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JE PARTAGE QUOI, AVEC QUI ?

Aix-en-Provence, 7 avril 2008

17 présents

 

Une de mes amies a remarqué que je racontais ce que j'allais faire avec mon mari. Elle m'a dit : "Tu as de la chance, on voit que tu vis en couple".

Il faut juste dire merci, tout simplement, avec des petites choses qui passent.

Mon papa est petit, fluet, discret. Mes parents ont eu 4 enfants en 5 ans et nous habitions en appartement. Tous les week-ends, mes parents nous faisaient marcher au parc de Sceaux. Un soir que nous venions de rentrer, le téléphone sonne. Ma mère décroche et fond en larmes ; c'était la voisine qui ne cessait de les harceler de ses coups de fil et qui se plaignait du bruit que nous faisions. Mon papa en a bégayé de colère et nous a obligés à faire du bruit exprès au-dessus de sa tête pendant deux bonnes heures (billes qui tombent, taper dans les radiateurs, marcher avec les talons hauts de ma mère). C'est lui qui avait le plus d'imagination. La voisine n'a plus jamais rappelé.

 

J'ai des moments de complicité avec des amis, avec la famille, pour les 85 ans de maman. Le partage n'est pas forcément long, mais peut être intense.

 

Quand on partage une émotion ou un but communs, il y a quelque chose qui se passe. Il y a un vécu commun qui va revenir.  Dans la famille, on partage les petits riens du quotidien et les étapes de la vie. J'ai aidé un étudiant marocain perdu et désargenté. Pour me remercier, il m'a invitée au Maroc dans sa famille où j'ai été reçue comme une princesse. Il y a 15 jours, on a fêté les 50 ans de son plus jeune frère. C'est ça être ensemble, un partage, un grand bonheur.

 

Le mot ment et le vrai ment. Je grappille des petits moments de partage et leur anticipation. J'ai plus de plaisir à vivre maintenant qu'avant. Je n'aime pas les fêtes de famille. Mieux vaut les sécher qu'être désagréable. Je n'ai prévenu personne à la mort de mes parents.

Je me suis entaillé le bras avec une disqueuse, ça a d'abord dessiné un trait puis rapidement un losange. Je n'avais même pas mal, j'ai arrêté la disqueuse, appelé mon épouse, je me suis entouré le bras avec un chiffon pris dans le garage, elle a ajouté des torchons et du scotch et nous sommes partis à l'hôpital. C'était un moment fort.


 

 

Au risque de paraître pessimiste, je pense qu'on est toujours seul. S'il n'y a pas de rivalité, entre musiciens, on fait bloc ensemble pendant le mois de répétition, pour le succès d'un opéra. On est soudés par un objectif commun. Le pot à la fin, laisse une impression de manque. Pour l'enterrement de mes parents, ce sont les deux seules circonstances où les gens ne sont pas venus par obligation et où j'ai ressenti un partage profond.

 

On partage des moments de grande émotion, joyeuse ou triste, naissance de nos enfants, souffrance de nos très proches. Mon fils et ses soucis. Il faut chercher des solutions. Pour notre fille, c'est pareil. Je partage mes aventures sportives avec des copains, ce n'est pas le truc de mon épouse !  Concernant les anniversaires, je sèche ces manifestations, c'est pour moi le contraire de l'émotion.

 

On partage lors d'un effort commun, ou d'une épreuve, une naissance à laquelle le papa assiste et où l'on vit à l'unisson. Pour la mort, l'émotion est également très forte. Il y a aussi d'autres moments moins denses pour compenser !

 

Le 30 mars est une date très importante dans la famille, c'était l'anniversaire de papa, c'est l'anniversaire de ma fille (23 ans) et le mien. Je lui ai offert un saut en parachute (une de mes passions puisque j'ai plus de 1100 sauts à mon actif), et depuis je gamberge : et si le parachute ne s'ouvrait pas, et si le mistral se lève d'un coup, et si l'avion, et si le pilote... Je stresse, mais je ne le lui dis pas. Avec deux amis pilotes, on se charge chacun  d'une partie de la préparation de la navigation, je prépare le pique-nique et les en-cas et on s'offre des moments d'extraordinaire complicité à chaque arrêt sous les ailes de l'avion.

 

Ma vie de couple, je la vis vraiment en partage.  Il y a 15 jours, je suis allé avec un groupe de bénévoles qui fait partie d'une association d'aide à des drogués. Il y avait des salariés aussi. On a créé des liens grâce à ces moments de vie partagée, on a eu des contacts avec des gens nouveaux pour nous, une ouverture sur l'extérieur.

 

Il y a la façon provoquée de partager et celle où l’on s'en aperçoit après coup. Pendant un stage où l’on a partagé des efforts importants, lors du déménagement de copains, au ski dans un appartement exigu, hors de l'atmosphère habituelle. On vit ensemble, on prend le temps de se parler. Sur un bateau, c'est super de partager un quart de nuit, de chanter dans le noir.

 

J'éprouve le même sentiment pour ma famille. La mère de ma mère a instauré une réunion familiale annuelle, dans un resto, toujours le même ; c'est très sympa parce qu'on s'entend bien, mais il n'y a pas de mise en commun de quoi que ce soit, contrairement aux pingouins.

Avec ma mère, on a passé 72h dans le Minervois, c'était formidable, on a été d'accord sur tout ! C'est pareil en plongée avec l'équipe, on bosse et il y a une complicité entre nous, sur le bateau, sous l'eau...et un pincement au coeur à la fin de la saison ; pareil au Club Med.

J'aime partager un petit rien, un vol à Barcelonnette, une balade à la montagne de Lure (où l’on s'était perdus, mais qu'importe!), un séjour à Manosque. C'est un partage vrai de n'importe quoi.

 

Pour cet été, j'ai reçu un courriel d'un de mes frères, nous proposant de nous retrouver tous les quatre sur un voilier. Ça me fait plaisir, rappels de souvenirs d'enfance annuels ; mais en même temps, je redoute la semaine parce que nous n'avons pas de valeurs communes. On n’a pas fait les mêmes choix de vie. On va voir...  Concernant les fêtes, je ne me souviens pas d'une seule fête où j'ai vécu quelque chose d'extraordinaire. Ce que je partage, c'est un beau vol en avion, une balade en forêt.  Si je n'avais pas cette sensation de partage en couple, cela me serait difficile de le vivre.

 

Les rassemblements font tous suite à une réalisation commune, la rentrée du foin en famille, les mêmes études que mes condisciples (solidaires en tout depuis 1957), les anciens de Kerguelen.  On a vécu en couple un temps fort sur un bateau-mouche à Paris, ou à l'hôpital de la Tronche à Grenoble.

 

On a l'esprit de famille et c'est une force. Tous les ans on se retrouve dans un chalet, sans les enfants, frères et sœurs d'un côté de la table, "valeurs ajoutées" de l'autre et on partage les joies, les deuils, les anniversaires. Ce week-end, nous étions à Grenoble où nous avons passé 30 ans et où  j'avais participé à la création d’une bibliothèque dans le nouveau quartier que nous habitions. Il y régnait un climat de convivialité ; nous avions beaucoup à échanger sur les problèmes du quotidien. Ça a enrichi ma vie de couple et de famille, même si les échanges sont conflictuels.

 

Quand j'étais plus jeune, je pensais qu'il ne pouvait pas y avoir de vie intense dans une structure classique et qu'il fallait rompre. Mais, c'est le contraire ! C'est au travail, avec mes anciens copains de classe (45 ans !), chez les pingouins, avec mes amies suédoises et la famille que je partage. C'est le déterminisme social qui fait qu'on vit le plus avec les autres. Est-ce une illusion ou est-ce qu'on s'en contente, faute de mieux ?

Après des difficultés multiples avec notre fille, ça va bien mieux depuis son mariage.

Cela m'intrigue, ça me désole, mais je ne me vois pas inviter les Gitans de Vasarely chez moi. Ça ne se passe pas comme ça.

 

Quand il y a une soirée pingouins, je le marque dans ma cuisine et j'attends ce partage avec impatience. Avec ma fille, ça va mieux depuis qu’elle a les jumelles. Je me régale quand elles viennent. Comme je vis seule, j'apprécie les visites des pingouins qui ont été présents tout au long de ma vie quand j'en ai eu besoin : MERCI !

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