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Tournay24 mars 2018 – Tour de table : "Partager – donner – recevoir – transmettre"

 

J'ai été responsable de la formation des novices pendant 20 ans.

Je suis parti de la transmission avec en arrière fond, la transmission des valeurs de la vie monastique actuellement à des moines plus ou moins jeunes qui proviennent de cultures différentes (Brésil, Vietnam, Catalogne), qui ont des modes de vie différents (internet, portables…) mais aussi des vocations initiales différentes (prêtres).

Ils sont marqués par la montée de l'individualisme, avec la mise à mal de l'art de vivre ensemble et le délitement du lien social.

Danièle Hervieu-Léger, sociologue, dans son livre sur l'évolution de la vie monastique depuis le XIIème siècle a mis en avant l'impossibilité aujourd'hui de se contenter d'une transmission "verticale" et de la reproduction d'un modèle par voie d'autorité. Cela dépasse donc la vie monastique.

 

Aujourd'hui la transmission passe par le relationnel.

Il faut mettre en valeur la figure du "passeur", c'est-à-dire un homme qui s'attache à construire des ponts entre des cultures différentes, entre les générations, entre des expériences différentes, un homme qui aide à passer d'un monde à l'autre sans craindre de perdre son identité ou de la voir se diluer. (Ce n'est pas récent et je pense à certains missionnaires : Mattéo Ricci lorsqu'il a voulu introduire le christianisme en Chine…. Sans d'ailleurs être compris).

Et ce rôle de "passeur" n'est pas confortable car il faut accepter des remises en question dans ses manières d'être et de vivre…. C'est d'ailleurs ce rôle qu'a tenu le Christ, à la fois du monde et étranger au monde.

 

Ce "passeur", comment peut-il procéder ?

Je mettrai d'abord l'accent sur une hospitalité qui soit en même temps " bienveillante" et "inconditionnelle"…

"Bienveillante", d'emblée un regard positif et ouvert, en excluant tout a priori.

"Inconditionnelle" c'est-à-dire la reconnaissance de l'autre dans sa singularité et le respect de sa

différence en l'accueillant tel qu'il est.

 

En d'autres termes, une hospitalité sans frontières.

Autre point de transmission : plutôt qu'un corpus doctrinal, privilégier la transmission d'un art de vivre.

Je pense par exemple pour la vie monastique à l'accent mis sur :

Le rapport au temps, la maîtrise consciente d'un rythme de vie, à contre-courant d'un processus    de compression du temps (en lien étroit avec la prière liturgique qui contraint à des pauses)

Le rapport à la consommation et la recherche d'une certaine frugalité, d'une "justesse" dans nos rapports aux choses.

Le "vivre ensemble" qui passe par un élargissement de notre regard sur l'autre, le dépassement de nos habitudes et de nos réflexes spontanés, l'attention aux autres, le dépassement des conflits par le pardon.

 

…. Finalement la priorité donnée au lien avec l'autre plutôt que le repliement sur soi ou     l'exclusion occasionnée par la peur ou la méfiance.

Une recherche d'intériorité qui débouche sur un compagnonnage avec le Christ et qui passe par la prière et l'écoute de la Parole divine.

Faut-il ajouter que cet art de vivre, ce n'est pas quelque chose d'abstrait ni un catalogue de règles et d'observances à respecter. Sa transmission dépend essentiellement de la façon dont l'émetteur en incarne le contenu… et bien sûr de la liberté de celui qui le reçoit.

 

Pour conclure, une image parlante : celle du canal.

Le "passeur" est comme un canal par lequel circule la vie. Cette vie le traverse, elle vient de plus loin que lui, il la reçoit… et il ne fait que la donner la transmettre aux autres…. Une vie qui engendre un être nouveau… à l'existence biologique, à telle ou telle manière de vivre, à la foi… le "passeur" étant lui-même renouvelé par ceux auprès desquels il a fait œuvre de transmission.

Et le "passeur" par excellence, c'est Jésus Christ qui nous fait passer de ce monde à son Père :

"Passons sur l'autre rive"

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"Donner, recevoir, partager"….

Donner, recevoir, c'est facile, on ne sait pas exactement ce que l'on a donné. C'est celui qui reçoit qui sait ce que l'on a donné.

Partager : c'est plus difficile, c'est donner et recevoir en même temps. Il faut du temps pour y arriver. C'est comme une réaction chimique qu'on ne contrôle pas. Il faut écouter beaucoup, c'est le rôle d'une grand-mère ou lors d'un partage avec une famille étrangère.

 

Transmettre : encore faut-il être convaincu de quelque chose de vrai en soi, (ex. missionnaires….)

La transmission n'a pas besoin de paroles, elle passe par la manière de vivre.

J'ai trois enfants et trois résultats différents. Pourtant avec mon mari nous avons transmis les mêmes choses en cherchant à être le plus juste possible. On sème mais on ne s'appartient pas.

Je vis et les autres prendront ce qu'ils voudront, s'il y a quelque chose à prendre. Je vis et j'avance.

Il ne faut pas confondre transmission et persuasion.

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Réflexe de notre fille sur la transmission "ta phobie de l'ail et l'oignon crus" !

La transmission de la Foi qui nous anime. ça ne marche pas comme çà.

La Foi est une démarche personnelle, elle ne se transmet pas !

 

Mais l'essentiel de ce qu'on avait envie de transmettre : c'est un esprit solidaire et engagé

Notre petite fille a été baptisée près d'une chapelle dans la nature.

-          Identité : combat qui m'anime au pays basque notamment lors de la dernière élection communale.

-          légitimité de la différence qui m'ouvre à l'universel

Volonté de faire passer l'accueil de l'autre.

Par rapport à l'éducation de notre petite fille, j'ai des réflexes autoritaires alors que ses parents ont une attitude explicative.

 

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J'ai reçu de mes parents une éducation "sans explications".

Les seules recommandations explicites de mon père ont été que nous ne laissions pas tomber l'une de mes sœurs célibataire et que nous continuions à entretenir une cohésion fraternelle entre nous.

Dans les familles de nos petits-enfants, les parents sont à l'écoute et les dialogues commencent souvent par "d'accord, mais…" et se terminent par "es-tu d'accord" ?

Ce que je retiens d'échanges entre personnes, c'est souvent celles avec lesquelles on n'est pas forcément en bonnes relations qui nous apportent beaucoup.

 

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Je fais partie d'un réseau qui donne à des personnes dans le besoin de la nourriture de grands magasins.

Mais c'est en sens unique jusqu'au jour où c'est moi qui ait demandé quelque chose.

Il faut apprendre à recevoir, donc à partager ce qu'on reçoit et respecter l'identité de l'autre.

Normalement, on aboutit au partage.

Don de recevoir quelque chose que je redonne : c'est en moi.

Écouter, accueillir, c'est plus important que de donner.

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Chaque jour, je reçois les textes liturgiques et le commentaire d'un père de l'Église. Où en serait la Foi aujourd'hui sans ces pères de l'Église ! Je me sens héritier de 20 siècles.

Des choses se transmettent de moi à d'autres, sans en être conscient. ça passe par le vécu et le ressenti.

Je suis étonné de voir vivre mes deux enfants et de voir des choses qui ont transpiré de moi. (Le bricolage par exemple).

Une de mes petites filles : " C'est pas facile de t'avoir comme modèle !" : ce que je n'ai pas cherché, mais cela m'a touché.

Transmission du patrimoine : questions qui se posent. Comment gérer un héritage ? Comment faire ?

Le sujet n'est pas facile et porte à discussions.

J'ai été marqué par une intervention de frère Ghislain sur les biens matériels destinés à circuler.

Lors d'une situation difficile Jean VOLOT m'a dépanné en disant : "C'est un prêt que vous retransmettrez à quelqu'un qui en aura besoin"

Les biens matériels doivent circuler.

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On ne sait jamais vraiment ce qu'on a transmis : exemple, Mozart, Michel Ange, etc.….

Je reçois de la part de personnes qui ne savent pas ce qu'elles ont transmis.. Des personnes se sont approprié ce qu'elles ont vu ou entendu, goûté etc…

On trie dans ce qu'on nous a transmis.

Exemple : l'éducation religieuse : la façon de transmettre peut aboutir à l'inverse de ce que l'on voulait transmettre.

L'éducation se fait par l'ouverture au dialogue pour arriver à un accord mutuel dans le chemin choisi. (Punition, activité, TV, jeux…).

 

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La fin de vie…. Elle recule au fur et à mesure qu'on avance.

Transmission : donner, éduquer, dire les "choses justes", avec les enfants, professionnellement ou bénévolement dans des groupes.

Ce qui m'animait, c'était de transmettre le meilleur de ce que je ressentais, de faire avancer le groupe ou l'équipe ou les enfants sans peser, mais essayer d'être juste en faisant faire pour avoir l'expérience du risque.

Souvent on a l'impression de prendre davantage que ce qu'on donne.

La relation avec l'autre est à aborder avec crainte, respect et silence car cela peut mal tourner parfois.

 

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Partager, donner, transmettre, recevoir : c'est la vie de tous les jours.

Kerguelen a chamboulé ma vie. Ma trajectoire a explosé.

On donne et on partage tout le temps, surtout avec les jeunes, les stagiaires.

Ce thème a des affinités avec la communication.

Transmission avec les parents. J'ai vécu avec trois générations (grand parents), … les enfants rebelles (religion.. sexualité…)

 

La transmission se faisait naturellement.   Le partage : pas besoin de le dire, c'était naturel.

Maintenant que mon père a quitté sa maison pour l'Ehpad, je peux faire des rangements, des changements interdits auparavant dans la maison familiale, dans la zone de vie, mais dans la chambre de mon père, ses affaires personnelles, je ne peux pas y toucher.

Je passe beaucoup de temps à faire profiter aux autres de mon expérience dans des associations.

J'essaye de ne pas être "un vieux con" !!!

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Quelques réflexions du lendemain :

"Passeur" : résultat d'un tas d'influences reçues dans la vie avec lesquelles on a construit notre vie.

On transmet tout ce que l'on a acquis, c'est le résultat de toute une vie.

"Inconditionnel" : être ouvert à tout, à tous, pour être capable d'écouter avec bienveillance ceux qui se présentent.

On ne peut pas vraiment savoir ce que l'on transmet. Avec l'âge, on fait le tri dans ce que l'on a reçu et dans ce que l'on pense avoir transmis.

Quelle trace va-t-on laisser ? Que penseront nos enfants de nous ? Que va-t-on leur transmettre ?

Ce que l'humanité transmet est une composante de son évolution

Transmission par l'exemple, attitude de vie et de rencontres (grands parents).

Bienveillance et amour ne se quantifient pas

Jérémie : "Le cœur de 'homme est compliqué et malade".

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