DIRE DES BANALITÉS : Pour se protéger ou pour établir un contact

Aix-en-Provence. 5 février 2007

12 présents.

* La banalité, c'est indispensable au niveau des relations familiales ou sociales. C'est quelque chose qui permet d'aller au-delà, lorsque l'on constate l'échec d'un échange ou qui permet  l'amorce, l'ouverture. Dans la vie quotidienne, on "pense" les bonjours que l'on donne. Cela amorce les relations qui ont ou qui vont exister. C'est une contrainte nécessaire. On les retrouve dans le couple, ça crée des liens, ça évite de faire des vagues. Le problème, c'est quand la vie est vide, que peut alors donner une discussion?

* On n'a plus de temps à perdre en banalités. J'avais un an d'avance au lycée, fluet dans une classe de trente. Pour éviter la castagne à la récréation, je devançais les "gros bras" en leur demandant: "Tu as fait ton devoir pour demain ?"

Montherlant a dit :"après l'amour, le premier qui parle dit une bêtise".

Quand j'invite des gens chez moi, j'espère toujours que ce sera intéressant.

L'amour, la mort, la vie, la philosophie, on n'a pas trouvé de réponses depuis que l'on se pose ces questions. La banalité, c'est aussi la politesse et c'est très important.

* J'ai reçu mon frère à Noël, ça m'a fait très plaisir, mais nous n'avons fait qu'échanger des banalités, sinon, ça risquait de tourner au conflit. Il n'y a pas eu de partage. À l'enterrement de ma grand-mère qui a eu 9 enfants, il y avait beaucoup de cousins. J'ai eu plaisir à en revoir certains, mais par quoi commencer  si on veut aborder un sujet profond? À l'enterrement de la "vie de garçon" d'un ami qui s'est marié sur le tard, nous sommes allés dans un cabaret "chaud" de Paris, et du coup, nous n'avons pas échangé autre chose que des banalités, dommage !

C'est difficile de se faire des amis quand on avance dans la vie. Un jour, un collègue m'a demandé pourquoi je ne disais pas de banalités. J'ai répondu que je préférais les échanges vrais et il a apprécié. C'est un ami, maintenant.

* Je me sers des banalités pour protéger l'autre. Lorsque, dans le cadre professionnel, j'assiste à une garde-à-vue ou à un délire, je dis des banalités sans regarder la personne pour qu'elle n'ait pas à me craindre. Je développe une anecdote banale; cela crée un contact, même avec les gens délirants. C'est une protection pour lui et non pour moi.

Avec certaine personne, même la banalité me pose problème, car d'une banalité peut naître un conflit, me mettre en porte-à-faux.

* Le mot banalité vient de Ban, banal; c'était la mise à disposition d'un four, d'un moulin, prairie ou pressoir, à tous les habitants d'un village, qui étaient tenus de s'en servir moyennant une redevance. L'usage moderne de la banalité date du XIXe siècle. Dire une banalité, c'est se sentir obligé d'adresser la parole à quelqu'un en fonction d'un contexte, en disant ou en pensant dire quelque chose d'insignifiant. Je fuis les endroits où l'on échange des banalités comme les cocktails, ou alors, j'y vais à reculons, comme les salles d'attente, les transports en commun...
J'ai été blessée par le médecin qui s'occupait d'Axelle, 3 ans, aux urgences. Pour me faire comprendre qu'il n'y avait pas d'espoir, mais sans le dire, il m'a dit : "il ne vous reste plus qu'à prier". J'ai trouvé cela  grotesque et déplacé de sa part.

* Les banalités : Je suis capable d'en dire, pas trop d'en vivre.

C'est souvent une porte d'entrée, ça permet de montrer que l'on n'est pas indifférent, une prise de contact, c'est plus ou moins facile. C'est une protection qui nous évite d'aller trop en avant, mais il ne faut pas rester à ce stade.

Je suis des cours de gym et les conversations navrantes des vestiaires me consternent; je ne peux tout simplement pas y participer. Je me mets en dehors.

* Il y a des banalités très importantes à dire dans la vie sociale, par exemple bonjour, merci...Ça permet d'établir un contact, quand je parle de la pluie et du beau temps.

* La banalité est tout sauf banal. Il faut comprendre la signification des banalités, il faut une certaine maturité.

C'est un moyen de communiquer avec des gens inhabituels, lorsque l'on n'a pas le choix.

À mon travail, le fils du concierge est devenu concierge à la place de son père. C'est inconcevable en Suède, où le Politique est fait pour que l'on puisse dépasser le cadre social de ses parents. Le parcours de cet homme est différent du mien, mais on est pareil. Je n'ai pas d'autre moyen de considérer l'autre comme mon égal. On partage l'essentiel sans pouvoir le dire directement; j'ai une impression d'échange profond. Comme moyen de protection, ça m'aide énormément. Une collègue qui se posait systématiquement en victime, répondait toujours par la négative à mes saluts du matin. Maintenant j'embraye en utilisant des banalités orientées.

* Bonjour, comment ça va ? Ce ne sont pas des banalités, ça dépend comment on les dit. Quand on est à l'écoute de l'autre, ça n'est pas une banalité. Lorsque je ne connais pas quelqu'un, c'est difficile d'aborder des sujets de fond.

Mais je n'ai pas de temps à perdre. Je dis des choses importantes, sinon, je m'ennuie. Je sélectionne les gens avec qui je parle. Avec ma soeur, on se connaît, on parle "vrai".

Avec mon frère, je ne dis que des banalités, sinon, les sujets comme la politique, l'argent, la famille engendrent des disputes terribles. Ça me désole, mais je n'ai pas la même manière d'appréhender la vie que lui.

* Je n'aime pas échanger des banalités, je préfère les propos originaux. Avec des collègues, on se saluait de "comment ça va très bien? " et on répondait "très mieux". Je préférais ne rien dire plutôt que des banalités; maintenant, j'accepte mieux d'en dire.

Nous étions jeunes mariés en voyage en Indonésie et à l'hôtel, nous déjeunions sur la terrasse quand nous avons subi la platitude des propos d'une table voisine.

Les gens s'approprient la "culture TF1" et en font des vérités absolues; c'est détestable. J'abrège ces repas de famille car cela me met mal à l'aise. Je me suis aperçu que des sujets peuvent être remis sur le tapis à plusieurs jours d'intervalle et que le dernier qui a parlé a raison.

* Il y a un an, nous sommes partis au Mali, chez des Maliens. Les salutations sont très importantes chez eux, extrêmement codifiées. Elles concernent la famille, pour voir l'état d'esprit. C'est très important pour voir de quoi on va parler. Lorsque les étrangers apprennent notre langue, une des toutes premières expressions est "ça va ?". Ça permet d'établir un lien, de tester des personnes.

Quand j'étais petite dans ma famille, quelqu'un rappelait toujours que l'on pouvait parler de tout, sauf de politique et de religion, sous peine de disputes. Dans les petites réunions où cette règle n'était pas respectée, cela se terminait en pugilat, dans les larmes. Pour garder l'unité de la famille il y a un accord là-dessus, entre générations.

* La banalité, c'est dire qu'on n'est pas complètement indifférent. Dans mon immeuble, il y a beaucoup de rencontres "de vue". Côté protection, quand j'étais scolarisé et que se profilait une sale note ou un mauvais bulletin, je disais des banalités pour me protéger des remontrances plutôt que d'éviter le sujet.

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