se libérer et à soulager les autres, mais il y a des paroles « qui tuent ». De toute façon pas de parole sans relation (il faut un émetteur et un récepteur).  Si dans certains pays et civilisations la parole est importante, l’écrit l’authentifie et la précise par la distance et le recul qu’il demande. La parole que je préfère dans l’Evangile est celle de l’enfant prodigue….peut-être, et c’est ambigu, parce que je comprends et le père et le fils.

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